Les Mots – Renaud

Je suis tombé par hasard sur votre blog. Je l’ai feuilleté et vu comment les gens se sentent imprégnés de certains chansons. J’ai décidé, à mon tour, de me lancer et de publier quelque chose.

A l’évidence, il doit s’agir d’une chanson de Renaud. Le problème est de choisir laquelle. Laquelle citer, s’il ne fallait en citer qu’une ?

J’ai fait le tour de sa discographie, que je connais par cœur, pour le savoir. « Les mots » est sans doute la plus émouvante pour moi. Celle qui regroupe toutes les autres qu’il a faite. Une chanson qui parle des gens qui écrivent. Qui parle de ce que nous font ressentir les textes. Que ce soient des livres ou des chansons.

Il rend hommage à ceux qu’il considère comme des « maîtres », un comble pour un anar’. Il ne se pense pas à leur hauteur. Il se trompe. Aucun autre chanteur ne réussit à me faire ressentir ce que lui arrive à faire à chaque fois : m’accompagner.

Et ça : « C’est pas donné aux animaux pas non plus au premier blaireau »

Je connais Renaud d’aussi loin que je me souvienne, avec les 45 tours que mon père avait mis à part des autres et dont je pouvais prendre les paroles avec à l’école, pour chanter pendant la récré avec les copains.

« Et il suffit de quelques mots pour toucher le cœur des marmots »

Dans tous les moments de ma vie, il y a Renaud. Un moment joie, je marche à l’ombre. Un moment colère, je me demande où c’est qu’j’ai mis mon flingue. Un moment amoureux, je m’appelle Galilée. Un moment bonheur, et je cruise sur Mulholland Drive. Un moment déprime, Manu est avec moi, accoudé au bar.

« Ça vous rend libre comme l’oiseau, ça vous libère de tous les maux »

Parfois, j’écoute quelqu’un d’autre pendant un temps (Brassens, Brel, Johnny Cash principalement). Toujours, j’y reviens.

« Mais quand ça vous colle à la peau, putain qu’est-ce que ça vous tient chaud »

De nombreuses fois, j’ai pensé moi aussi lui écrire. Pour lui dire merci et combien ses chansons sont présentes dans ma vie. Je n’ai pas encore pris le temps de le faire. Peut-être un jour. Peut-être pas, par peur de le déranger.

Ce texte me fait penser à tout ce que Renaud a écrit et m’a permis de vivre et de ressentir comme émotions. Je l’écoute en hommage à son auteur.

« La plume de Renaud éclaire ma vie comme un flambeau »

https://www.youtube.com/watch?v=PJmyIpCB-Ro

Ouverture – Etienne Daho

C’est l’été 2008. J’ai 30 ans et je suis prête pour une rencontre amoureuse.
Sur mon lit, j’écoute des chansons d’amour, dont «Ouverture» d’Etienne Daho, la plus belle chanson d’amour de tous les temps
Je sais qu’il passe au Paléo, j’ai mon billet
Au milieu d’une foule compacte et passionnée, je l’attends
Il arrive, élancé et racé, et de sa douce présence, sa voix envoûtante et ses arrangements musicaux, il chante et communie corps et âme avec son public
Quand démarre «Ouverture» et son intro, «il n’est pas de hasard», je frissonne
Et soudain la phrase clé:
«Et plus tu t’ouvres à moi, et plus je m’aperçois, que lentement je m’ouvre
Et plus je m’ouvre à toi et plus je m’aperçois que lentement tu t’ou—vres»
Et soudain je le vois
l’homme de ma vie
grand, barbu, solide, un petit ventre rebondi, mon nounours
Et soudain il me voit
petite, souriante, enthousiaste et tout de mauve vêtue
Attraction Exaltation Fusion
Evidence, présence, confiance
Partir ensemble
Ne plus se quitter
Vieillir ensemble.
«Ce n’est pas le hasard, pas une coïncidence
C’est notre rendez-vous.»
DRB

