Ceux de Corneauduc

Quatre-vingt-cinquième épisode

Chapitre XVII

Allait charrette grinçante aux chemins du Duché, escortée au pas par le garde Bouilluc qui ne dit rien. Alcyde Petitpont tient mollement les rênes aux prises à d’étranges pensées, où se mêlent la fraîcheur du matin et la vanité des hommes, et qui peignent le ciel en mauve mélancolique. Couché sur un tapis de paille, le Baron du Rang Dévaux garde l’œil ouvert et l’âme en conscience. La mélopée qui lui serre le cœur n’est point tant celle de son trône menacé, que celle de ses chairs ravagées.

– Me voilà Baron à la triste figure, me voilà sujet à sobriquets. Je n’ouïrai plus les soupirs des vierges énamourées lorsque je chevaucherai de par mes terres...
– Songez plutôt que vous allez entrer vivant en votre fief et mettre fin à une querelle qui n’a de sens.

– J’aurais tant aimé que mon port altier, le noble arrangement de mes traits inspire quelque artiste, pour qu’on me sculpte dans la pierre pour orner des palais. On dit qu’il se faisait ainsi en Grèce, qu’il se fait ainsi en Italie...

– La mort vous a manqué de peu. Et le jeune homme qui chevauche devant nous risque sienne peau pour partager votre fuite. Cessez donc de vous tourmenter pour quelques fleurettes que vous ne conterez plus.

– Que suis-je sans beauté ?

– Je ne comprends pas, Monseigneur. Vous os sont broyés comme l’oignon que l’on coupe en dés. Il y a en votre corps douleurs à arracher cris de nourrisson à Bayard en personne et vous n’en dites mot, préférant geindre à votre beauté évanouie.

Le Baron tente de se hisser en charrette, mais nul membre ne lui répond. Il reste étendu sur la paille, le corps comme plonger dans un brasier ou comme martelé de partout par une douzaine de marteau de forge. Pourtant plainte ne sort de sa bouche.

– Tu ne comprends pas meunier. Tu n’as pas connu la beauté.

– Je l’ai connue, dit Petitpont. La peste autrefois me l’a prise. Mais ce n’était point la beauté que j’aimais en elle.

 
 

Si nous rêvons toujours plus haut, est-ce pour qu’Ève reste ?
Faut-il dire: «Fontaine, je ne boirai plus de tonneau» ?
Est-ce que le lit tue Annie ?
L’envie de mort est-elle un désir noir ?
Jusque quand le prochain épisode pleurera-t-il Marie ?