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Look What Love Has Done – Chris Whitley

Il y a des chansons qui, même si on ne les écoute plus, flottent encore dans un coin reculé de la mémoire, chantent doucement l’air précieux d’antan. Lueur infime dans la nuit des songes, trace subtile dans le timbre d’une oreille, courbe sinueuse marquée sur les mélodies qui viennent en gorge. À moins que ce ne soit là qu’images romantiques pour faire l’histoire belle, remplir de fantasmes le vide incertain laissé derrière soi: de ces contes qui servent à tenir debout au présent, et qui peuplent demain de repères. Peut-être la chanson n’est-elle pas plus importante que son auteur et toute l’affection qui lui fut portée. Quinze ans pour remonter à la source. Je me souviens, les casques sur les oreilles, un grand magasin de la ville, la stupeur – le monde condensé tout entier au milieu du crâne, dans cette expérience d’écoute, d’immersion, d’invasion. Les hameçons se fichaient un à un sur ma peau: les diaprures de blues posées sur chaque note de guitare, la tristesse délicate dans les yeux de ces fêlures vocales, la rage désespérée venue du fond d’un autre ventre. L’étrangeté organique de ces arrangements, et quelque chose d’une détermination radicale, d’une fougue adolescente mûrie au feu de l’expérience. Mais j’ai dû penser ça autrement, alors: « Aouch, ‘tain c’est beau… » Ou plutôt rien pensé du tout: regard dans le vide, silence réflexif, sidération. Regarde ce que l’amour fait.

Ces chansons rangées sur le rayon, inscrites quelque part dans le sillon d’une platine, qui ont creusé de profondes saillies dans les veines du vivant, elles emplissaient des journées entières. Elles sont encore là sans y être. Qu’en reste-t-il? Fred était sans doute avec moi au magasin. Je tenais un joyau. Il y avait toujours cette petite atmosphère de compétition. Chris Whitley, ce serait ma pépite. Fier: moi qui ai découvert, regarde, écoute. Nathalie, elle s’appelait, c’est sur elle – si j’ose dire – que notre amitié a posé sa première connivence. Collège, semaine une, il était assis à côté de moi dans le couloir, on se connaissait de vue mais on n’avait encore jamais discuté. Nathalie est passée… Silence (l’amitié et les silences). On se regarde (l’amitié et les regards). Mines déconfites, paupières désolées, mâchoires perplexes, premiers mots: on était d’accord (l’amitié et les filles). Mais j’étais quand même plus croché que lui. Grave. Trois ans sans oser un mot. Même pas durant les dix minutes du remonte-pentes 4 places où nous n’étions que les deux. Rien qui sort. Sidération. J’aurais aimé lui chanter: « Look what love has done »

Oui, j’étais plus amoureux de Nathalie que lui. Disons que moi je l’étais vraiment, lui se rinçait les yeux: elle faisait pleurer. Elle avait la grâce délicate, angélique. Et j’étais plus dingue de Chris Whitley aussi. Fred jouait de la batterie, écoutait du jazz, délirait sur Elvin Jones. Moi je me glissais dans la peau du guitariste-chanteur, l’identité confusionnait. C’est de tous les disques, Living with the law, celui sur lequel j’ai le plus chanté – à des hectares de circonférence. Pourtant la guitare en open tuning, l’expertise de la main droite, le slide, tout ça me laissait sans repères, incapable d’apprendre les morceaux, à jamais tenu dans les zones d’un désir parfait: inassouvi et fleurissant. Le dobro aux crasseuses métalliques, les accords, ça ne ressemblaient à rien de ce que je connaissais, sinon quelques évocations des disques de mon père. (Je vois la fourre jaune d’un Big Billy Bronzy terreux et magnifique). Fred, c’est le meilleur ami qui m’a permis de franchir les années crasses, métalliques, désaccordées de l’intérieur, avec qui je pouvais parler de l’expertise de la main droite, de nos désirs inassouvis et fleurissants, des chansons qui nous restaient coincées dans la gorge devant ces filles trop belles. Nos regards leur glissaient dessus comme un slide sur des cordes, sauf qu’elles ne semblaient jamais entendre la belle musique de nos émois. Ça nous rendait tristes, quand même. Regarde ce que l’amour fait.