Suzanne, où l’invitation au rêve

Il y a surtout des chansons françaises sur ce site, et je le comprends (NB : mais aussi du Cohen… et déjà Suzanne ! Je ne ferai pas dans l’original, tant pis). Moi-même, français et parlant moyennement l’anglais, un beau texte en français me touche toujours plus. Sauf pour Leonard Cohen. Tout le monde le connait, mais personne ne le connait. C’est un musicien pas trop mauvais à ses débuts, mais surtout un poète génial. Et Hallelujah !, sans le sou et à trente ans passés, il se décide à sortir un album. C’est une guitare, une voix qui ne demande qu’à se développer (dans les graves surtout), quelques accords joués en arpège. Et c’est beau. Ses mots : trop beaux. Mon amour pour la guitare, la poésie, la chanson, tout me vient de cet album. Et je n’ai pas hésité une seconde sur la chanson dont ce billet allait faire l’éloge : la première chanson du premier album du plus grand poète-chanteur de tous les temps. Suzanne, c’est l’invitation à rêver, l’invitation au voyage de l’amour spirituel (et toujours un peu christique avec Leonard), un rythme entêtant, des chœurs enchanteurs (invariablement), un riff à faire pâlir les Rolling Stones et AC/DC… Tout pour faire une chanson préférée. Bien sûr, son ode à Dieu, à la vie et à l’orgasme ultra reconnue et partout reprise aurait fait mille fois l’affaire. Mais dans l’affaire, justement, il y a toujours un peu plus que l’objectivité. Leonard et sa Suzanne sont arrivés dans ma vie peu après une relation amoureuse magnifiquement difficile, joyeusement platonique, fameusement fondatrice – et ma première, pour pimenter le tout. Je n’ai jamais vécu d’amour aussi beau, et Suzanne en incarne les derniers souvenirs.

 

Avant tout, il y a le prénom. Coïncidence certaine, la fille vers qui tous mes beaux mots sont adressés se prénomme en sept lettres, majusculées de ce même gracieux S. La ressemblance est troublante ; l’histoire aussi. Suzanne, c’est l’histoire d’une discussion transcendante entre un brave homme et cette femme, chez elle, qui est « à moitié folle », mais qui « laisse la rivière répondre que tu as toujours été son amant ». Le décor est posé. Une maison près de la rivière, cela fait terriblement écho à la rivière de Bruce Springsteen, écrite quelques années plus tard (la chanson préférée de mon père ; les chiens et les chats…). On y trouve du thé, des oranges. On y trouve Jésus, dans un couplet central qui m’a toujours questionné, faisant fourmiller mon imagination. Il y est question de « pêcheur » (la proximité avec un nom à connotation religieuse rend la traduction encore plus fameuse), de ‘pierres’ et de ‘bois’, de ‘tour’, ‘d’océan’ et de ‘ciel’. Tout un vocabulaire mystique et délicieux qui fait de l’œuvre d’art un chef-d’œuvre, qui fait de mon attrait musical une obsession.

 

Il y a un dernier couplet : on revoit Suzanne, sa maison, sa grâce, cet amour intense et spirituel, cette connexion orgasmique. Et Suzanne finie par être plus grande que le grand amour lui-même : les héros, les enfants, tous regardent, et c’est Suzanne qui porte le miroir. Ouha. Rien à dire. Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. Last but not least, il y a cette phrase qui me touchera encore et toujours : « tu lui feras confiance, car tu as touché son corps parfait de ton esprit ». Ce mélange savoureux entre sensible et intelligible sera varié et repris jusqu’à la dernière phrase, dernier rebondissement de cette épopée poétique, en renversant les rôles : Suzanne t’a touché de son esprit tout autant. Pour moi, ce ‘tu’ de Leonard n’était adressé à moi et rien qu’à moi, cette Suzanne ne pouvait être que cette S******. Alors m’est venu tout naturellement une traduction-variation-arrangement du texte, de mes plus intenses égards poétiques :

 

S****** t’emporte
Sur les routes,
Près de la rivière, sur le port,
Tu peux entendre les oiseaux vivre
Sentir les vagues remuer
Tu peux passer la journée pour toujours.
Et tu sais qu’elle est à moitié folle
Mais c’est pour ça que tu es là
Et elle te nourris de songes et d’histoires
Qui viennent tout droit de son cœur.
Et seulement quand tu veux lui dire
Tout l’amour que tu veux lui offrir
Elle t’emporte sur sa voix péninsulaire
Blonde, refaire le monde encore une fois
Et elle laisse le clapotis de l’eau remplir ta voix.

