C’est elle qui m’a fait découvrir cette chanson, je ne connaissais pas du tout ce groupe punk rock de Floride auparavant. Et depuis, à chaque fois que je l’écoute, je pense à elle. En fait, je pense tout le temps à elle… avec nostalgie et regrets.
Cette chanson raconte une histoire d’amour impossible entre un anarchiste et une libérale.
Notre amour à nous était impossible également, mais pour d’autres raisons.
Cet été 2009, je suis tombé éperdument amoureux d’une jeune et jolie touriste américaine. Elle passait tout l’été chez sa tante à Genève. Ça a tout de suite collé entre nous et, à part notre différence d’âge, nous n’avions que des points communs. Elle avait 20 ans, j’en avais 42, nous écoutions les mêmes styles de musique, aimions les mêmes films et avions les mêmes opinions politiques. Quant au sexe, j’avais retrouvé la fougue de ma jeunesse, ajouté à cela mon expérience, c’était parfait !
Nous avons passé plusieurs mois ensemble, nous voyant par intermittence entre Genève et les États-Unis.
Mais ce qui devait arriver arriva, le temps et la distance ont fait leur travail et nous avons bien compris que cette relation ne pourrait pas durer. Elle a donc fait sa vie là-bas et moi continué la mienne ici.
Cela restera les plus beaux moments de ma vie.
Nous sommes toujours en contact, nous envoyant parfois des messages, des photos, avec toujours beaucoup de nostalgie, surtout quand nous parlons de sexe.
Jeanne restera toujours mon plus grand et seul amour, et cette chanson le symbolise.
Cause baby, I’m an anarchist and you’re a spineless liberal We marched together for the eight-hour day and held hands in the streets of Seattle But when it came time to throw bricks through that Starbucks window You left me all alone, all alone.
Novembre. Un oiseau qui se découpe…non, pas dans le ciel…un décor…une scène. Un Zénith. Dijon.
Les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie Et se font boire le sang de leurs visions perdues Et dans leurs yeux-mescal masquant leur nostalgie Ils voient se dérouler la fin d´une inconnue
Une salle plongée dans la pénombre. Des souffles qui se retiennent. Un silence et puis…un son. Plusieurs. Des lumières…éblouissantes. Des sons, toujours. Plus que ça, de la musique. Des musiciens. Et enfin, celui que tout le monde attend…lui…monsieur…Thiéfaine.Des cris de joie du public…et puis cette voix, puissante, incomparable…irremplaçable. Des frissons.
Suivis d’un vieil écho jouant du rock ‘n’ roll
Ce n’est pourtant pas la première fois. Mais à chaque fois c’est comme si c’était la première…et la dernière…parce que ça l’est, parce que chaque fois est unique, chaque concert, chaque minute, chaque seconde… Je plains ceux qui essaient de l’empêcher…à tenter d’immortaliser l’éphémère, de rechercher le passé, on en rate l’essentiel : le présent.
Mais lui ne le rate pas non, il s’en saisit et nous le renvoie, comme une boule d’énergie…c’est qu’il en a de l’énergie le monsieur ! Trois heures de concert, trois rappels, et sa voix qui ne faiblit pas le moins du monde…au contraire, c’est plutôt nous qui n’en pouvons plus, à lui donner notre énergie, à chanter des Lorelei à tue-tête, comme des dingues…et des paumés.
Crachant l’amour-folie de leurs nuits-métropoles.
Ah on ne l’attend plus celle-là…et quand elle arrive…cette mélodie qui prend aux tripes… Ça me rappelle la première fois que je l’ai entendue, le premier morceau de Thiéfaine que j’ai écouté c’était celui-ci…première piste d’un fameux vinyle…
C’était un jour, en rentrant chez moi, je tombe sur un carton rempli de vinyles…les vieux disques de mes parents qui croupissaient à la cave. Ils voulaient s’en débarrasser…quelle blague ! Alors au lieu de ça on a racheté un tourne-disques et j’ai enfin pu écouter mes premiers 33 tours…
Ce sont des loups frileux au bras d’une autre mort Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal Ils ont cru s’enivrer des chants de Maldoror Et maintenant, ils s’écroulent dans leur ombre animale
Je fouille dans le carton…qu’est-ce qu’on a… Téléphone, The Beatles, Le Beau Lac de Bâle, un triple de Woodstock…ah il est bien celui-là…Renaud, Eagles…et puis ce double vinyle de Hubert-Félix Thiéfaine…« En concert »…dans cette pochette façon « clap ». Mes parents m’avaient déjà parlé de cet artiste, alors je me dis pourquoi pas, c’est l’occasion. Je pose l’aiguille et…
Quelques notes énigmatiques. Le bruit de la foule. Les craquements de l’aiguille sur le sillon. La batterie qui arrive doucement. Les applaudissements du public. La batterie qui se fait plus présente. Quelques notes de guitare. Timides. Puis cette mélodie qui fait sa place. Et enfin cette voix, grave, posée, envoûtante…je crois que j’ai un faible pour les voix graves.
