Ceux de Corneauduc
Cent trente et unième épisode
Chapitre XXIV
‘après-midi touchait à sa fin. Le Duc avait dû être porté en sa couche après s’être évanoui au moment de se vider vessie. La Duchesse, prise d’un malaise, s’était retirée dans sa chambre. Aux écuries, le Chevalier de Vailles gardait personnellement le Baron du Rang Dévaux qui n’avait toujours pas retrouvé conscience. On l’avait fait enchaîner à son brancard et Alcyde Petitpont s’y était fermement opposé quand il était venu porter médications au mutilé. Mais le Duc avait donné des ordres très stricts et Vailles entendait bien s’y conformer.
Alphagor, Émile et Raoul, ainsi que le jeune Guillaume, devisent mollement en salle d’auberge, tandis que Gobert gémit doucement en contemplant ses blessures. Ils se laissent inspirer par l’odeur de viande rôtie qui leur parvient des cuisines et leur dit que l’heure de chant et de pitance ne tardera guère. Fanchon les abreuve régulièrement, car il convient de se refaire la gorge par petite gorgée avant de s’emplir des pintes du soir. Elle ne peut s’empêcher de s’adresser à Braquemart, qui, puisque Gobert n’a plus cœur à le surveiller se penche sur le corsage de la belle en prenant l’air de lui murmurer secret.
– Votre récit m’a troublée, chevalier. Je n’imaginais point tout ce que vous aviez entrepris avant de nous arriver céans.
– Les langues bien pendues ont plus de salive que de faits d’armes. Si je bois comme l’homme simple et que je ne claironne mes exploits que lorsque que l’on m’enjoint de les narrer, c’est que modestie m’est léguée de ma mère. Elle est mon panache plus encore que mon courage sans faille.
– Vous avez l’air si calme, comme je vous admire ! Grâce à vous, le monde sera débarrassé d’un être de peu de foi. Bien que, je vous l’avoue, le spectacle du gibet me répugne.
– Vous ne le verrez point, je vous en donne ma parole.
– Comment cela ?
– Il est des secrets que vous ne devez entendre, jouvencelle. Savoir trop n’est point de votre âge. Songez plutôt à mettre la main au chaudron. Un chevalier n’est jamais si héroïque que l’estomac plein.
Fanchon repart en cuisine non sans avoir laissé traîner son regard sur l’assistance. Braquemart ne la regarde déjà plus ; seul le jeune garde au cheveux roux lui adresse un léger sourire qu’elle lui rend sans savoir pourquoi. |