Et tu veux t’en aller, juste avec elle
Et tu veux voyager aveuglément
Et tu sais qu’elle te fera confiance
Pour toucher son corps parfait
De ton esprit

Et Jésus était un pécheur
Pour n’avoir pas pu nous préserver
Tu passas longtemps
Dans ta grande tour d’ivoire
Et elle perdit longtemps
Dans son château de chrome brut
Cassant et dur, fragile et peureux.
Mais Jésus avait dit que nous serions pécheurs
Et elle pêcha promptement tes entrailles
Fatiguée de croire en un Dieu juste
Qui détruit chacun de ses espoirs…
Mais elle aussi était déchirée
Depuis bien avant que le ciel ne s’ouvre.
Perdu, à moitié humain, tu t’enfonces
Dans le lac de sagesse, auprès d’elle.

Et tu veux t’en aller, juste avec lui
Et tu veux voyager aveuglément
Et tu penses pouvoir lui faire confiance
Car il caressa ton corps parfait
De son esprit

Maintenant S****** se prend de tes mains
Et elle t’emmène près de la rivière
Habillée de fleurs et de mots en tout genre
Et de musc et de lèvres à ton goût
Et le Soleil s’écoule comme du miel
Gouttant de ses cheveux divins
Et le ciel nage si bien dans ses yeux rieurs
Que la Lune en devient envieuse.
Et elle te montre où regarder
Entre les fleurs qui ondulent
Et la mer flavescente
Il y a des héros cachés parmi les algues
Il y a des enfants près de l’aube aux doigts roses
Qui se penchent sur l’amour, emprisonnés pour toujours
Et S****** en disperse les reflets.

Et tu veux t’en aller, juste avec elle
Et tu veux voyager aveuglément
Et tu sais que tu peux lui faire confiance
Elle a touché ton corps parfait
Grâce à son esprit

 

Maigre pierre à la gigantesque tour boisée de Monsieur Leonard. Mais maintenant, Suzanne, dès que je ferme les yeux, je m’en vais rêver avec toi.

Baby, I’m An Anarchist ! – Against Me !

C’est elle qui m’a fait découvrir cette chanson, je ne connaissais pas du tout ce groupe punk rock de Floride auparavant. Et depuis, à chaque fois que je l’écoute, je pense à elle. En fait, je pense tout le temps à elle… avec nostalgie et regrets.

Cette chanson raconte une histoire d’amour impossible entre un anarchiste et une libérale.

Notre amour à nous était impossible également, mais pour d’autres raisons.

Cet été 2009, je suis tombé éperdument amoureux d’une jeune et jolie touriste américaine. Elle passait tout l’été chez sa tante à Genève. Ça a tout de suite collé entre nous et, à part notre différence d’âge, nous n’avions que des points communs. Elle avait 20 ans, j’en avais 42, nous écoutions les mêmes styles de musique, aimions les mêmes films et avions les mêmes opinions politiques. Quant au sexe, j’avais retrouvé la fougue de ma jeunesse, ajouté à cela mon expérience, c’était parfait !

Nous avons passé plusieurs mois ensemble, nous voyant par intermittence entre Genève et les États-Unis.

Mais ce qui devait arriver arriva, le temps et la distance ont fait leur travail et nous avons bien compris que cette relation ne pourrait pas durer. Elle a donc fait sa vie là-bas et moi continué la mienne ici.

Cela restera les plus beaux moments de ma vie.

