Ceux de Corneauduc
Septante-huitième épisode
Chapitre XVI
Fanchon se dépêche de servir deux nouvelles chopes aux arrivants dans l’espoir de calmer leur colère.
– Voilà Messeigneurs. Vous avez attendu par ma faute, je l’avoue. J’avais malencontreusement oublié d’abreuver ce soiffard.
Elle ne voudrait pas qu’ils s’en prennent au gros bouffon, l’homme qui servait sans doute d’écuyer, de confident et d’homme de confiance à son fier héros. S’ils ne faisaient que l’effleurer, elle était sûre que le fier Chevalier de Montcon allait intervenir, épée au clair et sentence héroïque en bouche. Le combat serait rude. Fanchon ne doutait point que le chevalier avait moyen de s’en sortir vainqueur, qu’il avait dû connaître au fil de sa vie bien des duels et bien des empoignades. Mais ces brigands étaient prêts à toutes les roublardises, à user de la hache ou du tesson pour défigurer leur adversaire. Non ceux-ci n’avaient rien de gentilshommes. Et Fanchon poursuit :
– Cet homme est fait ainsi. Il boit comme nul autre et ne sait attendre. Ce n’est point chez lui marque d’irrespect.
– Téméraire et charmante soubrette, nous n’adressons paroles aux jeunes femmes qu’à l’heure de leur trousser jupon. Or Mimile et moi ne troussons qu’en forêt. Et jamais lorsque bonne empoignade s’annonce. Ôte-toi de mon passage !
Et d’une main ferme, Raoul le rugueux envoie voler Fanchon comme fétu de paille. Elle se recroqueville au sol et se met à pleurer, non point de douleur mais parce qu’elle n’a su éviter le combat.
Raoul le rugueux boit puissante gorgée, s’essuie le mufle et remonte ses manches. Il remarque alors que son compère ne l’imite point, qu’il reste là, figé comme le séminariste au soir de la tonsure que son curé conduit au bordel. Émile la besogne ne bouge point.
– Que t’arrive-t-il ?
– Mauvais présage, Raoul. Observe bien cet homme. Je ne sais où je l’ai vu, mais il pue la mauvaise souvenance.
– Bah, tous les hommes emplis de breuvage qu’on croise en nuits d’agapes se ressemblent un peu. Sans doute, confonds-tu...
– Je ne sais, poursuit Émile en se frottant menton.
Sur ce Gobert perd l’équilibre, et va donner du chef au bout de la grande table, pintes à demi-pleines se renversent incontinent sur les buveurs qui avaient demandé grâce et qui ronflaient tête dans les mains. Observer le réveil de six solides du palais alors même qu’ils basculent cul par-dessus tête de leur banc, arrosés de huit gorgées de houblons pour le moins, tandis qu’un forgeron de bonne facture, benoîtement assis sur son cul et inconscient du désastre qu’il vient de provoquer, entonne la Complainte du forgeron des îles de la Fosse-Régente avec une voix qui fait plus penser à vache en gésine qu’à ménestrel du Duc, est spectacle digne de provoquer bonne hilarité de compagnie.
Émile et Raoul ont beau courir les routes pour trancher les gorges grasses, ils ne font exception.
– Ah ! bon Dieu, nous aurions eu tort de l’occire celui-là. Est-il drôle ! Aussi plaisant que le Montpensois planté en fumier jusqu’au cou !
– Fort bonne réflexion, confirme Raoul en s’essuyant les yeux. Cette franche rigolade ne doit point voiler à nos yeux autre sujet de liesse.
Et Émile le Rugueux s’avance au milieu des tessons et des ivrognes renversés qui peinent à reprendre pied.
– Mon compère et moi avons fort apprécié la peu glorieuse posture d’un sombre fat chattemite nommé Cyrille Montpensois.
– Un sinistre personnage qui décida en son temps que garçons de caractères devaient être chassés de forêt, engeôlés, et pourquoi pas écartelés, tout cela parce qu’ils avaient un peu tendance à porter bourse de marchands à leur ceinture.
– Oui, cette canaille bien peignée nous causa moult troubles. Aussi, puisque Raoul et moi sommes prospères d’argent fort bien volé, nous serions heureux d’offrir chopine et bouillon gras à l’artisan de cette bonne besogne. Qui donc parmi vous, est le digne cogneur de Montpensois ? |