5 secondes.
5 petites secondes.
5 secondes et tout est dit.
5 secondes qui bouleversent.
5 secondes et je suis à nouveau avec lui.
C’est dingue la musique.
Il est en slip au milieu du salon, 8h30, dimanche matin.
Il est arrivé en chantant avec sa grosse voix et sa bonne humeur.
Il sort la cassette du coffret, la place dans la stéréo. Volume à coin. C’est parti.
5 secondes et tout est dit.
Envoyé, reçu, touché, émus.
Il adore les Beatles, moi aussi du coup.
Il adore Mr. Moonlight, moi aussi du coup.
Ce morceau il est beau parce je suis avec lui, qu’il est là avec moi, heureux, en slip, au milieu du salon.
Et quand il est heureux, il chante, à coin, et il écoute de la musique, à coin.
Et moi je suis heureuse aussi du coup.
Mr. Moonlight je ne l’écoute plus avec lui.
Mais à chaque fois que je l’écoute je pense à lui, en slip au milieu du salon.
J’en avais 12 à l’époque. J’en ai 38 aujourd’hui.
A chaque fois que j’entends ce cri du cœur, cet intro en hommage à la lune, ces 5 petites secondes, je me sens un peu plus proche de lui.
Et je suis heureuse.
La musique nous ramène la beauté des gens le temps d’un instant.
Il m’a rejointe avec sa joie, sa grosse voix, son p’tit slip et son gros bidon.
Il est heureux. Alors je suis heureuse aussi du coup.
Et je m’endors en me disant que ça lui va bien d’être la lune en somme…
Misteeeeeeee1eeeeeee2eeeeee3eeeeee4mooooooolight5
À la base, j’ai toujours détesté la pop. J’entends par pop, le côté couplet-refrain, avec une guitare rythmique un peu fadasse, une ligne de basse qui s’endort sur le début de la mesure, une batterie qui ne change jamais sauf pour un faire un break « onnepeutplustéléphoné »…
Et pourtant, le morceau, qui pour moi est « la plus belle chanson du monde », est un exemple même de simplicité ! Oui, j’aurais pu parler d’un titre de Nine Inch Nails et de ses cinquante-neuf pistes enregistrées pendant quatre ans pour que le son soit parfait… mais je préfère partager cette mélodie tellement parfaite qui m’accompagne depuis tant d’années ! Après quoi : 200, 300, 400 écoutes ? … je n’arrive toujours pas comprendre comment une chanson pareille n’a pas eu un succès mondial ou n’est pas devenue l’hymne américain !
Alors oui, grâce à un petit coup de pouce de Lennon et McCartney, on en cause, on écoute… mais pourtant à part deux ou trois morceaux (Coconut, Everybody’s Talkin’) ce compositeur ne sera jamais « culte » ! Aimee Mann l’aura repris à a sauce (pas si mal d’ailleurs) dans le très beau film « Magnolia », de Paul Thomas Andersson.
Parlons de cette fameuse chanson maintenant :
D’abord il y a l’aînée… euh non désolé je m’égare car j’ai hésité à parler de Ces gens-là… bref, d’abord il y a ce clavier répétitif qui va rester en continu pendant les trois minutes, puis cette basse qui groove avec ce son si chaleureux, la douce voix arrive, les violons se baladent à la manière d’un Eleanor Rigby, puis le refrain accompagné par cette flûte (et c’est là peut être le seul indice qui peut nous faire dire la période de cette chanson doit plutôt se située dans les sixties… hormis cela, ce morceau est complètement intemporel… il pourrait être sorti l’année dernière, non ?).
Et pour terminer ces deux minutes cinquante en beauté, cette monstrueuse montée de voix, limite a capela (ah non j’oubliais, ce fameux clavier et ses six accords qui restera jusqu’au bout et qui restera dans nos têtes).
Vous avez envie de la réécouter directement ? Oui c’est normal c’est la plus belle chanson du monde !
Je ne sais pas si ce sera le piano ou la guitare. Mais, un jour, j’apprendrai à jouer d’un instrument. Et, dès que je saurai aligner trois accords, et bien tant pis, je massacrerai maladroitement Heart of Gold, la chanson la plus connue de Neil Young. De toute manière, comme il s’agit de la plus belle du monde, je ne pourrai pas lui faire grand mal.
Avant même que je sache qui chantait cette rengaine, je frissonnais à chaque fois que j’entendais Heart of Gold sur le ReVox de mon papa. Car, à cette époque, le futé ne dépensait pas beaucoup d’argent pour acheter des disques. Il avait préféré investir dans un impressionnant magnétophone, du matériel de professionnel, d’une qualité sans concurrence. Fier comme un paon avec son A77, il enregistrait sur ses bandes magnétiques les tubes du moment : Butterfly de Danyel Gérard, Aline de Christophe, l’intégralité d’Abbey Road (personne dans la famille ne savait que c’était les Beatles et tout le monde adorait Something). Comme la bande durait des plombes, on attendait religieusement la fin et on rembobinait. Il devait même y avoir Capri, c’est fini. Mais là, je ne mettrais pas ma main au feu.
Je ne sais pas comment mon papa est tombé sur Heart of Gold. Il a sans doute dû trouver le 45 tours paru en 1971, juste avant ou juste après ma naissance. Car, s’il avait eu entre les mains l’album Harvest, publié quelques mois plus tard, il l’aurait certainement copié en entier. Or je ne me rappelle pas avoir été un jour bercé par Old Man, Alabama ou The Needle and the Damage Done. Je m’en souviendrais.