Nous sommes toujours en contact, nous envoyant parfois des messages, des photos, avec toujours beaucoup de nostalgie, surtout quand nous parlons de sexe.

Jeanne restera toujours mon plus grand et seul amour, et cette chanson le symbolise.

Cause baby, I’m an anarchist and you’re a spineless liberal
We marched together for the eight-hour day and held hands in the streets of Seattle
But when it came time to throw bricks through that Starbucks window
You left me all alone, all alone.

Stéphane Reymond

Mensch – Herbert Grönemeyer

Und es ist, es ist ok

Alles auf dem Weg

Und es ist Sonnenzeit

Unbeschwert und frei

 

La grande différence entre les trains suisses et allemands, c’est que dans les trains allemands, on fait forcément connaissance de quelqu’un. Loin d’être une vulgaire extension des réseaux de transports publics locaux que sont les CFF, la Deutsche Bahn parvient encore à recréer l’illusion du voyage. La très allemande tradition de réserver un siège mais de se mettre sur le siège réservé par quelqu’un d’autre fait le reste.

 

Celui qui occupe mon siège cette fois-ci est un Suisse, âgé, mais pas encore vieux. Lorsque la vive discussion autour de la propriété du siège est entamée – pas de soucis, restez assis – êtes-vous sûre Madame – mais bien évidemment – merci infiniment – son Hochdeutsch est soigné et impeccable et le trahit comme mon compatriote dès la première syllabe.

 

L’échange n’est qu’un prétexte. Il est de toute évidence sous l’émotion du passage de frontière, il veut que l’Allemagne se révèle à lui, mais il n’y a que ce wagon de train et moi. Moi, à qui il suffit de monter dans un train en Allemagne et prononcer quelques phrases pour devenir irréfutablement allemande. Une identité entre consécration et hantise, aspiration et questionnement. Je me délecte un instant d’être univoque, classable, lisible. Je lui sers l’Allemagne sur un plateau pour satisfaire sa curiosité, pour être à la hauteur du rang d’experte auquel il m’a promu. Les parallèles détaillées que je fais avec la Suisse l’interpellent, mais la pudeur l’empêche de les aborder.

 

Und der Mensch heißt Mensch

Weil er vergisst

Weil er verdrängt

Und weil er schwärmt und stählt

Weil er wärmt, wenn er erzählt

 

Deux compatriotes dont l’un qui l’ignore, le malentendu continue à nous séparer et nous unir. La tension devient insupportable. Je lui dis que je vis en Suisse, ce qui l’amuse.

 

« Et qu’y faites-vous?  »

« Je suis en politique. »

« … en tant qu’Allemande ?! »

« Je suis Suissesse. »

 

La gêne. La joie. C’est un moment à la Max Frisch, une éruption de confusion au milieu de la rationalité, la gêne de ne pas reconnaître une compatriote comme telle, la joie d’en avoir une en face de soi. L’univers a frémi, mais il a immédiatement retrouvé sa structure.

 

Et moi : je retrouve mon ambivalence.

 

Teil mit mir deinen Frieden

Wenn auch nur geborgt

Ich will nicht deine Liebe

Ich will nur dein Wort

Les Dingues et les Paumés – Hubert-Félix Thiéfaine

À quatre heures du matin derrière un téléphone

Novembre. Un oiseau qui se découpe…non, pas dans le ciel…un décor…une scène. Un Zénith. Dijon.

Les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie
Et se font boire le sang de leurs visions perdues
Et dans leurs yeux-mescal masquant leur nostalgie
Ils voient se dérouler la fin d´une inconnue

Une salle plongée dans la pénombre. Des souffles qui se retiennent. Un silence et puis…un son. Plusieurs. Des lumières…éblouissantes. Des sons, toujours. Plus que ça, de la musique. Des musiciens. Et enfin, celui que tout le monde attend…lui…monsieur…Thiéfaine. Des cris de joie du public…et puis cette voix, puissante, incomparable…irremplaçable. Des frissons.

