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The Serpentine Offering – Dimmu Borgir

L’exercice qui consiste à se demander quelle chanson est la plus belle du monde est TELLEMENT difficile, c’est à en attraper une migraine, à devenir fou, à jeter toutes ses notes à la poubelle.

En effet, comment faire un tel choix lorsque, comme moi, mettre de la musique est la première chose que l’on fait au réveil, qu’elle nous poursuit tout au long de la journée, jusqu’aux concerts quotidiens du soir, jusqu’aux DJ’s de fin de soirée et qu’on s’écoute encore un petit morceau avant de s’endormir?

Et par où commencer pour faire le tri? La chansonnette de Brassens que l’on fredonne pour se mettre de bonne humeur au petit déj’? Le rap bien dépressif que l’on écoute face à la pluie en allant travailler? Le bon rockabilly qui sort des enceintes du sac à dos, quand on zigzague sur son vélo en plein soleil d’été? La vieille démo – en cassette, bien sûr – d’un obscur groupe de punk français enregistré en live avec un seul micro au plafond mais qui fait remonter tant de souvenirs: la bière tiède, le rire des copines, l’odeur du squatt au petit matin?

J’avais d’abord pensé à L’École de la Rue, de OTH, souvenir lointain, jeune ado, d’un début de soirée dans un squatt bien paumé où tout les punks hurlaient les paroles de cette chanson antiscolaire: « …ceux qui savent que leur avenir, ils ne le gagneront pas sur les bancs… » Mais je me suis dit que je ne pouvais pas citer OTH au déficit des Bérurier Noir, mythique groupe qui m’a fait devenir punk dès les premières secondes d’écoute de La Mère Noël sur un vieux magnéto au son grinçant.

Mais il est trop facile de citer un groupe aussi connu (pourquoi pas The Exploited, pendant qu’on y est?), c’est un peu comme répondre « Picasso » quand on cherche à citer un peintre et qu’aucun autre nom ne vient à l’esprit, trahissant par là un manque de culture picturale alarmant.

Alors il faudrait peut être piocher dans le classique. Ces montées incroyables, qui retombent en alternance dans un silence de plomb. La 9ème de Dvorak, la 9ème de Beethoven…qu’est-ce qu’ils ont tous à réussir la 9ème mieux que les huit précédentes? Mais du classique je ne connais que les plus célèbres et je passerai donc pour un plouc, comme dans l’exemple précédent.

Mon astuce consiste donc de prendre un mélange des deux: des sons inspirants la musique de film, avec ce qu’il faut de rock pour décoller. Et qui ferait ça aussi bien que le Metal ?

En l’occurence j’ai choisi The Serpentine Offering de Dimmu Borgir.

Les premières secondes commencent très doucement – c’est la chanson d’introduction de l’album, une sorte de grondement accompagné d’un son de cloche, puis ça monte dans les aigus, vite rejoint par les cuivres, très graves, très lourds; tandis qu’un son de voix caverneux, une mélopée diabolique apparaît. Et là, c’est l’explosion de la batterie, d’une rapidité renversante, accompagnée d’une lente mélodie des grandes orgues de l’Apocalypse. Le chant commence alors, rauque et aïgu à la fois, lent, typique du Black Metal Symphonique. « I am hatred, darkness and despair! » Les guitares électrique commencent à cracher. Une courte pause mélodique, puis le chant reprend, d’une voix de goule, scandant le refrain: « Hear my offering, ye bastard sons and daughters: share my sacrifice! Share my sacrifice! ».

Toute l’imagerie du Black Metal est là: le feu, l’acier, la roche glacée, le ciel se couvrant de noir. Encore un cri et la terre s’ouvre, précipitant le monde dans les abîmes infernales tandis que les hordes démoniaques se répandent sur la terre…n’y a-il donc nul espoir? Hélas, non.

Tandis que le morceau se termine d’un coup sec, je jette un coup d’œil dans le miroir: mon regard est devenu plus sombre, mon sourire est plus méchant et mes cheveux semblent étrangement avoir poussés.

OliveDKS

Et si en plus y’a personne – Alain Souchon

Y’a les chansons qui t’évoquent des souvenirs, qui frappent à la porte de ta mémoire, plus ou moins brusquement, viennent gratter dans le mille, dans la chair qu’on a froide et qui taillent sous la peau. Y’a ces chansons qui questionnent, qui dérangent, qui portent haut ta voix, ce que t’as en toi, qui mettent des mots, qui galvanisent, qui te font te sentir moins seul. Y’a ces vers que t’admires, que t’aurais aimé écrire, qui te laissent con tant ils disent tout en si peu, si bien, juste la substance, juste l’essence, et la mélodie qui fait sens.

Et puis y’a ces chansons qui ont tout, sublime alchimie qui te retourne, que tu prends dans la gueule, qui te filent le vertige, qui grattent tout et partout, qui creusent, qui transpercent, bien profond sous la peau, qui bouleversent. Cette chanson me bouleverse. Elle me traverse de part en part.

