Ceux de Corneauduc
Cent quarante-deuxième épisode
Chapitre XXVI
Le récit de Gamin ne leur apprend que peu. Il était assis près du cheval puis il ne se souvient plus de rien. Il aura été surpris, assommé puis traîné sous fourré.
Tous reviennent à l’auberge, Gobert portant Gamin, et retrouvent Émile la besogne et Raoul le rugueux. Alcyde Petitpont va droit au pendu, le regarde un long moment pour ensuite lui saisir la dextre puis la senestre et les observer une à une. Un triste sourire lui tord les lèvres un instant.
– Venez voir, voilà chose fort étrange...
Braquemart ne peut retenir saillie :
– Le pendu se réveille ?
Le meunier lève la main gauche du supplicié et désigne le petit doigt. On y voit un ongle fort long.
– Ayant le visage réduit à bouillie, voici à quoi le Baron du Rang Dévaux a été reconnu : cet ongle de petit doigt. Il est en effet notoire que le Baron était sujet à démangeaisons et se grattait tout le jour durant.
Les compères se regroupent autour de lui, sans comprendre.
– Or, lorsque le bucellaire a pris la place du Baron la nuit dernière, j’ai coupé l’ongle de du Rang Dévaux et l’ai collé au doigt du noir forban...
– Et cet ongle, le voilà. Que veux-tu nous dire, meunier ?
– Qu’ayant prélevé cet ongle sur la main droite, je n’aurais jamais fait l’erreur de le coller sur la main gauche...
Tous lèvent les yeux vers le corps aux traits illisibles qui se balancent doucement dans l’ombre fraîche du châtaignier. Ses yeux grands ouverts contemplent le ciel. Une langue bleuâtre pend hors de sa bouche dont les lèvres découvrent les dents. Les dernières paroles de Petitpont laissent perplexes les compères. Ils se sentent soudain mal à l’aise aux côtés de ce cadavre qu’ils ne connaissent plus.
– C’est qui qu’on a pendu alors, demande Raoul ?
– Oui, si ce n’est ni le Baron ni le bucellaire, qui donc est-ce ?
– Maintenant que je le regarde, je le trouve bien petit...
– Les vêtements sont en effet bien grands...
– Et il a encore presque toutes ses dents...
– Vous ne trouvez pas qu’il a une drôle d’odeur, aussi ?
Braquemart renifle et fronce les narines.
– Il m’est à connaissance que pendaison est bonne à chandelle mais guère à boyaux. Je n’avais toutefois imaginé que dépouille aussi fraîche puisse exhaler pareille odeur de fumier.
Comme si ces mots ne faisaient que confirmer ses doutes, Alcyde Petitpont renifle le pendu d’un peu plus près. Il réprime un léger sursaut et contourne l’auberge au pas de course. Il se plante devant le tas de fumier et demeure interdit.
Ses compères, intrigués, le rejoignent.
– Tiens, y’a le Montpensois qui s’est fait la belle ! s’exclame Raoul le Rugueux.
Alcyde se frotte le menton et dit plus pour lui-même :
– Je me doutais bien que ce coquin de bucellaire n’avait point besoin de dague pour se tirer d’affaire. |