Suivis d’un vieil écho jouant du rock ‘n’ roll

Ce n’est pourtant pas la première fois. Mais à chaque fois c’est comme si c’était la première…et la dernière…parce que ça l’est, parce que chaque fois est unique, chaque concert, chaque minute, chaque seconde… Je plains ceux qui essaient de l’empêcher…à tenter d’immortaliser l’éphémère, de rechercher le passé, on en rate l’essentiel : le présent.

Mais lui ne le rate pas non, il s’en saisit et nous le renvoie, comme une boule d’énergie…c’est qu’il en a de l’énergie le monsieur ! Trois heures de concert, trois rappels, et sa voix qui ne faiblit pas le moins du monde…au contraire, c’est plutôt nous qui n’en pouvons plus, à lui donner notre énergie, à chanter des Lorelei à tue-tête, comme des dingues…et des paumés.

Crachant l’amour-folie de leurs nuits-métropoles.

Ah on ne l’attend plus celle-là…et quand elle arrive…cette mélodie qui prend aux tripes… Ça me rappelle la première fois que je l’ai entendue, le premier morceau de Thiéfaine que j’ai écouté c’était celui-ci…première piste d’un fameux vinyle…

C’était un jour, en rentrant chez moi, je tombe sur un carton rempli de vinyles…les vieux disques de mes parents qui croupissaient à la cave. Ils voulaient s’en débarrasser…quelle blague ! Alors au lieu de ça on a racheté un tourne-disques et j’ai enfin pu écouter mes premiers 33 tours…

Ce sont des loups frileux au bras d’une autre mort
Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal
Ils ont cru s’enivrer des chants de Maldoror
Et maintenant, ils s’écroulent dans leur ombre animale

Je fouille dans le carton…qu’est-ce qu’on a… Téléphone, The Beatles, Le Beau Lac de Bâle, un triple de Woodstock…ah il est bien celui-là…Renaud, Eagles…et puis ce double vinyle de Hubert-Félix Thiéfaine…« En concert »…dans cette pochette façon « clap ». Mes parents m’avaient déjà parlé de cet artiste, alors je me dis pourquoi pas, c’est l’occasion. Je pose l’aiguille et…

Quelques notes énigmatiques. Le bruit de la foule. Les craquements de l’aiguille sur le sillon. La batterie qui arrive doucement. Les applaudissements du public. La batterie qui se fait plus présente. Quelques notes de guitare. Timides. Puis cette mélodie qui fait sa place. Et enfin cette voix, grave, posée, envoûtante…je crois que j’ai un faible pour les voix graves.

Les dingues et les paumés jouent avec leurs manies
Dans leurs chambres blindées, leurs fleurs sont carnivores
Et quand leurs monstres crient trop près de la sortie
Ils accouchent des scorpions et pleurent des mandragores

Le sens des paroles…bonne question. Mais au fond peu importe. Elles m’entraînent, elles me parlent, au-delà du sens…elles m’envoûtent, soutenues par cette mélodie lancinante, cette atmosphère si sombre et si prenante…c’est ça qui compte…

La solitude n’est plus une maladie honteuse

Je ne sais pas pourquoi cette phrase résonne plus que les autres…peut-être parce que j’aime la solitude quand j’la choisi sinon j’aime pas…mais je m’égare, dans la lune…celle-ci aussi on pourrait en parler, comme tant d’autres, ces chansons que je rêverais d’avoir écrites, mes plus belles chansons du monde, il y en a tellement…

Et cet ange qui me gueule : viens chez moi, mon salaud
M’invite à faire danser l’aiguille de mon radar

Le morceau s’arrête, et puis viennent les suivants. L’Ascenseur de 22h43. La môme kaléidoscope. Lorelei Sebasto Cha. Alligator 427. La fille du coupeur de joints. J’en passe. Tous aussi prenants les uns que les autres. L’aiguille quitte le sillon. La musique s’arrête. Je la replace au début, et c’est parti pour une écoute en boucle, encore et encore. Commence alors mon attrait pour cet artiste déjanté, ses textes à dormir debout, sa musique…

Est-ce que je fais partie des dingues ou des paumés ? Sans doute un peu des deux.

