Ceux de Corneauduc
Cent vingt-neuvième épisode
Chapitre XXIII
Tandis que les soldats emmènent le Baron inconscient, Alcyde profite de l’agitation pour attirer Braquemart à l’écart.
– Alphagor, nous ne pouvons les laisser faire. Je n’ai pas sauvé la vie de cette homme pour le voir pendre !
– Enfin, Alcyde, j’ai percé les lignes ennemies pour ramener ce félon par la crinière. Je ne vais pas l’aider à fuir ! Et puis, gibet pour le traître, c’est là belle occasion de réjouissances.
– Belle occasion pour toi de plastronner ! Cette histoire, tu l’as tout inventée. Mais il n’est plus l’heure de galéjer, il faut tirer du Rang Dévaux de ce mauvais pas.
Braquemart soupire, quitte à regret la légende qu’il venait de bâtir à grandes envolées et dans laquelle il se sentait bien.
– Au fait, comment est-il Dieu possible que le Baron du Rang Dévaux soit en ta compagnie ? J’y vois là œuvre du Tout Puissant car jamais tu n’aurais pu mieux tomber pour me sortir la tête de ce licol que je m’étais moi même tricoté !
– J’ai été mandé par Martingale pour soigner un homme qu’il avait mis à mal. Ce n’est que plus tard que son identité s’est fait jour à moi. Et maintenant, je dois trouver moyen de retourner auprès de lui car il ne pourra rester longtemps sans soins. Et il n’avait certes pas besoin de ton vaillant coup de semelle !
Guillaume Bouilluc s’approche des deux amis.
– Alcyde, il me semble que situation est plus embrouillée que bazar de Maures. Le Duc a mis la main sur le Baron et nous le laissons faire ?
– Au moins n’est-il plus entre les griffes de Martingale et c’est déjà un mieux pour lui. Ici, tout n’est point perdu : le Duc n’a plus les sens aux aguets et la Duchesse semble être tout entière de notre côté. Et je crois commencer à comprendre pourquoi...
À l’autre bout de la salle, le Duc vient de s’écrouler entre deux tabourets et jure tout ce qu’il peut. Le Chevaliers de Vailles se porte à son secours, tente de le relever et s’écroule à son tour. Fanchon et Hilda, qui ont reprit leur service en salle, accourent porter assistance, mais peinent à hisser le solide tas de viande qui vocifère et gémit.
– Comment veux-tu procéder, Alcyde ?
– Je n’en sais fichtre rien. Il nous faut gagner du temps, le temps de débrouiller cet écheveau, et pour cela nul n’est meilleur que toi.
Braquemart porte la main à son arme.
– Dis-moi, Alcyde, dis-moi où il faut que je ferraille !
– Non, c’est à l’autre talent que je vais faire appel, celui de bamboche et ribote ; je veux que tu contes mille croisades par le menu, que tu amuses le Duc et sa suite. Réveille donc Gobert, et chantez à faire boire l’assistance jusqu’à potron-minet.
– Enfin, ce n’est point là rôle de chevalier... et déjà hier nous fûmes fort enthousiastes...
– C’est pourtant la seule chance que nous ayons de sauver le Baron...
Tout en parlant, le meunier guette les réactions de son ami, cherche le mot juste, celui qui transformera le fanfaron boudeur en indéfectible allié.
– ... et de sauver la Duchesse.
Braquemart tend le bras, et solennel, fait serment.
– Si c’est pour une juste cause, je boirai plus et mieux que je n’ai jamais bu. |