Toujours la même sensation entre la mâchoire et les omoplates, la même intensité, le même vide abyssal. Trop d’évocations. Trop de souvenirs. Trop de visions. Cette chanson me dépasse, elle me rend trop humain, bancal, au bord du précipice de la pensée.

Elle est sublime dans son sens infini. Parce qu’elle porte tant, tant de sens, tant d’enjeu, tant d’histoire, tant de questions. Dès ses premières notes de synthé qui déroutent. A chaque fois. Le même impact. Le même lourd frisson parti du haut du dos. Le même souffle court, les yeux noyés, le nœud dans la gorge, la bouche entrouverte. A chaque fois. C’est inscrit en moi.

Abderrahmane, Martin, David, et si le Ciel était vide ?

Boum ! K.O. d’entrée. Deux vers, et le poids colossal de millénaires ensanglantés sur les épaules, le poids gigantesque et indécent de millions de prières dans le vide, de millions de morts pour rien (ou pour le simple plaisir de zigouiller). Et si… Le simple fait de soulever la question. Qu’on s’est déjà posée mille fois, bien sûr, mais… Et si… Si bien posée. Et en écho toutes les fondations prêtent à s’effriter, toute cette culture qui nous a faits, dans laquelle on a baigné, qui nous a façonnés, qui nous façonne tous, jusqu’au plus athée.

Tout ça en équilibre. Et si

Et ces images qui remontent à la tronche, ces souvenirs d’enfance, toutes ces processions, ces jolis cantiques (antidouleurs ?), ces têtes inclinées… Toutes ces certitudes. Tous ces bréviaires. Et tous ces espoirs. Tout cet amour. Tout ce partage. Qu’on ait la foi ou qu’on ne l’ait pas, qu’on l’ait perdue ou jamais cherchée, ça nous façonne. Et si

Tant d’angélus. Tant d’obscurantisme. Tant de peurs souhaitées. Tant de lâcheté. Tant d’œillères. Tant d’intégrisme. Tant de revolvers. Tant de troupeaux. Tant de textes bafoués. Tant de prophètes détournés. Tant d’œuvres anéanties. Tant de haine.

Et siEt si en plus y’a personne…

 

Xavier MICHEL, 1er mai 2017

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=JvkMnHXtHzc

Suzanne – Leonard Cohen

C’est lui qui m’a fait découvrir cette chanson. Il en apprenait petit à petit des passages sur sa guitare douze cordes. Chaque jour, j’entendais quelques arpèges de plus. Je croyais qu’il les composait. Nous passions nos journées à encadrer les jeunes, et le soir venu, quand tous dormaient, il allait un moment dans sa chambre et j’entendais le scintillement, les perles mélancoliques, les roulis fluides. Un murmure aussi, le début d’une mélodie. Quand il revenait dans la salle de séjour où les moniteurs du camp étaient réunis, je n’osais pas lui demander. J’étais amoureuse déjà, je crois. Il me lançait des regards où se mélangeaient assurance et timidité. Nous nous entendions bien et faisions en sorte de nous occuper du même groupe pour les sorties. Les journées étaient merveilleuses, nous riions beaucoup.

Un soir, sa voix a doucement traversé la porte. Les mots en anglais étaient mystérieux pour celle qui ne les comprenait pas. La mélodie était triste, mais c’était une tristesse qui, alors, creusait un océan de profondeur dans mon bonheur naissant – dont un jour il ne resterait rien, qu’une brûlure. « Affreusement belle », ai-je d’ailleurs pensé. Une déchirure claire, une lente caresse de souffrance: déjà, cette ode me parlait de perte irrémédiable, de ciel brisé, d’une distance que rien ne réparera jamais.