Nadja Crisafulli

Mr. Moonlignt – The Beatles

5 secondes.
5 petites secondes.
5 secondes et tout est dit.
5 secondes qui bouleversent.
5 secondes et je suis à nouveau avec lui.
C’est dingue la musique.
Il est en slip au milieu du salon, 8h30, dimanche matin.
Il est arrivé en chantant avec sa grosse voix et sa bonne humeur.
Il sort la cassette du coffret, la place dans la stéréo. Volume à coin. C’est parti.
5 secondes et tout est dit.
Envoyé, reçu, touché, émus.
Il adore les Beatles, moi aussi du coup.
Il adore Mr. Moonlight, moi aussi du coup.
Ce morceau il est beau parce je suis avec lui, qu’il est là avec moi, heureux, en slip, au milieu du salon.
Et quand il est heureux, il chante, à coin, et il écoute de la musique, à coin.
Et moi je suis heureuse aussi du coup.
Mr. Moonlight je ne l’écoute plus avec lui.
Mais à chaque fois que je l’écoute je pense à lui, en slip au milieu du salon.
J’en avais 12 à l’époque. J’en ai 38 aujourd’hui.
A chaque fois que j’entends ce cri du cœur, cet intro en hommage à la lune, ces 5 petites secondes, je me sens un peu plus proche de lui.
Et je suis heureuse.
La musique nous ramène la beauté des gens le temps d’un instant.
Il m’a rejointe avec sa joie, sa grosse voix, son p’tit slip et son gros bidon.
Il est heureux. Alors je suis heureuse aussi du coup.
Et je m’endors en me disant que ça lui va bien d’être la lune en somme…
Misteeeeeeee1eeeeeee2eeeeee3eeeeee4mooooooolight5

Darkine

Exercise One – Joy Division

Province du Limbourg, 16 ans.

Visites de familles, on nous accueille ma sœur et moi, on ne nous voit pas souvent alors on nous donne à chacun mille francs belges, puis à voix basse le flamand reprend le dessus, les regards se font condescendants, mais Bonneke (ma grand-mère maternelle) est tellement contente.

Ma mère est partie cinq ans plus tôt et a partagé avec Ian Curtis le procédé mis en œuvre.

Bruxelles, quelques jours plus tard.

On me largue sur la Grand-Place; elle quand même cool ma cousine Myriam d’avoir dit que j’allais faire du shopping avec elle. Je demande ma route, le type passera l’après midi à me faire la tournée des disquaires indépendants. Chez l’un d’entre eux je tombe sur une fourre cartonnée au toucher rêche, j’adore. Still.

Je pose le casque sur les oreilles, larsens, bass-batterie hypnotiques, voix caverneuse:

Time for one last ride
Before the end of it all

Il est temps pour un dernier voyage
Avant la fin de tout ça

Fin abrupte.

Voilà cinq cents francs bien investis !

Lancy, Cave Marignac, 17 ans.

Raphael, guitare et chant, Bourqui, basse, Gubi, batterie, moi, guitare. Premier concert, on a sept ou huit compos, on a trois reprises dans le set et on décide de commencer à l’unanimité avec Exercise One.

Je me rappelle tourner le potar ma stratocaster blanche (imitation est-allemande) à fond, m’approcher de l’ampli (fabrication est-allemande), accrocher le larsen, le tordre à coup de vibrato, la basse rentre, la batterie, le chant… ça passe, on est dedans, fin… y a du monde, ça applaudit, ça marche putain !

Ce soir là, on est restés à la fin avec tous un bonheur dingue, on avait fait le grand saut, on avait vaincu notre timidité, on avait changé de statut. Parce que, quand tu n’a pas la tchatche, la plume, des baguettes ou des cordes en acier sont parfois plus simples et plus directes.

Je crois même que quelques filles on remarqué mon existence.

