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Textes

Jean-Noël de la Bâtie

Bien qu’il fut ce que l’on pourrait couramment appeler l’imbécile heureux de sa lignée, celui qui noierait la réputation de ses ancêtres, Jean-Noël de la Bâtie pouvait compter sur une immense fortune amassée par ses glorieux prédécesseurs. Il y avait eu des de la Bâtie dans tous les domaines courants de la vie genevoise : un célèbre chirurgien maladroit, un piètre politicien engourdi et aviné, quelques humanistes frileux, deux ou trois historiens oubliés, un botaniste rêveur et une dévouée maîtresse d’école. Bref, ce que toute bonne famille traditionnelle se doit d’être, elle le fut.

La Terrasse des oubliés

C’est une minuscule terrasse coincée entre le trottoir et l’angle du bistrot. Il n’y a de place que pour deux tables en fer, un banc, une ou deux chaises. Ombragée du printemps à l’automne, ceux qui s’y attablent, négligeant la grande et belle terrasse ensoleillée bordant l’avant du bistrot, risquent bien de ne jamais voir arriver leur bière ou, dans le meilleur des cas, de ne jamais avoir à la payer. Elle porte bien son nom, la terrasse des oubliés.

Bouteilles en verre, bouteilles en plastique

Le professeur Aristide se rendit compte que le temps pressait. Il posa son livre, passa à la cuisine et ouvrit la porte du frigidaire. Celui-ci offrait un spectacle de pénurie : un demi-litre de lait entamé, une boîte d’œufs durs avec encore un ouf peint en vert, un doigt de beurre dans son papier métallisé. Le professeur referma la porte après avoir établi mentalement une petite liste. Il se baissa sous la fenêtre et prit une bouteille consignée pour la rapporter au magasin.

Chanson pour la nuit prochaine

– J’vais t’pisser la mort sur la gueule, sale con ! Il était malpoli. Fondamentalement malpoli. Bon, j’avais un peu renversé ma bière sur la table et elle avait légèrement coulé sur son joli pull de marque pour frimeur patenté, ce qui, j’en conviens, était quelque peu malvenu. Comme il draguait une minijupée ras-le-moteur qui n’acceptait d’évidence aux portes de sa chambre que les types au pull de marque immaculé, il s’était énervé. Moi, j’étais bourré. J’avais quelquefois raté mes lèvres et, à la fin, c’était le verre qui s’était dérobé. J’avais donc mes torts dans l’affaire, mais bon, au-dessus d’un certain taux d’alcoolémie, on ne se laisse pas insulter sans réagir.

La Problématique du réveil

Bon, Sonat, c’est moi. Je suis chez moi. C’est le milieu de la nuit. Ah non, il fait déjà jour. Brigitte, ça doit être une femme. Elle n’est pas à côté de moi, mais au téléphone. Je connais sa voix. J’y suis : c’est ma secrétaire. Elle a de jolis yeux, elle est très ponctuelle et fade au possible. Ma secrétaire, me réveille pour me dire d’aller au bureau ? C’est nouveau ça ? J’arrive quand je veux, généralement en fin de matinée. Les clients ? Quels clients ? Ah oui, des Japonais qui voulaient absolument un rendez-vous à neuf heures du matin. Des fous ! Tout simplement des fous !

La place idéale de Broselide Volpurnet

– Volpurnet ? ! ? Mais ce n’est pas un nom, c’est un sobriquet ! ! ! gloussa en s’étouffant le responsable du personnel entre deux sanglots de rire. Comment voulez-vous que je vous engage comme commis de guichet ? Imaginez vous un seul instant les fortunés clients de notre ancestral établissement de renommée quasi internationale levant les yeux sur votre badge doré, finement ouvragé aux armoiries de notre banque, avec ce loufoque « Broselide Pourpoulain-Mons-Volpurnet » en dessous ? Je ne vous engagerais même pas comme clown à la soirée des enfants du personnel !