On avait eu droit à un traitement de faveur du prof de latin: un cours en privé, lui et nous – et c’est pas parce qu’on était particulièrement brillants, le traitement de faveur. On n’en menait pas large. On aurait dit César, vraiment. Un grand brun royal, une gueule imposante, la voix sévère, tenue altière, immense. César en personne nous enseignait le latin. C’était des séances de frayeur, chacun comptant sur l’autre pour se tirer de la panade, plongeant le nez sur le bureau, devinant les pieds de l’empereur juste là, à un mètre de nous, terrifiant. Son empire n’a rien pu pour sauver nos frégates en perdition: les déclinaisons déclinaient, on n’avait pas l’amour de la rosam… La scansion et nous, c’était comme essayer de joindre les beats d’Elvin à la diction de Chris: hors de portée. On avait des sanglots de rire en sortant de là, les paumes moites et les fesses fébriles. Parfois j’imagine cette période sans ce lien de confiance, sans le privilège de notre amitié, et je frissonne à la solitude écrasante qui se dessine. Sidération. Regarde ce que l’amour fait.

J’aimais les lancées aiguës proches du cri, les décrochages du larynx, le mélange de rugosité et de douceur. Il y avait une jouissance à l’écouter, Chris, et à chanter avec lui. Ça exultait quelque chose, c’était poétique et brutal, ça sentait la sueur, l’intimité, la tendresse, c’était à la fois complexe et direct, palpitant. It’s hard living with the law. C’est dur de vivre avec la loi. Mais c’est sans doute bien pire de vivre sans elle. Les lois de la camaraderie faisaient un pendant aux lois parentales, les lois scolaires donnaient l’occasion de rencontrer les lois des filles, et les lois de César resserraient celles de l’amitié! C’était une période de commerce intensif, légalement parlant. J’avais le respect de l’ordre bien imprimé dans les gestes. Les évasions musicales faisaient des respirations existentielles salvatrices. Pendant les cours, je jouais des solos dans ma tête: je voyais les doigts. Ivre dans le train vers Prague, Nathalie ayant quitté le collège et mon cœur depuis un moment, je chantais Chris Whitley pour les non initiés du couloir, Fred se marrait copieusement, et je ne sais pas trop a fortiori si mon généreux hommage au musicien lui fit vraiment honneur… C’était la fameuse semaine du voyage de maturité. Celle où j’ai vu mes premières étoiles contre les lèvres de Tizi: mon initiation à la vraie langueur d’un baiser, je l’avoue – « no one can disguise » – et à la vraie douleur d’en être aussitôt privé – « somebody always crying somewhere ». Regarde ce que l’amour fait.

On ne se rend pas toujours compte de l’importance vitale d’une présence. Un ami. Une chanson. Chris Whitley, peu le connaissaient, et je l’avais en source d’étonnement pour autrui, comme une étoffe à présenter. Je connaissais toutes les paroles par cœur, il y avait, dans l’estime que je tentais de me porter, ce faire-valoir, et l’aspiration à chanter un jour comme lui. C’est pas rien, comme forme donnée, structure d’intimité, fantasme identitaire. Chris est resté dans ma discothèque, le lien a changé, mais la passion renaît parfois de ses cendres quand j’écoute l’invraisemblable talent du songwriter décédé trop tôt, sans même que je ne le sache, 45 ans, cancer. Je me suis souvenu du tout premier interview que j’avais lu dans un Rock&Folk: il buvait des Coronas comme d’autres allument le prochain clope avec le précédent. J’ai ressenti comme un abandon de ma part: je ne l’avais pas suivi jusqu’au bout, et il était parti sans que je le voie venir – pour ainsi dire… Avec Fred aussi, le lien a changé. J’aurais aimé pouvoir user de ces registres vocaux où la parole échappe au contrôle, décrocher la colère rentrée, oser donner à la tendresse la vie de sa complexité, la rugosité de son vivant, évaser la panoplie de nos humeurs. Je ne pouvais pas. La proximité s’est trouvée parasitée de chants retenus, gangrénée de tumeurs symboliques au moment où nos vies prenaient la tangente. Elvin Jones, Chris Whitley, bifurcations. Désormais, il reste un profond respect, les allusions aux vieilles complicités, et tous les secrets échangés, le trésor des générosités reçues. Je me souviens d’une bouteille de champagne, vidée en douce derrière le collège pour fêter l’un de nos anniversaires: on savait se traiter. Ce jour-là, j’ai éprouvé toute la conscience du cadeau que constitue une amitié dans une vie. Je me demande si une chanson pourra jamais rivaliser – même la plus belle. Regarde ce que l’amour n’a pas su faire.

