Ceux de Corneauduc
Cent vingt-huitième épisode
Chapitre XXIII
Le Duc, requinqué par la nouvelle, s’avance vers le moribond, soutenu aux aisselles par deux soldats.
– Regardez, dit Vailles. Le fourbe retrouve l’entendement. On dirait qu’il veut ouvrir la bouche.
À ces mots, la Duchesse réprime un haut-le-cœur. Braquemart écarquille les yeux, bondit en avant et frappe à pleine botte le visage démoli du Baron. On entend un bruit de chair molle et de petit bois.
– Mais enfin, Bourbier, que faites-vous ?
– Pardonnez-moi. C’est la rage de voir un homme qui a tâté de mon poing reprendre conscience en ma présence. Jamais, je le jure, jamais on ne m’avait pareillement offensé. Celui que je frappe a décence de rester à terre.
– Il suffit avec votre honneur de soudard ! Il est d’usage, vous le savez, de soumettre tout traître à la question. Et cette tâche est dévolue au suzerain. En sus, vous avez démoli ce qui lui restait de mâchoire. Comment diable le ferons-nous parler ?
– Il est vrai, dit le Duc. Je n’aime guère qu’un chevalier, aussi héroïque soit-il, empiète mon domaine...
Braquemart bafouille une excuse, penaud mais soulagé d’avoir pu réduire l’importun au silence.
– Mon époux je ne vous reconnais plus.
La Duchesse s’approche à son tour, d’un pas décidé, le front haut. Elle n’ose regarder au sol de peur de croiser le regard de du Rang Dévaux.
– Que vos soi-disant blessures de guerre vous empêchent de défendre mon honneur, je puis l’admettre, mais que vous tanciez notre sauveur alors qu’il empêchait notre pire ennemi de lever les yeux sur moi, je ne l’accepte point. Savez-vous ce que la bouche de cet homme m’a dit, savez-vous ce que ses yeux voulaient connaître de moi. J’en rougis encore jusqu’à l’âme, mon époux.
Le Duc sent que salive lui passe mal. Entre le bon sens de Vailles, les lèvres blanches d’indignation de son épouse et la douleur qui ne cesse de lui remonter du ventre, il ne sait plus où donner de la tête.
– Je vous prie de m’excuser, mon aimée. Je vous jure que du Rang Dévaux n’ouvrira les yeux qu’à l’heure du gibet, pour les fermer à tout jamais. Demain à l’aube nous le pendrons en cour de l’auberge. Tel est mon souhait.
La Duchesse regarde Braquemart avec une gratitude qui lui réchauffe les sangs. Ah ! Si elle n’était suzeraine, d’un tel sang, d’une telle prestance, il la mènerait en grange pour s’y frotter le lard contre dans la paille.
Le Chevalier de Vailles arpente la pièce à grands pas. Il garde l’œil à tout, n’oublie ni présence d’Alcyde ni celle de Guillaume.
– Jetez donc ces félons dans les écuries et ne les perdez pas des yeux, commande-t-il.
Les gardes s’emparent de Bouilluc, hésitent à se frotter à Petitpont, lorsque Braquemart intervient.
– Mais arrêtez, malheureux ! Que vous en prenez-vous à Alcyde ?
– Qu’est-ce encore, Bourbier, vous frayez aussi avec la peste, avec ce compagnon de l’ignoble du Rang Dévaux. Et que fait donc céans ce sbire de Messire Martingale ?
Encore une fois, Camilla Clotilda impose sa majesté de geste, le galbe de sa jambe et sa voix de miel.
– Cessez donc de pérorer, Vailles. Le vaillant sieur Petitpont et son jeune ami nous ont prêté rescousse en forêt et portent tous deux en cœur l’amour du Duché. Le chevalier de Montcon, comprenant mon état de ventre, me convoya au plus vite à couche décente et à la sécurité, tandis que notre brave meunier gardait le Baron à sa merci... Vos soupçons ne sont que vilenies mon pauvre ami et ne me poussez pas à vous en demander compte. |