Tous les articles par Marie D. Hayoz

Amanda Palmer – Leeds United

Ça n’est pas que je la préfère, pas que je la revendique, juste qu’elle me fait penser à toi.

Bien sûr, bien sûr qu’elle est parfaite. Qu’elle donne envie de se rouler par terre, de sauter nu sur un piano, de rouler des pelles à plein d’inconnus.

Accessoirement, c’est vrai.

Mais là n’est pas le propos.

Puisque mon propos c’est toi.

Pourtant on l’a écoutée et réécoutée, la voix pleine de gravier d’Amanda, sa grosse bouche, ses sourcils rasés. Elle est vraiment très belle, elle fait franchement flipper. On en a passé des heures devant ton ordi, a écouter toutes les chansons du monde et a remplir des cendriers. Alors pourquoi celle-là ?

Parce que c’est la première.

Et qu’à chaque fois que je l’écoute, je nous revois les deux, tout emmêlés dans nos squelettes encore trop mous pour être adultes. Premier jour d’un voyage de maturité qui, on ne l’a que trop dit, porte bien mal son nom. Les deux coincés sur ce si grand et crasseux bateau. La moquette était pleine de puces et les camionneurs polonais étaient pleins de mauvaises intentions. Nous, discrètement nous avons dérivés à quelques mètres du grand groupe, nous n’étions pas encore amis. C’est quand même absurde de se dire qu’il y a un avant toi.

Tu as mis un écouteur dans ton oreille, j’en ai pris un pour moi. Et puis play, et puis la claque. Mon dieu mais cette chanson ! Elle n’avait pas terminé le premier couplet que c’était déjà ma préférée.

Comme d’habitude, j’ai voulu écouter le début cinq fois de suite. Comme toujours, tu as été d’accord. Et jamais je n’ai trouvé quelqu’un d’autre pour me supporter à ce pointt.

Alors on ne s’est plus lâchés.

On a vidé des canettes à deux francs cinquante avec Tom Waits.

On a cuisiné pour nos amis avec LCD soundsystem.

On a marché avec David Bowie.

On a secoué notre carcasse avec We have band.

On a bien chialé avec Tracy Chapman.

On en a eu marre de Metronomy.

On a voulu grignotter les jambes du chanteur des Horrors.

On s’est tu sur les Bauhaus.

On a pris tout les bus de la campagne avec Jason Webley.

On s’est quand même bien marrés à écouter Céline Dion sur une aire d’autoroute.

On a été bien trop ivres avec She wants revenge.

On a écouté Stevie Wonder avec ta maman.

On a passé un océan avec les Kills.

On a traversé quelques années, qui nous font croire qu’un jour, nous aussi nous serons vieux.

Et de fil en aiguilles on a encore de la peine à croire qu’on s’est tellement bien trouvés qu’on arrive à se construire. On a assisté au défilé des amoureux et des amants, les tiens, les miens, mais dieu merci jamais les mêmes. Et de cuites en ruptures, de cartons et contrats, de tatouages en voyages, d’Usine en excès, et d’angoisses en succès, on ne remerciera jamais assez Amanda de nous avoir présentés.

On ne mesurera jamais vraiment la circonférence de notre amitié.

Marie D. Hayoz

All I want is you – Barry Louis Polisar

Six cordes, trois accords. Do do sol do, do do ré do. Clong, clong. Et puis une voix légèrement nasillarde, aussi agaçante qu’attachante. Le générique vient à peine de commencer qu’on aime déjà le film en entier. Une adolescente traîne son jeans dans sa banlieue propre, États-Unis et capuchon. Les feuilles tombent au-dessus du drugstore.

If I were a flower growing wild and free
All I’d want is you to be my sweet honey bee

Enfin, une chanson d’amour.

D’amour pour de vrai.

Vraiment, enfin.

Quatre couplets, un refrain, pour avoir quinze ans jusqu’à toujours. Avoir bien plus quinze ans que quand on les avait vraiment. Quatorze, peut être, quelque chose comme ça. Une chanson pour ceux qui préfèrent être amoureux en Converses plutôt qu’en escarpins. Parce qu’on n’a pas toutes envie d’être gracieuses ou mystérieux, fatales ou obséquieuses. Parce qu’on ne ressemble pas toutes, avec notre robe longue, à une aquarelle de Marie Laurencin. L’harmonica, ça fait aimer plus longtemps que les violons. C’est bien pour ça que cette chanson nous rappelle qu’être un amoureux réussi, c’est surtout marcher avec son walkman soudé aux tympans, et être content. Même si ça fait des années qu’on n’a plus ni walkman ni tympans, peu importe, là n’est pas la question.

And if I were a tree growing tall and green
All I’d want is you to shade me and be my leaves

C’est toute l’énergie et la bêtise des amours d’ados, c’est pour ceux qui ont écouté Nirvana alors que Kurt Cobain était déjà mort. Pour celles qui ont mis des jupes par-dessus leur pantalon, pour ceux qui ont mis des clous sur leur Eastpak. Ceux qui ont dragué sur MSN, qui n’ont pas vécu la chute du mur, qui ont, un temps, acheté tous leurs habits deux tailles au-dessus plutôt qu’une taille en dessous. Ceux qui ont aimé un peu tôt, avec trop de sérieux et de désinvolture. Parce qu’à cet âge-là, on ne sait rien faire d’autre que d’être amoureux, sérieux et désinvolte.

All I want is you, will you be my bride
Take me by the hand and stand by my side

Ça voulait aussi dire les débuts des déboires, cigarettes roulées, scarifs et désespoir. L’impertinence des vagues à l’âme. Et pourtant toujours à tue-tête, juste une bande d’indécis déboussolés, mais ô combien persuadés. C’est le sexe avant le droit de vote, le sexe avant le droit aux bars, le sexe tout le temps, sans jamais pouvoir. Serons-nous jamais aussi obsédés et adorables ?

All I want is you, will you stay with me
Hold me in your arms and sway me like the sea

C’est une chanson toute bête pour nous rappeler qu’on est quelques enfants perdus à espérer trouver quelqu’un. Quelqu’un pour jouer de la guitare sur un bord de trottoir plutôt qu’un conjoint pour monter des meubles et faire des apéros dînatoires. Génération Y jusqu’à plus soif, tout plutôt que de faire partie de la confrérie des connards aux verrines. Rien que quelqu’un pour faire l’amour sans jamais changer les draps, on aimerait mieux éviter d’être comme il faut qu’on soit. Pas forcément fiables, pas très impressionnants, ou juste des fois, comme ça, pour jouer. D’histoires d’amour en histoires d’autre chose, on ne se prend toujours pas pour les adultes qu’on est devenus.

Marie D. Hayoz