Suzanne – Leonard Cohen

C’est lui qui m’a fait découvrir cette chanson. Il en apprenait petit à petit des passages sur sa guitare douze cordes. Chaque jour, j’entendais quelques arpèges de plus. Je croyais qu’il les composait. Nous passions nos journées à encadrer les jeunes, et le soir venu, quand tous dormaient, il allait un moment dans sa chambre et j’entendais le scintillement, les perles mélancoliques, les roulis fluides. Un murmure aussi, le début d’une mélodie. Quand il revenait dans la salle de séjour où les moniteurs du camp étaient réunis, je n’osais pas lui demander. J’étais amoureuse déjà, je crois. Il me lançait des regards où se mélangeaient assurance et timidité. Nous nous entendions bien et faisions en sorte de nous occuper du même groupe pour les sorties. Les journées étaient merveilleuses, nous riions beaucoup.

Un soir, sa voix a doucement traversé la porte. Les mots en anglais étaient mystérieux pour celle qui ne les comprenait pas. La mélodie était triste, mais c’était une tristesse qui, alors, creusait un océan de profondeur dans mon bonheur naissant – dont un jour il ne resterait rien, qu’une brûlure. « Affreusement belle », ai-je d’ailleurs pensé. Une déchirure claire, une lente caresse de souffrance: déjà, cette ode me parlait de perte irrémédiable, de ciel brisé, d’une distance que rien ne réparera jamais.

J’ai osé: « Je t’ai entendu chanter, c’est toi qui l’as écrite? » Il m’a regardé avec de grands yeux affolés, surpris, pudiques: « Non ! Non! Si seulement… Tu connais Léonard Cohen? » – « Non. » – « C’est de lui… je te ferai écouter. Habituellement, je préfère jouer des trucs de blues, mais je suis tombé sur son disque récemment et j’avais envie d’apprendre ce morceau… On dirait une prière, un champ adressé à l’immensité, tu ne trouves pas? » – « Si, si, j’aime beaucoup. Je ne comprends pas les paroles, mais tu la chantes joliment… » Il a rougi, s’est perdu dans un silence confus. C’était la première fois qu’au lieu de courir à travers champs, l’attention tournée vers les superbes paysages, nous nous retrouvions juste les deux, au calme, échangeant ces impressions secrètes, intimes. J’avais deviné au premier regard que je lui plaisais, mais je commençais seulement à m’imaginer qu’il pouvait apprécier ma compagnie. Il ne parlait guère de lui. « C’est la chanson la plus tendre que je connaisse. On dirait la face cachée du blues, celle où les accords ne griffent pas, où les larmes, au lieu de rouler dans la poussière des visages, restent crochées aux cils, vacillantes, une croisée des routes où personne n’a vendu son âme au diable. C’est un blues sans violence, sans rudesse, un blues sans ces angles harmoniques aigus, ces solos qui te cassent les dents… Oui, un blues aux angles doux, aux voix de velours, aux guitares paisibles comme des chats qui ronronnent, un blues dont les mains ne savent que faire, et qui reste suspendu au milieu de la pensée… Je ne peux pas me l’expliquer, c’est comme une tristesse qui refuse le cri et te rentre dedans, reste coincée entre les murs de peau et te voyage dans le ventre, infiniment. J’ai la solitude qui s’engouffre par toutes les crevasses de l’âme quand je l’écoute. C’est bizarre, je ne devrais pas l’écouter alors, mais j’aime ça. J’aime l’opacité claire, la pénombre lumineuse où elle m’emporte, je me souviens de toutes les choses qui ont compté. Et parfois, elle m’aide à reconnaître celles qui comptent aujourd’hui. Tu vois? » – « Mh » – « Elle parle aussi de confiance, d’abandon. De pouvoir donner son cœur à quelqu’un sur une évidence… » Il me dira quelques semaines plus tard que c’était sa façon de m’avouer qu’il m’aimait, qu’il était tombé amoureux très vite et très fort, et que chacun de nos rires sous le grand ciel du jour ne faisait qu’aggraver son état, qu’il avait peur même s’il le cachait bien, et qu’il n’avait pas trouvé d’autre moyen d’épancher un peu ses sentiments.