J’ai osé: « Je t’ai entendu chanter, c’est toi qui l’as écrite? » Il m’a regardé avec de grands yeux affolés, surpris, pudiques: « Non ! Non! Si seulement… Tu connais Léonard Cohen? » – « Non. » – « C’est de lui… je te ferai écouter. Habituellement, je préfère jouer des trucs de blues, mais je suis tombé sur son disque récemment et j’avais envie d’apprendre ce morceau… On dirait une prière, un champ adressé à l’immensité, tu ne trouves pas? » – « Si, si, j’aime beaucoup. Je ne comprends pas les paroles, mais tu la chantes joliment… » Il a rougi, s’est perdu dans un silence confus. C’était la première fois qu’au lieu de courir à travers champs, l’attention tournée vers les superbes paysages, nous nous retrouvions juste les deux, au calme, échangeant ces impressions secrètes, intimes. J’avais deviné au premier regard que je lui plaisais, mais je commençais seulement à m’imaginer qu’il pouvait apprécier ma compagnie. Il ne parlait guère de lui. « C’est la chanson la plus tendre que je connaisse. On dirait la face cachée du blues, celle où les accords ne griffent pas, où les larmes, au lieu de rouler dans la poussière des visages, restent crochées aux cils, vacillantes, une croisée des routes où personne n’a vendu son âme au diable. C’est un blues sans violence, sans rudesse, un blues sans ces angles harmoniques aigus, ces solos qui te cassent les dents… Oui, un blues aux angles doux, aux voix de velours, aux guitares paisibles comme des chats qui ronronnent, un blues dont les mains ne savent que faire, et qui reste suspendu au milieu de la pensée… Je ne peux pas me l’expliquer, c’est comme une tristesse qui refuse le cri et te rentre dedans, reste coincée entre les murs de peau et te voyage dans le ventre, infiniment. J’ai la solitude qui s’engouffre par toutes les crevasses de l’âme quand je l’écoute. C’est bizarre, je ne devrais pas l’écouter alors, mais j’aime ça. J’aime l’opacité claire, la pénombre lumineuse où elle m’emporte, je me souviens de toutes les choses qui ont compté. Et parfois, elle m’aide à reconnaître celles qui comptent aujourd’hui. Tu vois? » – « Mh » – « Elle parle aussi de confiance, d’abandon. De pouvoir donner son cœur à quelqu’un sur une évidence… » Il me dira quelques semaines plus tard que c’était sa façon de m’avouer qu’il m’aimait, qu’il était tombé amoureux très vite et très fort, et que chacun de nos rires sous le grand ciel du jour ne faisait qu’aggraver son état, qu’il avait peur même s’il le cachait bien, et qu’il n’avait pas trouvé d’autre moyen d’épancher un peu ses sentiments.

Je n’ai jamais pu écouter Suzanne sans pleurer. Les images qui apparaissent, les souvenirs, l’humeur qui grandit d’un seul coup, comme une fleur émergeant du sol aux premières notes et s’épanouissant au bout de la dixième, tout me bouleverse. Quand je me suis retrouvée seule, abandonnée, toute confiance anéantie, j’ai eu besoin de comprendre les paroles. Ça ne m’a pas beaucoup avancée à vrai dire. Mais cette phrase me laisse dans un trouble qui ouvre à toutes les interrogations: « il a touché ton corps parfait de son esprit ». L’éther d’un corps et la carnation d’un esprit. Ce que, d’une façon, je suis devenue. Pourtant j’ai respiré, longtemps, assez longtemps pour aimer. Je n’ai de ma vie aimé qu’un seul homme, lui, et cette chanson est restée l’hymne d’une romance devenue vie de famille, tendre bonheur de vingt ans. Puis hymne d’une déchirure rassemblant toutes les déchirures, chant d’une tristesse qui n’a pas eu le temps de finir, de se résorber, d’éclore entourée de nouvelles confiances, de possibles abandons. Mon corps d’esprit a emporté ma pensée de chair, et je vibre désormais dans les ondes éternelles d’une chanson qui résonne aux quatre coins de la planète, au cœur des vivants.

J’aurais aimé écrire ce texte. Mais mon fils l’aura fait à ma place, et c’est peut-être ainsi que nous ne disparaissons pas totalement. Je me souviens de toutes les choses qui ont compté. Je ne crois pas qu’une chanson soit meilleure qu’une autre. Mais celle-ci, de toutes les fabrications musicales humaines, est souvent ma préférée, celle qui me fait vivre les émois les plus subtils et les plus violents; celle qui me rend le plus douloureusement heureuse, le plus délicatement triste; celle qui peut m’anéantir et me recomposer. Je ne sais plus ce que c’est que d’être vivante, mais j’ai rarement eu le sentiment de l’être autant qu’à ces quelques occasions: aimant mon homme, aimant mes enfants, et aimant cette chanson.

Boris Dunand

La vie ne vaut rien – Alain Souchon

Je ne sais pas quand, la première fois, j’ai entendu ce bijou, cette petite perle de chanson tombée du ciel dans les cordes d’un Souchon magicien.

Je n’ai pas d’histoire d’amour qui a fait son nid sur cette chanson, ni perdu de plumes de l’enfance, ni découvert un secret de la vie, rien vécu de particulier au rythme de ses mots.

Cette chanson n’a pas besoin d’anecdote pour être simplement la plus belle chanson du monde, elle se suffit à elle-même.

Moi, quand j’écoute cette chanson, j’aimerais rire et pleurer en même temps, boire un chocolat chaud emmêlée dans des bras tendres, et chuchoter avec Souchon que rien, rien, rien… rien ne vaut la vie.

Je ne sais pas quand, la première fois, j’ai entendu cette merveille, je sais que la prochaine fois n’est jamais bien loin…

Moi je dis, rien, rien, rien… rien ne vaut cette chanson.

Loraine Félix