Les dingues et les paumés jouent avec leurs manies Dans leurs chambres blindées, leurs fleurs sont carnivores Et quand leurs monstres crient trop près de la sortie Ils accouchent des scorpions et pleurent des mandragores
Le sens des paroles…bonne question. Mais au fond peu importe. Elles m’entraînent, elles me parlent, au-delà du sens…elles m’envoûtent, soutenues par cette mélodie lancinante, cette atmosphère si sombre et si prenante…c’est ça qui compte…
La solitude n’est plus une maladie honteuse
Je ne sais pas pourquoi cette phrase résonne plus que les autres…peut-être parce que j’aime la solitude quand j’la choisi sinon j’aime pas…mais je m’égare, dans la lune…celle-ci aussi on pourrait en parler, comme tant d’autres, ces chansons que je rêverais d’avoir écrites, mes plus belles chansons du monde, il y en a tellement…
Et cet ange qui me gueule : viens chez moi, mon salaud M’invite à faire danser l’aiguille de mon radar
Le morceau s’arrête, et puis viennent les suivants. L’Ascenseur de 22h43. La môme kaléidoscope. Lorelei Sebasto Cha. Alligator 427. La fille du coupeur de joints. J’en passe. Tous aussi prenants les uns que les autres. L’aiguille quitte le sillon. La musique s’arrête. Je la replace au début, et c’est parti pour une écoute en boucle, encore et encore. Commence alors mon attrait pour cet artiste déjanté, ses textes à dormir debout, sa musique…
Est-ce que je fais partie des dingues ou des paumés ? Sans doute un peu des deux.
5 secondes.
5 petites secondes.
5 secondes et tout est dit.
5 secondes qui bouleversent.
5 secondes et je suis à nouveau avec lui.
C’est dingue la musique.
Il est en slip au milieu du salon, 8h30, dimanche matin.
Il est arrivé en chantant avec sa grosse voix et sa bonne humeur.
Il sort la cassette du coffret, la place dans la stéréo. Volume à coin. C’est parti.
5 secondes et tout est dit.
Envoyé, reçu, touché, émus.
Il adore les Beatles, moi aussi du coup.
Il adore Mr. Moonlight, moi aussi du coup.
Ce morceau il est beau parce je suis avec lui, qu’il est là avec moi, heureux, en slip, au milieu du salon.
Et quand il est heureux, il chante, à coin, et il écoute de la musique, à coin.
Et moi je suis heureuse aussi du coup.
Mr. Moonlight je ne l’écoute plus avec lui.
Mais à chaque fois que je l’écoute je pense à lui, en slip au milieu du salon.
J’en avais 12 à l’époque. J’en ai 38 aujourd’hui.
A chaque fois que j’entends ce cri du cœur, cet intro en hommage à la lune, ces 5 petites secondes, je me sens un peu plus proche de lui.
Et je suis heureuse.
La musique nous ramène la beauté des gens le temps d’un instant.
Il m’a rejointe avec sa joie, sa grosse voix, son p’tit slip et son gros bidon.
Il est heureux. Alors je suis heureuse aussi du coup.
Et je m’endors en me disant que ça lui va bien d’être la lune en somme…
Misteeeeeeee1eeeeeee2eeeeee3eeeeee4mooooooolight5
Visites de familles, on nous accueille ma sœur et moi, on ne nous voit pas souvent alors on nous donne à chacun mille francs belges, puis à voix basse le flamand reprend le dessus, les regards se font condescendants, mais Bonneke (ma grand-mère maternelle) est tellement contente.
Ma mère est partie cinq ans plus tôt et a partagé avec Ian Curtis le procédé mis en œuvre.
Bruxelles, quelques jours plus tard.
On me largue sur la Grand-Place; elle quand même cool ma cousine Myriam d’avoir dit que j’allais faire du shopping avec elle. Je demande ma route, le type passera l’après midi à me faire la tournée des disquaires indépendants. Chez l’un d’entre eux je tombe sur une fourre cartonnée au toucher rêche, j’adore. Still.
