Ceux de Corneauduc
Quatre-vingt-troisième épisode
Chapitre XVII
Martingale s’était alors penché sur l’homme qu’il avait fait supplicier et avait compris incontinent que Petitpont ne galéjait pas. Blafard, il avait consenti, ou presque. Car, dans un sursaut retors, la voix altérée par une rage froide, il avait ordonné à Guillaume Bouilluc d’accompagner le meunier.
– Les chemins ne sont vraiment point sûrs, je ne vous laisserai partir seul. Et je crois savoir que ce jeune garde vous est compagnon de bon aloi.
Petitpont, qui craignait fort pour la vie de l’homme que l’on confiait à ses bons soins, n’avait point songé à argumenter, mais alors qu’il se saisissait à plein bras de l’amas sanglant pour le porter à sa charrette, il avait ouï la menace dans la voix de Martingale alors qu’il attirait Bouilluc à part.
– Ce meunier est passé maître à jouer tours pendables. Ne t’y laisse point prendre, Bouilluc. Si tu ne me ramènes point le prisonnier vivant, c’est toi que je donnerai en pâture aux chiens. Et je te jure que nul ne te tirera de leurs crocs.
Sitôt quitté le château, Petitpont avait oublié Martingale pour ne se consacrer qu’au peu de vie qu’il convoyait jusqu’à moulin. La médecine est un art qui demande âme entière et ne laisse que peu de temps aux intrigues de couloirs. Petitpont voulait que le corps auquel il administrait onguents et potions ne s’abandonnât point aux seuls soins de Dieu et cette tâche l’avait pris tout entier. Un seul détail l’avait un instant détourné, un appendice curieusement intact. Petitpont s’était saisi de ce qui avait été une main noble pour contempler un petit doigt à l’ongle fort long. Petitpont avait senti un frisson lui parcourir le dos. Cette coquetterie était une signature. Il avait entre les mains le Baron du Rang Dévaux. C’était la paix de la Province qu’il lui incombait de préserver. Un bref soupir et le meunier avait oublié le rang de son patient pour mieux lui remettre viscères en place.
Et maintenant, face à Guillaume Bouilluc, Petitpont jauge la situation et ne la trouve guère à son goût. Ramener le Baron au château pour le laisser à merci des plans obscurs de Martingale violerait sa conscience, mais endormir ou assommer Bouilluc, condamnerait le jeune homme à un sort guère enviable...
– Dites-moi, Messire Petitpont. Dites-moi pourquoi, on tuerait cet homme au château alors qu’on prend tant de soin à le faire survivre.
Je ne sais. Sans doute, Maître Martingale souhaite-t-il apprendre quelque chose qu’il ne sait point encore. Apprends, Bouilluc, que l’homme qui gît en mes murs est puissant et que celui qui l’a mis en pareil état ne peut espérer nulle clémence de sa part. |