Ceux de Corneauduc

Cent trente-septième épisode

Chapitre XXV

Guillaume Bouilluc ne dit mot mais tend la main à Fanchon pour l’aider à monter en charrette.

– Bonne chance dit Petitpont. Évitez les coupe-gorge et les chemins de forêt.

Lentement, la charrette s’ébranle. Alors seulement, Fanchon se retourne et dit d’une toute petite voix.

– Vous m’excuserez auprès des Van der Klötten. Ma conduite n’est guère noble à leur égard...

Petitpont promet et la nuit, comme une écharpe noire, s’enroule autour de la charrette dont on ne perçoit bientôt plus que le grincement des roues, le craquement du bois. Briseglotte n’est plus bercée que par la voix gutturale de Gobert et par celles dépareillées qui reprennent en chœur ses paroles.

La Duchesse s’accroche au bras de Petitpont.

– Ah meunier ! J’ai cru mille fois que j’allais défaillir. Mais personne ne nous a surpris et le Baron est désormais sauvé.

– Certes, mais il n’est point temps encore de nous laisser aller. Je vais vous quérir cruchon d’eau en cuisine pour que vous alliez réveiller le garde en écurie. Sermonnez-le sans trop de sévérité. Il vous sera reconnaissant de vos bons offices et de votre silence et ne réfléchira point trop à ce qui lui est arrivé.

– Mais, dis-moi, Maître Petitpont, es-tu bien certain que ton prisonnier de remplacement déjouera l’œil de ses bourreaux ?

– Ce forban a même stature et même visage tuméfié que du Rang Dévaux. L’un et l’autre sont méconnaissables, donc semblables...

Une pensée tracasse encore la Duchesse et sa gorge se serre lorsqu’elle l’exprime.

– Le Baron portait l’ongle du petit doigt très long ; c’est ainsi que Vailles a pu le reconnaître cet après-midi.

Alcyde porte la main à sa poche et sourit :

– Je me suis aussi rappelé ce détail. L’ongle, le voici. Nous allons le coller au doigt de notre prisonnier avant que garde ne se réveille.

***

Plus un garde n’a main à l’épée. Tous l’ont posée sur le cœur et brandissent chopine en reprenant en chœur un chant guerrier que Gobert mime à grands gestes. Seul Vailles, le regard perçant dans les fumées et les effluves de graisses et de vins, reste muet car il conserve salive pour sermonner le Duc dès qu’il le peut.

– Il faut que vous soyez sur pied à potron-minet, votre Grandeur. On ne pend point Baron sans quelque solennité, on ne peut le faire les idées brumeuses... Et si vous continuez à ripailler, vous ne serez demain point digne de votre rang !

Le Duc balaie d’une chiquenaude l’intrusion de son aide de camp dans ce couplet particulièrement truculent de « Le reître et la bergère » :

« Et le reître brandit
Flamberge dans le vent.
La bergère pâlit
Devant tel instrument.

“Désolée, je ne puis,
Dit-elle en se signant,
Voyant ce que je vis
Vous héberger céans.”

Alors le reître dit :
“Je suis un fin larron
À défaut de ton lit,
Je compterai mouton !” ».

– Vailles, tu m’importunes ! Ne vois-tu pas qu’agapes que tu interromps sont le seul remède à ma douleur et à mon infortune ? Tu devrais boire et chanter avec nous ces excellents vers. Demain est demain et ce malfaisant sera pendu quoi que l’on boive céans !

– Mais pensez donc à votre épouse et cette enfant qu’elle porte en son sein... N’a-t-elle pas droit à juste vengeance venant de son époux devant Dieu, et que lui aussi consomme à ses côtés le juste châtiment de ce traître ? Vous avez déjà trop bu, votre Magnificence, un verre encore et je crains de vous voir prendre malaise...

Le Duc n’a guère envie de lâcher chopine, mais les arguments de Vailles commencent à le faire ployer. Braquemart qui, malgré l’heure avancée et le houblon qui prend peu à peu place de sang dans ses veines, reste investit de mission, constate que le chevalier n’est que trop lucide et qu’il risque fort de plaider sa cause jusqu’à dégriser le Duc. Il saisit fort flacon des mains d’Hilda Van der Klötten et se plante devant Vailles en se lançant en tirade forte de postillons :

– Entendez-vous par là que quelques malheureuses chopines suffisent à éborgner l’honneur de notre suzerain ? Suggérez-vous qu’il n’a point prestance nécessaire pour survivre à courte nuit, l’œil clair et la langue agile ? Si ses reproches m’étaient adressés, Messire, je crois que j’en serais offensé et demanderais réparation.

Puis sans attendre réponse, il se tourne vers le Duc :

– Je ne sais si vous comptiez vous retirez, votre Immensité, mais il serait fort dommage de ne point entamer avec nous ce petit l’alcool du pays dont on dit le plus grand bien.

Les yeux du Duc brillent à la vue du flacon.

– Comment ne le pourrais-je ? Suzerain qui se respecte honore le travail de ses vassaux en goûtant tout ce qui se distille sur ses terres.

– Et cette remarque, n’est-elle point valable pour votre chevalier aux lèvres sèches ? Il méprise plaisir du fruit et de la racine. Et quel homme peut se prétendre guerrier sans se mettre fort en bouche ?

Juste remarque, Bourbier. Il est vrai que Vailles tient souvent plus de la femme que de l’homme. Je me demande s’il ne porte d’ailleurs pas jupon sous sa cote de mailles !

Vailles, sentant le vent tourner, recule d’un pas et sermonne plus fort.

– Vous n’allez point, votre grandeur, tenir compte de telles arguties ? Ma sobriété et mon ardeur au sommeil sont mamelles de mon teint frais et de ma férocité au combat.

Le Duc lève alors une main ouverte, la paume conciliatrice, et dit d’une voix ferme.

– Holà, alberguier, il me faudrait, trois bouteilles de forte gnôle et un gros entonnoir.

 
 

Les Ouzbeks évitent-ils l’apéro parce que le kir grise ?
Les plantigrades ne connaissent-ils pas la pédophilie
parce que le vit nie l’ourson ?
Avez-vous l’azur rance que nul ne verse d’huile usagée dans les cieux ?
Vivra bien qui vivra le dernier ?
Le prochain épisode sera-t-il plus court ?