Ceux de Corneauduc
Cent quarante et unième épisode
Chapitre XXVI
Émile la besogne et Raoul le rugueux ne jettent qu’un regard distrait au pendu. La corde leur pend au nez depuis trop longtemps pour qu’ils accordent au supplicié plus que la vague sympathie que l’on doit à collègue. Ils s’approchent des trois compagnons, l’air soucieux.
– Nous avons fort à faire avec tous ces soldats qui lèvent le camp, dit Émile.
– Oui, nous ne voulons que rapine nous passe sous le nez, ajoute Raoul, ces soldats emportent tout. Vous devriez garder un œil sur vos montures en écurie, il y a fort à parier que le Duc va les réquisitionner.
Gobert a un léger rire.
– Bourrue et Lucien n’intéressent pas même le charcutier, alors pour ce qui est du Duc...
– Tu ris, forgeron, mais le cheval du pendu a bien disparu, lui. Nous voulions explorer un peu les bagages de ce bucellaire mais n’avons pu mettre main sur sa monture.
À ces mots, Alcyde semble tiré de pensées.
– Que me chantes-tu là, brigand ? Son cheval est caché en forêt et trop loin d’auberge pour que les soldats le trouvent. Il n’y a que nous à savoir où il est et, de surcroît, Gamin le garde.
– Il n’en reste pas moins qu’il a disparu et que nous n’avons point vu le petit.
Gobert Luret dévisage un instant les deux brigands puis se lance en direction de la forêt aussi vite que sa jambe blessée le lui permet. Braquemart, voyant son compère s’inquiéter pour sa descendance, lui emboîte le pas, suivi incontinent de Petitpont. Les hommes gagnent prestement l’endroit où ils avaient laissé le cheval d’Hector-Maubert de Guincy. Mais de l’animal et de Gamin, point de traces.
Ventrapintes, les mains en porte-voix, appelle son fils alors que Braquemart et Alcyde fouillent sous les fourrés.
– Le voici, Gobert, dit soudain Alcyde, il s’était endormi.
Les hommes s’approchent de l’enfant. Alcyde le secoue mais Gamin reste en sommeil. Gobert lui ébouriffe les cheveux un instant puis s’arrête soudain. Il retire sa main et contemple sans mot dire le sang qui la macule.
Braquemart se penche à son tour et désigne un objet au sol.
– Ton fils a été pris à ses propres armes ; regarde cette bûche près de lui. Il a dû en prendre un fort coup sur le crâne.
Sur ces mots, Gamin ouvre les yeux. Il regarde les trois hommes comme s’il ne les connaissait point.
– Dieu soit loué, exhale le forgeron, il vit !
Et il sert son fils contre sa forte poitrine. |