C’est une chanson qui a été écrite par le Brésilien Dorival Caymmi. C’est une chanson qui me bouleverse, et c’est en écoutant la version de l’Angolais Paulo Flores que je chavire totalement.
Il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer.
C’était une nuit de tristesse, cette nuit où il n’est pas revenu. Saveiro est rentré seul… Il est parti de nuit, à l’aube il n’est pas revenu… Saveiro est rentré seul. Le beau marin a été emporté par la sirène… Mon amour s’est noyé, il a fait son lit de fiancé au col de Iemanjà…
Il est doux de mourir en mer…
Iemanjà, cette déesse de la mer et des océans, mère créatrice, issue du mariage brésilien de religions africaines des anciens esclaves et du christianisme. C’est une façon d’atténuer la peine : il est parti, il ne reviendra plus, mais au moins il est avec la déesse et avec cette foutue sirène qui chante sûrement comme une casserole mal nettoyée. Dieu que c’est bon de se raconter des histoires! On en crèverait de tristesse si les déesses et les femmes-poisson n’étaient pas là pour nous bercer un peu.
Alors non, le sujet ce n’est pas l’amour. Le sujet c’est le peuple, le marin qui part pêcher pour vivre, pour survivre et qui y perd la vie. C’est celui qui a été emporté par les bateaux de la traite des esclaves, mais aussi ce pauvre marin issu du peuple qui s’est embarqué dans des expéditions maritimes avec la peur au ventre et qui, pour sa part, n’aura rien découvert d’autre que la souffrance et la mort. N’en déplaise aux empires de l’époque. Et c’est aujourd’hui la même histoire qui continue : des bateaux à la dérive, qui chavirent et tuent. Des bateaux qui portent l’espoir de la survie, ailleurs peut-être, et qui ne mènent qu’à l’horreur. Nous en sommes au même point. Il y a toujours quelqu’un sur une rive qui attend qu’un proche revienne.
Alors oui, cette chanson me prend aux tripes et je le dis bien haut bien fort : c’est LA plus belle chanson du MONDE!!! Mais ce qui fait le plus vibrer dans cette chanson, c’est le refrain qui surgit comme pour calmer la rage et la tristesse : il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer, il est doux de mourir en mer… et la mélodie s’attarde bien sur le mot « doux ».
C’est parce qu’elle est simple, intime, qu’elle raconte une histoire singulière que je la trouve universellement renversante. Elle me ramène à un sentiment essentiel d’humanité et c’est tout ce que je demande à une chanson, pas plus et pas moins.
Et la voix de Paulo Flores, son instrumentation qui laisse place à des cordes à la fois envoûtantes et dérangeantes. C’est le Brésil et l’Angola, si intimement liés, qui se répondent. C’est l’histoire qui dialogue avec elle-même. J’en fais trop? J’exagère? J’ai beau être presque marseillaise, je jure que dans le cas présent j’use de beaucoup de retenue.
Écoutez sans modération cette chanson, plongez dans l’univers de Paulo Flores, pensez aux paroles du refrain quand vous l’entendrez. Et vous tanguerez tout comme moi. Il apporte sa sensibilité de sa rive atlantique, avec sa guitare et une langue bantou au beau milieu qui vient enraciner un peu plus cette chanson (peut-être du kimbundu mais il y a beaucoup de langues en Angola).
J’aurais tellement voulu écrire cette chanson. Tellement.
Si vous ne connaissez pas Paulo Flores, sachez qu’il est doux de se noyer dans sa voix, dans sa guitare aussi.
Lizzie Levee