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Exercise One – Joy Division

Province du Limbourg, 16 ans.

Visites de familles, on nous accueille ma sœur et moi, on ne nous voit pas souvent alors on nous donne à chacun mille francs belges, puis à voix basse le flamand reprend le dessus, les regards se font condescendants, mais Bonneke (ma grand-mère maternelle) est tellement contente.

Ma mère est partie cinq ans plus tôt et a partagé avec Ian Curtis le procédé mis en œuvre.

Bruxelles, quelques jours plus tard.

On me largue sur la Grand-Place; elle quand même cool ma cousine Myriam d’avoir dit que j’allais faire du shopping avec elle. Je demande ma route, le type passera l’après midi à me faire la tournée des disquaires indépendants. Chez l’un d’entre eux je tombe sur une fourre cartonnée au toucher rêche, j’adore. Still.

Je pose le casque sur les oreilles, larsens, bass-batterie hypnotiques, voix caverneuse:

Time for one last ride
Before the end of it all

Il est temps pour un dernier voyage
Avant la fin de tout ça

Fin abrupte.

Voilà cinq cents francs bien investis !

Lancy, Cave Marignac, 17 ans.

Raphael, guitare et chant, Bourqui, basse, Gubi, batterie, moi, guitare. Premier concert, on a sept ou huit compos, on a trois reprises dans le set et on décide de commencer à l’unanimité avec Exercise One.

Je me rappelle tourner le potar ma stratocaster blanche (imitation est-allemande) à fond, m’approcher de l’ampli (fabrication est-allemande), accrocher le larsen, le tordre à coup de vibrato, la basse rentre, la batterie, le chant… ça passe, on est dedans, fin… y a du monde, ça applaudit, ça marche putain !

Ce soir là, on est restés à la fin avec tous un bonheur dingue, on avait fait le grand saut, on avait vaincu notre timidité, on avait changé de statut. Parce que, quand tu n’a pas la tchatche, la plume, des baguettes ou des cordes en acier sont parfois plus simples et plus directes.

Je crois même que quelques filles on remarqué mon existence.

Par la suite je suis passé aux exercices suivants, parfois je me suis planté, parfois j’ai pas osé tenter, dans tous les cas ce fut ceci que j’ai regretté.

Alors est ce qu’une chanson désabusée ça peut donner envie de croquer la vie ?

David Magnin

Maintenant ou jamais – Michèle Bernard

Plus le temps passe, plus je lui ressemble.

Il y a toujours eu ce petit air de famille. Mais c’est quand j’étais du côté de l’ubac s’il faut parler montagne. Du côté chien et loup, du j’y va… j’y va pas. A l’époque où j’ai rencontré cette chanson, j’étais du côté sombre de mon histoire. Je m’emparais de la face Nord de l’Eiger, la grise, la dure, la toute raide gelée, celle où faut pas se presser, celle où l’on en meurt parfois.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…

J’ai dû crapahuter quelques cailloux, enjamber des collines, me taper des pics, califourchonner des crêtes, parfois me reposer sur un mamelon, puis franchir le sommet et enfin atteindre l’autre versant : l’adret, ensoleillé et vivant. J’étais accompagnée de cette petite mélodie de l’accordéon qui monte qui monte jusqu’en haut puis redescend, dévale tout du long de ma colonne. Ce qu’elle me fait comme effet cette mélodie, tu peux pas savoir.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…

Je veux dire que cette chanson a deux versants : l’ubac et l’adret. J’ai dormi dans l’ubac et je me réveille dans l’adret. Oui je lui ressemblais quand je trainais en pantoufles dans les couloirs de l’ubac, dans l’immobilité, dans le jamais, dans le ronflement. Les jours se suivent et seront les mêmes qu’hier et demain.
Mais ça c’était avant. Maintenant c’est…

Maintenant je lui ressemble vraiment.
Maintenant ou jamais, c’est maintenant !
L’adret.
Quand tes désirs sont sous une cloche, enfermés au chenil, quand on doit te sortir les mots au pied-de-biche et que tes émotions sont noyées dans de la glu, quand tu as poncé tes idées jaunes pour les faire toutes noires.
Quand t’as tout tenté pour exister, même mourir.
Alors j’ai mouru, mouru et encore mouru.
La peur, c’est la peur, la grande peur de ce mot grand comme une montagne : aimer. Puis c’est la peur de la peur, puis tu finis par aimer la peur.