Je pose le casque sur les oreilles, larsens, bass-batterie hypnotiques, voix caverneuse:
Time for one last ride
Before the end of it all
Il est temps pour un dernier voyage
Avant la fin de tout ça
Fin abrupte.
Voilà cinq cents francs bien investis !
Lancy, Cave Marignac, 17 ans.
Raphael, guitare et chant, Bourqui, basse, Gubi, batterie, moi, guitare. Premier concert, on a sept ou huit compos, on a trois reprises dans le set et on décide de commencer à l’unanimité avec Exercise One.
Je me rappelle tourner le potar ma stratocaster blanche (imitation est-allemande) à fond, m’approcher de l’ampli (fabrication est-allemande), accrocher le larsen, le tordre à coup de vibrato, la basse rentre, la batterie, le chant… ça passe, on est dedans, fin… y a du monde, ça applaudit, ça marche putain !
Ce soir là, on est restés à la fin avec tous un bonheur dingue, on avait fait le grand saut, on avait vaincu notre timidité, on avait changé de statut. Parce que, quand tu n’a pas la tchatche, la plume, des baguettes ou des cordes en acier sont parfois plus simples et plus directes.
Je crois même que quelques filles on remarqué mon existence.
Par la suite je suis passé aux exercices suivants, parfois je me suis planté, parfois j’ai pas osé tenter, dans tous les cas ce fut ceci que j’ai regretté.
Alors est ce qu’une chanson désabusée ça peut donner envie de croquer la vie ?
S’il faut choisir, j’ai choisi. Si tu me paies un verre, de Serge Reggiani.
C’est un peu une chanson de merde, mais quitte à trahir toutes mes autres chansons préférées, autant le faire pour elle.
Parce que cette chanson, elle te prend à la gorge en te tendant la main, tellement elle est simple et empreinte d’humilité.
Parce que Reggiani, avec sa voix grailleuse et toute son émotion, il te la chante droit dans le cœur.
Cette chanson, elle te donne envie de vieux bistrot et de rouge qui tache, elle te donne envie de vérités dérangeantes, de partage en silence, de larmes retenues et de promesses d’ivrogne.
Parce que Si tu me paies un verre, c’est l’élégance dans la détresse.
Elle prend la vie à rebrousse-poil, elle ne pose pas les mêmes questions que les autres, si t’es marié, si t’as un boulot, si t’as une maison… Elle ne te jauge pas sur la check-list habituelle. Tout ce qui compte c’est qui tu es là maintenant, et comment tu vas. Alors t’as envie de trinquer.
Pourtant, c’est une chanson qui n’a rien pour elle. L’intro ringarde, l’arrangement au piano qui casse pas des briques, le demi-ton entre chaque couplet… Le demi-ton! Le demi-ton, il ne nous le met pas une, pas deux, ni trois, mais quatre fois… fallait oser!
C’est un vieux truc qui date du XVIIe, le demi-ton qui redonne un coup de punch à la musique. Tu reprends le même thème, tout pareil, mais un demi-ton plus haut. C’est Beethoven qui avait eu l’idée le premier. Ça fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, t’en a plein qui l’ont copié depuis. Mais il faut l’assumer. Quatre fois le demi-ton… quatre! Putain, c’est digne d’un chant de supporter de foot ou d’hymne révolutionnaire à la Bella Ciao!
Mais quand avec ça, il te balance la douceur du timbre de sa voix, l’urgence avec laquelle il te la chante, et toute sa vulnérabilité, et bien t’as pas le choix, tu l’écoutes et t’as juste envie de lever ton verre, parce que putain, elle est belle cette chanson de merde!
C’est un peu des souvenirs qui jaillissent, ceux d’une petite fille et de sa sœur enfermées dans une voiture au milieu d’une Auvergne au ciel grisonnant, qui ne comprennent pas le sens des paroles mais pourtant
Elles leur vont si bien à cet instant
C’est un peu des moments d’adolescence au bord du lac en fin de soirée, un goût perdu de premiers baisers
Parfois retrouvé
C’est un peu vingt ans en 4 minutes 24, entre colère puis apaisement, entre désillusions et rêves, peurs de ne pas être assez, faire assez
Puis c’est de grands moments de solitude, à être témoin de la détresse des autres qui parfois rappellent la sienne
Comprendre un peu sa place dans ce monde sans vraiment savoir comment la remplir
Pourquoi mon cœur se sent si mal pourquoi mon âme se sent si mal
On m’a demandé d’écrire, et avec une bonne excuse pour écrire c’est plus facile
Ou peut-être cette chanson est une jolie excuse
Pleine de ces tristement beaux souvenirs
Qui soudain se mêlent à ceux qui sont en train de le devenir
C’est un peu des pauses clopes cafés au milieu de gamins qui vont pas très bien
Dont les cœurs se sentent mal et les âmes aussi alors qu’elles se construisent tout juste
C’est sûr que c’est un peu la plus belle chanson du monde, mais juste un peu, parce que j’aimerais bien avoir encore quelques excuses, quelques autres plus belles chansons du monde, pour écrire, juste un peu
Affirmer haut et fort que cette chanson est la plus belle du monde, franchement, ce n’était pas gagné.
