Ceux de Corneauduc

Cent trente-deuxième épisode

Chapitre XXIV

Gobert a la trogne d’une inquiétante couleur violacée sur fond verdâtre. Il transpire à grosses gouttes tout en tremblant comme si le froid lui serrait les os de sa tenaille.

– Cette blessure à la cuisse me fait Dieu souffrir. Presque autant que cette autre à l’épaule. Bougremissel, compères, si je n’avais bu autant je crois que je serais mort à cette heure !

Hilda Van der Klötten hurle du fond de la cuisine, en tournant le cochon sur la broche à pleins bras :

– Si vous n’aviez bu toute la gnôle, bande de soiffards, j’aurais eu de quoi le soigner votre luron. Vous viendrez pleurer quand les asticots s’y mettront.

À ces mots Gobert frémit. Il empoigne son verre mais il tremble tant que breuvage lui arrose plus le plastron que la glotte.

– Avec tout ce qu’il a bu, ose Émile la besogne, les plaies doivent se nettoyer d’elle-même de l’intérieur, non ? L’alcool arrose et lave les mauvaises humeurs à chaque flux du sang.

– À ce propos, se lève Raoul, il est bien l’heure d’aller arroser le Montpensois.

– Je te suis, compagnon, j’ai la vessie pleine à fendre et ce sale fils de truie doit commencer à sécher au soleil dans son fumier.

Ils sortent de l’auberge alors qu’Alcyde entre d’un pas paisible. Il porte sous le bras un petit tonnelet qui attise la convoitise dans les yeux de Braquemart.

– Foutredieu, meunier ! Serait-ce là de ta gnôle qui mériterait d’être servie dans le Graal même tant elle élève l’âme et dissous le foie ?

– Si fait, Alphagor, mais tu n’y tremperas les lèvres qu’après que je me sois occupé de Gobert. À présent que j’ai paré au plus pressé, je puis m’occuper des petites douleurs. Je ne lui crains certes gangrène, mais il n’est guère sage de laisser à Dame nature le soin de refermer les plaies.

– C’est dommage de gâcher ainsi noble breuvage, énonce Braquemart.

Petitpont s’assied près de Ventrapinte et inspecte son épaule.

– Ce n’est pas très joli, mon Gobert... mais je me suis tellement fait la main sur le Baron que guérir cette petite estafilade me sera jeu d’enfant. Enlève ta chemise, je devrai te recoudre. Maintenant voyons cette cuisse.

Alcyde fend le haut-de-chausses du forgeron à l’aide d’un stylet pour observer la profonde plaie. Il réprime une grimace. Sans dire mot, le meunier prend deux gobelets de plomb et y verse forte rasade du tonnelet. Une bonne odeur de prune vient flotter autour des compères. Il en tend un à Gobert.

– Bois tout et sec. La suite te sera dure. Alphagor, va me chercher de l’eau chaude et du sel à la cuisine.

Braquemart se lève en maugréant : « Faut-il en sus que je te cuise omelette ? »

Gobert se saisit du gobelet, le hume longuement puis le boit d’une traite sans respirer. Sa hure prend soudain teinte d’aubergine bien mûre. Il se tape du poing la poitrine en cherchant l’air comme carpe hors de l’eau.

Alcyde en profite pour verser le second gobelet sur la plaie béante.

 
 

Est-ce qu’à l’homme nuit lorsque la rue meurt ?
La truite de Schubert ou la truie de bouchère ?
Est-ce que Corneille effeuille la marguerite parce que les pissenlits
parlent à Racine ?
Le poète imbibé aime-t-il les pieds de vigne ?
Le prochain épisode vous tendra-t-il la perche pour mieux sauter ?