Depuis toujours, je défaille donc à chaque fois que j’entends cette version un peu kitsch, avec cette basse au premier-plan et la guitare pedal steel très country de Ben Keith. À chaque écoute, je respire à nouveau l’odeur caractéristique de notre ReVox bichonné à l’alcool médical par mon paternel.
Mais, durant une éternité, je ne savais pas qui était Neil Young. J’ai dû attendre Nirvana, Screaming Trees et Pearl Jam au début des années 90 pour découvrir de mon propre chef ce « parrain du grunge », accompagné de son vieux groupe, Crazy Horse. Et encore, il a fallu que Kurt Cobain cite cette trop fameuse phrase d’Hey Hey, My My dans sa lettre d’adieu: « It’s better to burn out than to fade away » (Mieux vaut partir en flammes que s’éteindre à petit feu).
Comme beaucoup, je suis remonté à la source du son de Seattle. J’ai découvert tour à tour la rage de Rust Never Sleeps (1979), le son agressif de Live Rust (1979), la fièvre de Ragged Glory (1990), la brutalité de Mirror Ball (1995). Dans le même élan, j’écoutais aussi bien Smell Like Teen Spirit que Cinnamon Girl, j’appréciais avec la même ferveur les albums « commerciaux » de Sonic Youth que les expérimentations bruitistes d’Arc-Weld. Avec sa dégaine de bûcheron canadien mal fagoté dans ses chemises à carreaux, Neil Young était devenu un grand frère.
Et comme tout grand frère, il m’a introduit à d’autres musiques. Par son biais, j’ai enfin écouté pêle-mêle Bob Dylan, Palace Brothers ou Vic Chesnutt. Et j’ai redécouvert Heart of Gold en 2007, lors de la sortie du Live at Massey Hall, daté de janvier 1971. Contraint de jouer assis à cause d’un violent mal de dos, Neil Young y teste des compositions inédites. Seul sur scène et guilleret avec le public, le Loner entonne au piano A Man Needs a Maid dans une version follement dépouillée. Sa voix de velours caresse chaque couplet. « My life is changing in so many ways / I don’t know who to trust anymore » (Ma vie change dans tant de direction / Que je ne sais plus en qui avoir encore confiance). Puis, surprise, il enchaîne sans transition avec Heart of Gold, toujours seul au piano, pour ce qui demeure sans doute sa plus belle interprétation.
Plus de quarante ans après la sortie d’Harvest, Neil Young est entré dans la légende du Paléo Festival en juillet 2013. Avec Crazy Horse, il prit un malin plaisir à défier les éléments tout au long de la soirée inaugurale. Il multiplia à tel point les références à Woodstock (et son célèbre « no rain, no rain ») qu’il provoqua le plus violent orage que connut la plaine de l’Asse. Quelques minutes avant la tempête, il joua une incroyable version d’Heart of Gold, debout, seul devant le public, comme aux plus belles heures de CSN & Y. Puis, il reprit Blowin’ in the Wind telle que Dylan la laissa en 1962. Comment un type si exalté et impétueux avec sa Les Paul noire peut-il être aussi tendre avec sa Martin-D45 acoustique? L’histoire gardera que, dès qu’il attaqua les premières notes de Like a Hurricane, des trombes d’eau s’abattirent sur la Côte.
Depuis 1971, Neil Young a pris de l’âge – « And I’m getting old », prédisait-il – mais il a toujours érigé les paroles de cette chanson en art de vivre. « I want to live, I want to give / I’ve been a miner for a heart of gold » (Je veux vivre, je veux donner / J’ai été un mineur à la recherche d’un cœur d’or).
Tout compte fait, je ne vais sans doute jamais apprendre à jouer du piano ni de la guitare. Ça m’évitera de massacrer Heart of Gold. Ce serait quand même dommage de lui causer pareil affront.
En quittant le foyer familial, mon père a embarqué toute sa collection vinyle des Beatles (salaud !) ainsi que celle de Bob Marley (bravo !). Pour ma culture musicale, restait uniquement chez ma mère l’intégrale de Gérard Lenorman, de Michel Sardou et quelques autres encore que la société et moi-même avons soigneusement oubliés.
Persévère, cherche et tu trouveras. À force de feuilleter toutes ces pochettes cartonnées bien rangées, j’ai fini par hasard sur cet album. New Skin for the Old Ceremony. Album par ailleurs offert par mon père à ma mère. Une tartine de mots tendres est écrite sur le dos de la couverture mais, curieusement, ça ne me rebute pas. Première écoute et ce déclic qui changera à jamais ma perception de l’émotion musicale : « Le peu peut devenir énorme ». Alors que nous sommes en plein à la fin des années 80 (gloubi-boulga de synthés, de voix trafiquées, de mélodies passe-partout taillées pour la radio), une voix grave vient me caresser les tympans, voix accompagnée uniquement d’une guitare acoustique. Chelsea Hotel #2. J’y loue une chambre, je croise les habitués, celui qui a la garde des lieux m’a accueilli à bras ouverts.
L’envie de visiter New York en hiver. Mais à cette époque, ce ne sera pas New York, mais la Belgique.
Souvenirs : les bas-côtés d’une voie ferrée sur un chemin pédestre avec la rivière juste à côté. Bières belges à foison, trois amis. Et Leonard Cohen
Chelsea Hotel se transforme en auberge de jeunesse, en camping, en nuit étoilée selon nos errances mais toujours avec ce même accueil chaleureux.
« We are ugly but we have the music. »
Anecdote : Arena de Genève, concert de Monsieur Cohen. Hallelujah. Deux dames dans la rangée devant nous : « C’est sympa qu’il reprenne du Jeff Buckley… »
Anecdote 2 : je n’ai toujours pas visité New York.