Ceux de Corneauduc

Septante-cinquième épisode

Chapitre XVI

Se profilent sur le chemin deux ombres projetées par les rayons de la lune qui vient de s’élever au-dessus du hameau de Briseglotte, éclairant la contrée de sa lumière blafarde. Émile la besogne et Raoul le rugueux progressent à pas lents et devisent à voix basse.

– Regarde, à l’orée, n’est-ce point bon feu qui rougeoie ? Tu me dois tournée !

– Le déshonneur de mauvaise rapine ne t’a point ôté finesse de jugement, Raoul, l’auberge est ouverte et je m’acquitterai de ma dette trois fois s’il le faut tant ma soif et ma faim feraient passer festin de géant pour aimable collation.

– Ce pari n’avait raison que de te motiver à aller panser nos plaies en lieu propice à oublier la correction sournoise que l’on nous infligea ce jour.

À ces mots, Raoul le rugueux se rembrunit et masse la tempe ou le sang séché forme une croûte épaisse.

– Si nous retrouvons ce grand couard qui jongle plus qu’il ne brette, je jure Dieu que je lui fais ravaler son épée, et sans moutarde !

Les deux brigands se taisent en ruminant de lourdes rancunes. Ils pressent le pas en direction de la taverne, attirés par les bruits de festoiement qui leur viennent peu à peu chatouiller agréablement l’oreille.

– Il semble bien que forte bacchanale se perpètre en l’auberge. Voilà qui nous redonnera joie au cœur !

– Et si point mon ouïe ne m’abuse, ces drôles sont à hurler chant fort paillard qui m’agrée et laisse présager buvade musclée. Courons-y vite tant qu’il reste fût à mettre en perce.

Arrivés dans la cour dallée de pierre, les deux hommes avisent un corps étendu de tout son long. Ils s’approchent du gisant et, incontinent, éclatent de rire, tout ébaudis.

– Perce-motte de pique-en-train ! Raoul, quelqu’un s’est offert le Montpensois. Depuis le temps que j’en rêvais mais point ne l’osais.

– Allons vite serrer la main au gaillard et lui offrir godet, Mimile. Voir cette canaille vautrée par terre me met baume au cœur. J’en oublierais presque que je n’étais en guère plus fière posture il y a peu.

– As-tu vu Raoul, il y a là phénomène peu chrétien ?

– Comment cela ?

– Observe bien ma botte. Il suffit que je l’approche de ce fier-à-bouche et boum ! le coup par tout seul !

Émile la besogne frappe avec application le visage de Montpensois d’un pied vigoureux. Raoul l’imite pour vérifier et constate la véracité de ses dires. Après quelques bonnes rafales de bottes, le cœur réchauffé et la soif plus présente encore, les deux brigands s’apprêtent à abandonner leur proie et à s’attabler dans un joyeux tumulte. Mais ils se ravisent.

– Nous ne pouvons quand même le laisser là, Raoul.

– D’autant qu’à notre joie nous n’avons même point songé à débourser ce pourtant riche paltoquet.

Raoul dépouille Montpensois de sa fortune, fait sauter bourse dans sa paume avec un sifflement satisfait.

– Vois-tu, Mimile, cette journée ne nous laissera peut-être point souvenir aussi amer que nous le pensions. Je vois d’ailleurs là tas de fumier frais pondu qui saura garder le Montpensois au chaud jusqu’au matin.

– Tu es bon avec ton prochain, Raoul. Sans toi, il aurait pu se trouver enchifrené et être bien mal en point à son réveil.

 
 

Si le mort est mis en bière, que la bière est mise en fût,
que le fût est mis en cave, le cave doit-il être mis à mort ?
Est-ce que la première question en vaut deux ?
Dansez-vous là car ma gnôle est bonne ?
Est-ce que les nomades s’édentèrent ?
Le prochain épisode jouera-t-il au bridge avec Petitpont ?