Ceux de Corneauduc
Nonantième épisode
Chapitre XVIII
L’escorte ducale arrive peu après potron-minet en hameau de Briseglotte. Un soldat est envoyé en éclaireur. Il frappe vivement au chambranle mais nul ne répond. Il recommence à s’en blesser le poing, puis il crie à la cantonade.
– Holà, alberguiers ! Le Duc de Minnetoy-Corbières, blessé en combat héroïque, a besoin du gîte et du couvert !
Il entend un bruit furtif à l’intérieur. Une jeune femme en habit de nuit, aux chevilles nues et aux yeux humides de larmes, lui ouvre la porte sans bruit.
– Il n’est point ici d’âmes éveillées, dit-elle en se séchant bravement les joues, en montrant digne figure à l’arrivant. On a tant banqueté en cette pièce que je crains que l’assistance passe journée en sommeil.
– Je vois ça, dit le soldat en regardant avec envie le mobilier renversé, les bouteilles et les outres brisées, et les buveurs affalés le doigt levé, plongé dans la nuit à l’heure de dire phrase épique, vérité qu’ils ne retrouveraient plus jamais. Mais qu’à cela ne tienne, soubrette, as-tu couche à offrir à mon seigneur ?
– Un bon lit attend votre Duc blessé. À l’étage. Mais, soldat, demande à tes compagnons de ne point trop battre des bottes dans l’escalier. Il dort en chambre autre noble personne qui ne souffre pas de blessures de guerre mais des tourments d’un ventre fécondé. Je vais de ce pas cuire solide omelette pour toi et tes compagnons. Et si fatigue vous prend, poussez un peu plus loin sur le sentier. La porte de la grange des Mastivert est ouverte et le foin y est doux au sommeil. On ne vous en chassera pas, le père et le fils ronflent ci sous une table. À leur voir face violette et yeux jaunis, je crois que vous pourrez dormir votre saoul sans qu’une fourche ne vienne vous tirer du sommeil.
Le soldat remercie et toute l’escorte s’engouffre dans l’auberge du Godet-sans-fond. Le Duc ne dit mot, et pour cause : à chaque fois que conscience lui revenait, il hurlait pire que meute de loup sa douleur, sa disgrâce et sa virilité évanouie. Le Chevalier de Vailles avait alors décidé que le sommeil ducal était nécessité médicale. Sitôt que le Duc commençait à geindre, il sortait un lourd pain de plomb qu’il utilisait pour alourdir les chevaux de ses adversaires lors des tournois ou des courses entre soldats, et qu’il se félicitait de toujours avoir sur lui. Il posait une serviette humide sur les yeux et le front du Duc puis il soulevait la lourde pièce de métal et la laissait tomber sur le crâne ducal. Le boucher, dont les conseils médicaux étaient fort écoutés, approuvait la méthode mais trouvait que le front du Duc gonflait au-delà de la normale.
– Il conviendrait de ne point l’endormir plus de deux ou trois fois par jour, avait-il dit d’un ton docte.
Les soldats hissent le Duc et l’installent en chambre. Vailles pose le pain de plomb sur la table de chevet en cas de nécessité. Il demande à deux soldats de rester postés devant la porte, de ne laisser personne entrer et de l’appeler en cas d’urgence.
– Et n’ayez crainte, sentinelles, je vous ferai monter belle part d’omelette ! |