Je n’ai jamais pu écouter Suzanne sans pleurer. Les images qui apparaissent, les souvenirs, l’humeur qui grandit d’un seul coup, comme une fleur émergeant du sol aux premières notes et s’épanouissant au bout de la dixième, tout me bouleverse. Quand je me suis retrouvée seule, abandonnée, toute confiance anéantie, j’ai eu besoin de comprendre les paroles. Ça ne m’a pas beaucoup avancée à vrai dire. Mais cette phrase me laisse dans un trouble qui ouvre à toutes les interrogations: « il a touché ton corps parfait de son esprit ». L’éther d’un corps et la carnation d’un esprit. Ce que, d’une façon, je suis devenue. Pourtant j’ai respiré, longtemps, assez longtemps pour aimer. Je n’ai de ma vie aimé qu’un seul homme, lui, et cette chanson est restée l’hymne d’une romance devenue vie de famille, tendre bonheur de vingt ans. Puis hymne d’une déchirure rassemblant toutes les déchirures, chant d’une tristesse qui n’a pas eu le temps de finir, de se résorber, d’éclore entourée de nouvelles confiances, de possibles abandons. Mon corps d’esprit a emporté ma pensée de chair, et je vibre désormais dans les ondes éternelles d’une chanson qui résonne aux quatre coins de la planète, au cœur des vivants.

J’aurais aimé écrire ce texte. Mais mon fils l’aura fait à ma place, et c’est peut-être ainsi que nous ne disparaissons pas totalement. Je me souviens de toutes les choses qui ont compté. Je ne crois pas qu’une chanson soit meilleure qu’une autre. Mais celle-ci, de toutes les fabrications musicales humaines, est souvent ma préférée, celle qui me fait vivre les émois les plus subtils et les plus violents; celle qui me rend le plus douloureusement heureuse, le plus délicatement triste; celle qui peut m’anéantir et me recomposer. Je ne sais plus ce que c’est que d’être vivante, mais j’ai rarement eu le sentiment de l’être autant qu’à ces quelques occasions: aimant mon homme, aimant mes enfants, et aimant cette chanson.

Boris Dunand

Avec le temps – Léo Ferré

Pour bien plomber le décor, les plus belles chansons du monde sont celles qui me font pleurer. Rien à faire, il faut admettre que je suis un clown triste. “La vie est trop belle je me tue à vous le dire”, s’évertue à chanter Pascal Mathieu.

Pas étonnant alors qu’Avec le temps de Léo Ferré devienne ma chanson culte, celle qui vient troubler la fête quoiqu’il advienne. Une musique envoûtante qui vous rappelle que vous avez oublié les mouchoirs lors de vos dernières emplettes à la supérette et que la période de turbulences sera dure à traverser.