Et un jour Bing ! C’est maintenant ou jamais ! Ça se réveille. Toute ta vie qui se retourne comme une crêpe, avec le Nutella par terre qui reste collé sur la moquette mais tu t’en fous. C’est maintenant ou jamais. Tu peux pas expliquer le pourquoi du comment (enfin tu as bien une petite idée), mais ça urge le maintenant. MAINTENANT. NOW. JETZT. AHORA. ΤΩΡΑ. Tu passes le mur du silence. Et vlan ! Appel d’air.
Et puis la mort est déjà passée par là, alors que te reste-t-il ? Le maintenant, à tout jamais !
Et la mélodie de l’accordéon continue sa grande escalade depuis le ventre et ouvre ma poitrine. L’effet qu’elle me fait tu peux pas savoir.

Il en aura fallu du temps et des « mufflées à l’eau-de-vie » avant qu’on commence à s’aimer. Apprendre à tout perdre pour enfin… oui enfin je peux te le dire : je t’aime.

Comme c’est étrange que ce maintenant ou jamais arrive avec les cheveux gris et les plis sur les joues, les taches sur les mains et le menton qui fait des petits. Je touche du bout des doigts mon visage de presque quinquagénaire et je susurre « c’est maintenant ou jamais ».

Plus le temps passe, plus je lui ressemble.
Bon, plus le temps passe et plus je ressemble à ma mère aussi, c’est vrai.

P.-S. J’ai toujours sifflé comme une bouilloire éméchée ou ébréchée, enfin trouée.

Sophie Solo

Pictures of You – The Cure

Oldenburg, ville du nord, très au nord, de l’Allemagne. Été 1989. Mes capacités à saisir toutes les nuances de la langue de Goethe étant ce qu’elles étaient, décision parentale avait été prise de m’envoyer en séjour linguistique pour un petit mois. Vous dire pourquoi à Oldenburg relève du mystère le plus absolu.

Voyage en train, il pleut à l’arrivée. Ma famille d’accueil dans le hall de la gare, mauvais film de vacances. Ils tentent d’entrer en contact. « Ya » ou « Nein » seront mes deux seules réponses, interchangeables en fonction de leurs regards ahuris. Je ne comprends rien.

Alors que mes compagnons d’infortune sont logés en ville, j’ai la chance d’être hébergé au loin, dans la banlieue oldenbourgeoise. .

Le lendemain, je découvre le quartier : villas, rues, jardins, haies et chiens. Au moins, il ne pleut plus.

L’école est au centre-ville. J’en ai bien pour 45 minutes de trajet lorsque je ne me trompe ni de bus ni de correspondance.

Pour couronner le tout, j’ai la joie de constater, un matin au réveil, qu’un nouvel arrivant squatte ma chambre (un Espagnol, ou Italien, je ne sais plus), également là pour se familiariser avec la culture germanique. Il a dû arriver pendant que je dormais à poings fermés.

Tomber plus bas reviendrait à creuser.

École, amis francophones, sorties, boîte (sympa, dans la boîte ils ont tendance à passer les morceaux que tu leur demandes quand t’arrives à te faire comprendre), balade en ville, magasin de disque, pochette au hasard qui me tape dans l’œil, retour à la maison, trente-trois tours sur la platine, il recommence à pleuvoir. Mais dans ma tête. Pas de cette pluie plombante, mais de celle qui arrive avec le soleil, averse d’été purificatrice pour un gamin de quinze ans. La claque en douceur. Pictures of You, un rideau, des guitares qui s’entrelacent, une basse, cette voix. 7 minutes 33 plus tard, j’ai le regard dans le vide. Oldenburg n’est plus la même, mon séjour ne sera plus le même.

Est-ce que je pourrais rester le même ?…

Anthony Weber