Par la suite je suis passé aux exercices suivants, parfois je me suis planté, parfois j’ai pas osé tenter, dans tous les cas ce fut ceci que j’ai regretté.

Alors est ce qu’une chanson désabusée ça peut donner envie de croquer la vie ?

David Magnin

Si tu me paies un verre – Serge Reggiani

S’il faut choisir, j’ai choisi. Si tu me paies un verre, de Serge Reggiani.
C’est un peu une chanson de merde, mais quitte à trahir toutes mes autres chansons préférées, autant le faire pour elle.
Parce que cette chanson, elle te prend à la gorge en te tendant la main, tellement elle est simple et empreinte d’humilité.
Parce que Reggiani, avec sa voix grailleuse et toute son émotion, il te la chante droit dans le cœur.
Cette chanson, elle te donne envie de vieux bistrot et de rouge qui tache, elle te donne envie de vérités dérangeantes, de partage en silence, de larmes retenues et de promesses d’ivrogne.
Parce que Si tu me paies un verre, c’est l’élégance dans la détresse.
Elle prend la vie à rebrousse-poil, elle ne pose pas les mêmes questions que les autres, si t’es marié, si t’as un boulot, si t’as une maison… Elle ne te jauge pas sur la check-list habituelle. Tout ce qui compte c’est qui tu es là maintenant, et comment tu vas. Alors t’as envie de trinquer.
Pourtant, c’est une chanson qui n’a rien pour elle. L’intro ringarde, l’arrangement au piano qui casse pas des briques, le demi-ton entre chaque couplet… Le demi-ton! Le demi-ton, il ne nous le met pas une, pas deux, ni trois, mais quatre fois… fallait oser!
C’est un vieux truc qui date du XVIIe, le demi-ton qui redonne un coup de punch à la musique. Tu reprends le même thème, tout pareil, mais un demi-ton plus haut. C’est Beethoven qui avait eu l’idée le premier. Ça fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, t’en a plein qui l’ont copié depuis. Mais il faut l’assumer. Quatre fois le demi-ton… quatre! Putain, c’est digne d’un chant de supporter de foot ou d’hymne révolutionnaire à la Bella Ciao!
Mais quand avec ça, il te balance la douceur du timbre de sa voix, l’urgence avec laquelle il te la chante, et toute sa vulnérabilité, et bien t’as pas le choix, tu l’écoutes et t’as juste envie de lever ton verre, parce que putain, elle est belle cette chanson de merde!
B.

Why does my heart feel so bad? – Moby

C’est un peu des souvenirs qui jaillissent, ceux d’une petite fille et de sa sœur enfermées dans une voiture au milieu d’une Auvergne au ciel grisonnant, qui ne comprennent pas le sens des paroles mais pourtant
Elles leur vont si bien à cet instant
C’est un peu des moments d’adolescence au bord du lac en fin de soirée, un goût perdu de premiers baisers
Parfois retrouvé
C’est un peu vingt ans en 4 minutes 24, entre colère puis apaisement, entre désillusions et rêves, peurs de ne pas être assez, faire assez
Puis c’est de grands moments de solitude, à être témoin de la détresse des autres qui parfois rappellent la sienne
Comprendre un peu sa place dans ce monde sans vraiment savoir comment la remplir
Pourquoi mon cœur se sent si mal pourquoi mon âme se sent si mal

On m’a demandé d’écrire, et avec une bonne excuse pour écrire c’est plus facile
Ou peut-être cette chanson est une jolie excuse
Pleine de ces tristement beaux souvenirs
Qui soudain se mêlent à ceux qui sont en train de le devenir

C’est un peu des pauses clopes cafés au milieu de gamins qui vont pas très bien
Dont les cœurs se sentent mal et les âmes aussi alors qu’elles se construisent tout juste
C’est sûr que c’est un peu la plus belle chanson du monde, mais juste un peu, parce que j’aimerais bien avoir encore quelques excuses, quelques autres plus belles chansons du monde, pour écrire, juste un peu

Malou