Principalement parce que je ne comprends rien aux paroles. Normal, me direz-vous : c’est de l’islandais. Et l’islandais ça ne ressemble à rien de connu, sauf pour les personnes familières du féringien et du vieux norrois. J’en fréquente peu.
Mais justement, c’est peut-être pour cela qu’elle est si belle, cette chanson. La douceur d’une mélodie, quelques accords mélancoliques qu’accompagne une voix qui racle un peu, et qui caresse surtout, juste ce qu’il faut, comme une source chaude au milieu de nulle part, avec au loin des icebergs et, tout près, une lande moelleuse qui tente de fleurir. Seule l’émotion est présente. Peut-être que ça parle de vaches qui n’ont pas vêlé (y a-t-il des vaches en Islande ?), de récoltes bouffées par les charançons, de marins que le chalutier n’a pas ramenés au port, de familles déchirées ou de volcans qui n’osent plus frémir. Je n’en sais rien et c’est ce qui me plaît : je peux y mettre ce que je veux. Je peux voir le ressac et les neiges mâchurées de lave, des roches sculptées par un vent plus obstiné encore que le temps qui ronge, abime, apaise. Je peux entendre le chagrin d’une amie perdue, la trahison d’une âme sœur, une chambre vide, un livre qui se referme. Je peux, sans rire, reconnaître le cerisier de l’enfance et les burlats sucrées, les caisses à savon échouées dans les orties et depuis longtemps démantibulées, les marguerites fallacieuses ou sincères qui promettent des amours à la folie et les grillons taquinés avec un brin d’herbe, une aïeule qui s’éteint, des allers sans retour. Je peux aussi te voir, toi l’enfant que j’ai été et qui rêvais dans les arbres, la femme pétrie de tragédies patientes et de bonheurs foudroyants, bâtie sur des erreurs solides et d’éphémères certitudes ; et lorsque la voix monte, si longue, et pure… Bougremissel, je voudrais ne jamais mourir, et que jamais tu ne me quittes, et que tout dure toujours parce que sinon à quoi bon la beauté.
Alors, je ne veux pas que l’on me dise ce que signifient Kvöldið ou Leiddu quand, au milieu de la nuit, nous nous tairons sur la terrasse et sur nos amours poignards ; quand les routes seront désertes et les verres encore pleins, quand l’hiver à peine chassé rôdera déjà derrière la porte, quand la nostalgie sera puissante et le temps qui reste ténu, alors, féringien ou pas, brebis sans agneau, engelures aux mains, plaie au cœur, écho de rires qu’on n’entendra plus, ce sera la plus belle chanson du monde.
Il y a toujours eu ce petit air de famille. Mais c’est quand j’étais du côté de l’ubac s’il faut parler montagne. Du côté chien et loup, du j’y va… j’y va pas. A l’époque où j’ai rencontré cette chanson, j’étais du côté sombre de mon histoire. Je m’emparais de la face Nord de l’Eiger, la grise, la dure, la toute raide gelée, celle où faut pas se presser, celle où l’on en meurt parfois.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…
J’ai dû crapahuter quelques cailloux, enjamber des collines, me taper des pics, califourchonner des crêtes, parfois me reposer sur un mamelon, puis franchir le sommet et enfin atteindre l’autre versant : l’adret, ensoleillé et vivant. J’étais accompagnée de cette petite mélodie de l’accordéon qui monte qui monte jusqu’en haut puis redescend, dévale tout du long de ma colonne. Ce qu’elle me fait comme effet cette mélodie, tu peux pas savoir.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…
Je veux dire que cette chanson a deux versants : l’ubac et l’adret. J’ai dormi dans l’ubac et je me réveille dans l’adret. Oui je lui ressemblais quand je trainais en pantoufles dans les couloirs de l’ubac, dans l’immobilité, dans le jamais, dans le ronflement. Les jours se suivent et seront les mêmes qu’hier et demain.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…
Maintenant je lui ressemble vraiment.
Maintenant ou jamais, c’est maintenant !
L’adret.