Avec le temps, va, tout s’en va,
Le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien…

… L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
L’autre qu’on devinait au détour d’un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
Avec le temps tout s’évanouit.

… On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens

… Et l’on se sent floué par les années perdues, alors vraiment
Avec le temps on n’aime plus.

Le soulagement par une mort violente vous traverse la tête, vous cherchez un moyen, vous cherchez trop longtemps et vous ne faites rien.

Roland Le Blevennec

The River – Bruce Springsteen

Il s’avance en paletot gris, lâche quelques mots timides. « This is a song called The River. This is new… This is… my brother-in-law and my sister ». Timides… sans doute l’adjectif qui correspond le moins à Bruce Springsteen. Même en cet automne 1979 : trente ans à peine, une énergie de chien fou qui explose sur scène depuis cinq ou six ans. Y compris, après le triomphe de Born to Run (1975), dans des salles immenses. Autant dire qu’il n’a aucune raison de se montrer impressionné par cette soirée au Madison Square Garden : après tout, il se trouve ici chez lui, à New York, devant un public bon enfant, présent autant pour une cause à défendre que pour la musique : la soirée est organisée par les Musicians United for Safe Energy. Des antinucléaires, quoi, voyez-vous, c’est l’époque.

Oui, mais voilà : ce 23 septembre 1979, Bruce Springsteen chante pour la première fois The River. Et il sait. Regardez le document (No Nukes, le film, est sorti en 1980) : dans sa voix (timide, absolument), dans son regard, on sent l’importance de ce moment. Il sait qu’il va donner au monde une de ces chansons qui peuvent sauver une vie. Eh oui, rien que ça.

Bien sûr, Springsteen a déjà derrière lui des chefs-d’œuvre, Thunder Road, The Promised Land et quelques autres. Avec The River, il touche une autre dimension. Avec The River, il parle certes de sa sœur et de son beau-frère (anecdote véridique), mais aussi du rêve américain, central dans toute son œuvre. « Mon travail a toujours consisté à mesurer la distance entre le rêve américain et la réalité », déclarait-il dans une récente interview.

Là, il va plus loin, plus fort, plus haut. Écoutez-la, réécoutez : aucun doute, il parle de nous, de vous. De moi, de toi. En quelques minutes (cinq minutes et trois secondes exactement pour cette première en public), entre la déchirante intro à l’harmonica et les ouhouhouhouhou qui s’évanouissent dans le lointain, c’est le destin de tout être humain qui défile. Et peut-être plus encore. De quoi intimider même celui que l’on surnomme déjà le Boss.

Depuis, Springsteen a dû la jouer près de 600 fois en concert. Toujours, un silence dans le stade. L’harmonica, ce frisson. « I come from down in the valley, where Mister when you’re young… »

Résonne alors une nouvelle fois l’histoire de ce jeune couple, sa rencontre à 17 ans, dans cette vallée où l’on ne vous apprend qu’à faire ce que faisait ton père. Le mariage, sans fleur ni robe, à 19 ans, parce que Mary est enceinte. Ce couple si banal, admirable de banalité, qui fait face quand tombe le chômage, quand il comprend que ce n’est pas la vie dont il rêvait. Quand il ne reste plus qu’à faire comme si on s’en foutait ou comme si on avait oublié. Mais on n’a rien oublié, ni les virées nocturnes dans la voiture du frangin, ni ta peau bronzée et humide au bord de la rivière.

La rivière, ils y retournent, toujours. Alors même qu’elle est asséchée et qu’ils le savent. Aussi poignante et désabusée soit-elle, la chanson garde cet élan dérisoire, cette envie de croire que l’eau va couler à nouveau sur les galets usés. Qu’elle peut revenir, pour laver la poussière laissée par nos rêves enfuis. Dis-moi, un rêve est-il un mensonge s’il ne se réalise pas ou est-ce quelque chose de pire encore?

Éric Bulliard
Décembre 2013