Ceux de Corneauduc
Cent vingt-troisième épisode
Chapitre XXIII
Braquemart d’airain s’est levé. Il pose un pied sur le banc et se cambre en posant poing sur la hanche et en pointant le Duc de son godet bien rempli.
– La confiance dont m’honore Messire le Duc est légendaire. Il sait ma lame forgée pour l’héroïsme. Aussi, quand le héraut annonça aux rues du bourg la guerre contre du Rang Dévaux, ne me voyant point mandé pour le soutenir en campagne, je compris sans tarder que ce silence m’appelait à mission plus dangereuse encore. Une mission que le Duc ne pouvait même me confier à voix haute...
Braquemart avale godet entier et toise l’assistance. Mille fois sa langue a fait merveille, mille fois les rieurs et les indécis se sont tus, lorsque le verbe vif, le geste éloquent, il leur avait conté tumultes d’Orient, orages des déserts et créatures des cimes. Mais mille fois, l’assistance fut composée des trognes-à-goutte de Minnetoy-Corbières, des prétendants éconduits d’Isabelle Luret et des drôles qui survivaient à l’infâme cuisine du Sanglier Noir. Devant le Chevalier de Vailles et les soldats, l’œil encore frais, devant la Duchesse qui l’implore de mentir, Braquemart se sent plus emprunté, comme si la magie des mots allait lui manquer. Curieuse maladie que la peur. Heureusement, Alphagor Bourbier de Montcon dispose d’une pleine barrique de remède pour se soigner incontinent. Et il ne manque pas d’y puiser jusqu’à que verve lui revienne.
– Si le Duc marchait sur du Rang Dévaux à la tête de l’armée, devoir m’incombait de le devancer pour vérifier que vile embuscade ne l’attendait pas aux murailles de la Baronnie. J’avais pour m’aider dans ma quête fidèle destrier, et non moins fidèle forgeron, balourd certes, mais capable de hardiesse lorsque situation l’exige...
– Bougremissel ! Que j’aime quand tu me racontes, Braquemart !
– ... et capable de se faire plus muet que tombe quand la situation devient délicate, coupe Braquemart en remplissant d’urgence le godet de Ventrapintes.
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