Quand tes désirs sont sous une cloche, enfermés au chenil, quand on doit te sortir les mots au pied-de-biche et que tes émotions sont noyées dans de la glu, quand tu as poncé tes idées jaunes pour les faire toutes noires.
Quand t’as tout tenté pour exister, même mourir.
Alors j’ai mouru, mouru et encore mouru.
La peur, c’est la peur, la grande peur de ce mot grand comme une montagne : aimer. Puis c’est la peur de la peur, puis tu finis par aimer la peur.
Et un jour Bing ! C’est maintenant ou jamais ! Ça se réveille. Toute ta vie qui se retourne comme une crêpe, avec le Nutella par terre qui reste collé sur la moquette mais tu t’en fous. C’est maintenant ou jamais. Tu peux pas expliquer le pourquoi du comment (enfin tu as bien une petite idée), mais ça urge le maintenant. MAINTENANT. NOW. JETZT. AHORA. ΤΩΡΑ. Tu passes le mur du silence. Et vlan ! Appel d’air.
Et puis la mort est déjà passée par là, alors que te reste-t-il ? Le maintenant, à tout jamais !
Et la mélodie de l’accordéon continue sa grande escalade depuis le ventre et ouvre ma poitrine. L’effet qu’elle me fait tu peux pas savoir.
Il en aura fallu du temps et des « mufflées à l’eau-de-vie » avant qu’on commence à s’aimer. Apprendre à tout perdre pour enfin… oui enfin je peux te le dire : je t’aime.
Comme c’est étrange que ce maintenant ou jamais arrive avec les cheveux gris et les plis sur les joues, les taches sur les mains et le menton qui fait des petits. Je touche du bout des doigts mon visage de presque quinquagénaire et je susurre « c’est maintenant ou jamais ».
Plus le temps passe, plus je lui ressemble.
Bon, plus le temps passe et plus je ressemble à ma mère aussi, c’est vrai.
P.-S. J’ai toujours sifflé comme une bouilloire éméchée ou ébréchée, enfin trouée.
La plus belle chanson du monde est sans doute celle que l’on aurait aimé écrire. Celle dont les mots résonnent avec tant de force qu’ils semblent issus d’un vocabulaire intime. Celle dont les notes tissent le fil ténu de la seule ligne de vie nous reliant à nous-mêmes.
Il y a toutes celles qui auraient dû figurer ici. Mais qui, intouchables parce que trop hautes, inviolables parce que fragiles, n’y sont pas.
Il y a toutes celles qui auraient pu se trouver là. Parce qu’elles sont labyrinthes profonds, dédales magnifiques, ascensions irréelles. Mais qui, géantes parce que sublimes, pleines parce que sans failles, ne s’y trouvent pas.
Et puis il y a celle-ci, qui porte jusque dans son titre le poids d’un ADN. Et qui, non contente de fouailler aux poumons, de creuser aux veines, touche à l’os.
Par le piano remonte la colonne.
Par la voix, à un souffle de la chute, assène au marteau, à l’enclume, à l’étrier.
La plus belle chanson du monde est sans doute celle que l’on aurait aimé écrire. Mais qu’un autre a écrite.
La plus belle chanson du monde est sans doute celle que l’on aurait aimé livrer. Mais qu’on ne livrera pas. Que l’on transmettra, seulement. Que l’on transmettra, simplement.
Parce que plus va la pluie à Paris, plus vont les bains à la mer, et plus les mots nous manquent.
«Et ce sera pire encore quand tu auras mon âge»
Alors on se raccroche. Au «ciel trop grand» qui nous ramène à la terre. Au «soleil sur la terrasse» qui donne du relief à nos ombres. Aux «ruelles de l’Italie» qui sont nos propres méandres.
Je pense à Akhmatova, à Tsvetaeva, à Chalamov, à Grossman. A Soljenitsyne, aussi.
Un homme revient des camps. Des Solovki, de la Kolyma, de quelque part qui n’était nulle part et où il n’était personne, où un hoquet de l’histoire l’avait perdu et d’où un autre hoquet l’avait extirpé.
Des camps, il veut se laver. Il veut retrouver la lumière, la chaleur. La vie. Il porte sur lui, tatoué, le portrait d’une femme aimée et laissée derrière lui, et le portrait de Staline, « plus près du cœur afin qu’il entende comment il se déchire ».
Il veut oublier. Il n’oubliera pas. Autour de lui, on voulait ignorer. Et on n’ignorait pas.
Il y a pour le dire, déchirée et déchirante, pleine de fumée et de vodka, caressante quand elle peut, hurlante quand il faut, la voix de Vissotsky.