Ça n’est pas que je la préfère, pas que je la revendique, juste qu’elle me fait penser à toi.
Bien sûr, bien sûr qu’elle est parfaite. Qu’elle donne envie de se rouler par terre, de sauter nu sur un piano, de rouler des pelles à plein d’inconnus.
Accessoirement, c’est vrai.
Mais là n’est pas le propos.
Puisque mon propos c’est toi.
Pourtant on l’a écoutée et réécoutée, la voix pleine de gravier d’Amanda, sa grosse bouche, ses sourcils rasés. Elle est vraiment très belle, elle fait franchement flipper. On en a passé des heures devant ton ordi, a écouter toutes les chansons du monde et a remplir des cendriers. Alors pourquoi celle-là ?
Parce que c’est la première.
Et qu’à chaque fois que je l’écoute, je nous revois les deux, tout emmêlés dans nos squelettes encore trop mous pour être adultes. Premier jour d’un voyage de maturité qui, on ne l’a que trop dit, porte bien mal son nom. Les deux coincés sur ce si grand et crasseux bateau. La moquette était pleine de puces et les camionneurs polonais étaient pleins de mauvaises intentions. Nous, discrètement nous avons dérivés à quelques mètres du grand groupe, nous n’étions pas encore amis. C’est quand même absurde de se dire qu’il y a un avant toi.
Tu as mis un écouteur dans ton oreille, j’en ai pris un pour moi. Et puis play, et puis la claque. Mon dieu mais cette chanson ! Elle n’avait pas terminé le premier couplet que c’était déjà ma préférée.
Comme d’habitude, j’ai voulu écouter le début cinq fois de suite. Comme toujours, tu as été d’accord. Et jamais je n’ai trouvé quelqu’un d’autre pour me supporter à ce pointt.
Alors on ne s’est plus lâchés.
On a vidé des canettes à deux francs cinquante avec Tom Waits.
On a cuisiné pour nos amis avec LCD soundsystem.
On a marché avec David Bowie.
On a secoué notre carcasse avec We have band.
On a bien chialé avec Tracy Chapman.
On en a eu marre de Metronomy.
On a voulu grignotter les jambes du chanteur des Horrors.
On s’est tu sur les Bauhaus.
On a pris tout les bus de la campagne avec Jason Webley.
On s’est quand même bien marrés à écouter Céline Dion sur une aire d’autoroute.
On a été bien trop ivres avec She wants revenge.
On a écouté Stevie Wonder avec ta maman.
On a passé un océan avec les Kills.
On a traversé quelques années, qui nous font croire qu’un jour, nous aussi nous serons vieux.
Et de fil en aiguilles on a encore de la peine à croire qu’on s’est tellement bien trouvés qu’on arrive à se construire. On a assisté au défilé des amoureux et des amants, les tiens, les miens, mais dieu merci jamais les mêmes. Et de cuites en ruptures, de cartons et contrats, de tatouages en voyages, d’Usine en excès, et d’angoisses en succès, on ne remerciera jamais assez Amanda de nous avoir présentés.
On ne mesurera jamais vraiment la circonférence de notre amitié.
Marie D. Hayoz