Archives de catégorie : Chansons

Il faut que je m’en aille – Graeme Allwright

J’ai neuf ans, dans une 4L bleu marine, ma mère conduit… Elle chante fort pour pas s’endormir, il doit être minuit… On déménage, encore… Il y aura peut-être du travail en Provence. Dans le vieux radiocassette, Brel, Brassens, Branduardi et Graeme Allwright.

J’ai seize ans, ma mère ivre sur le canapé de notre petit deux pièces en Lorraine chante à tue-tête : “il faut que j’emmmnnnailleee!!” Je claque la porte, c’est moi qui pars…

J’ai dix-huit ans, la canne à la main je descends de la Sainte-Baume, montagne au nord d’Aubagne, mes frères compagnons fêtent mon adoption avec des chansons paillardes, je suis aspirant sur le Tour de France, Graeme est toujours là…

J’ai vingt-trois ans, je quitte les compagnons, je pars encore. Sur le chemin qui mène à Genève, je pleure de quitter mes frères d’adoption et je chante dans ma voiture…

J’ai vingt-huit ans, je viens de faire l’amour à Emmanuelle, elle me fait écouter ses chansons préférées. Encore une fois, elle est dans ma vie! Je lui refais donc l’amour, bien sûr, en chantant!…

J’ai trente et un ans, dans une petite cabane au fin fond du Cambodge, ça fait une année que je suis parti. J’ai le cafard… Je suis seul… J’ai plus un sou, je dois rentrer à la maison…

J’ai trente-cinq ans, ma mère vient de me rendre visite. Elle n’a pas bu depuis dix-huit ans, on se parle maintenant… Tout n’est pas pardonné, mais il y a quatre jours, on a écouté de la musique ensemble, on a même chanté ensemble… Devinez quoi?

Johnattan Poiret

Mon papa – Sarcloret

Un jour, mon papa a eu une saloperie. Tout de suite m’est venu à l’esprit ce «j’pensais pas que j’aimais mon papa au point d’écrire une chanson tendre, / pour lui dire que ça peut attendre /, qu’il peut partir une autre fois…» Le refrain le plus émouvant du monde. Le plus sincère, le plus simple, le plus beau. Ce jour-là, je vous jure que c’est vrai, j’ai croisé «dans les couloirs de l’hôpital / un ami, fils d’un autre père / d’un autre monsieur qu’on opère…»

Et puis mon papa s’est remis, il partira une autre fois. «Je venais pour le voir guérir / à peu près deux fois par semaine…» Et puis l’ami, «fils d’un autre père», est mort. «Il n’y a rien à faire, rien à lutter», comme chante Sarclo sur une autre de ses merveilles. De ses nombreuses merveilles. Parce que, sous ses airs de «je m’en fous, de toute façon personne n’écoute mes chansons et donc personne ne sait qu’elles sont vachement mieux que celles des autres», ce foutu chantiste les a multipliées, les merveilles. Vous avez déjà écouté Pleurer dans tes bras ? Et Du brun ? Et La fille qui nous sert à bouffer ?

Et puis Mon papa, donc. À une époque – peut-être est-ce toujours le cas –, Sarclo concluait souvent ses concerts par cette chanson. C’était un signe : on savait qu’il serait inutile d’insister, parce qu’après ce sommet de tendresse pudique, il n’y a plus rien à dire. «Par un matin de mal de chien…»

Une guitare et des mots simples, des mots sincères, des mots vrais. Des mots qui me fichent à chaque fois la pidouille, comme on dit chez nous. Des mots qui me tirent les larmes. De combien de chansons peut-on en dire autant ? Tout à coup, Sarclo le provocateur rigolo s’efface pour se dévoiler sans fard. Et on a envie de l’embrasser pour avoir su trouver les mots qu’on ne peut pas dire. Parce que l’amour pour son père, ça ne se dit pas, par chez nous.

Un jour, Renaud a déclaré que Sarclo était la plus belle invention suisse depuis les trous dans le gruyère. Personne n’a pensé à lui dire qu’il se trompait : il n’y a pas de trous dans le gruyère. On peut donc en conclure que Sarclo est la plus belle invention suisse, et puis c’est tout.

Éric Bulliard

L’Étranger – Horla

À notre première rencontre, on m’a gracieusement, en toute gentillesse et toute imbécillité, vêtu du costard de son étranger qui désirait, qui voulait le déposséder de son bien.

Attaqué? Il a dû le ressentir.

Volé? Sans doute autant.

M’ignorer? Il ne l’a pas fait.

Me jeter? Pas plus.

Merci!

Dans ce trois-pièces trop étriqué, j’avais pour rôle de le modérer. Pas pour faire chier, même pas pour embêter, juste pour le bien commun. En retour, il m’a offert sa résistance. Pas une résistance contre moi ou envers ma tâche, pas celle qui fait semblant. La vraie! Celle que je ne voyais plus, celle qui me semblait vaincue, morte depuis si longtemps. Vieux Gros Con!

Un vrai résistant en fait, qui est ce qu’il pense et qui pense ce qu’il est. Et si pas tout à fait, il le tutoie de si près.

Tellement résistant qu’il a écouté son étranger. On a même fini par partager et échanger.

Je serai toujours l’étranger de quelqu’un! Tant mieux s’il aura envie de me rencontrer. Si ce n’est pas le cas, dis-lui de ma part : JE VOUS EMMERDE!

Alexandre Bollinger

http://horlamusic.bandcamp.com/track/letranger

Je rentre me coucher – Florent Vintrigner

Parce que même s’il aime à répéter qu’une chanson n’appartient à personne, celle-là est un peu la nôtre, pour moi du moins.

Parce qu’elle me rappelle une période où je n’ai que des souvenirs transpirant d’amour, de rires et de légèreté.

Parce qu’il rétorquera que mes souvenirs sont faussés.

Parce que lui aussi prenait le TGV de minuit moins le quart, me ramenait des caresses et rentrait se coucher, se coucher avec moi.

Parce qu’il répondra qu’il m’a tant aimée, pour de vrai.

Parce que c’était avant que tout se craque et brise mon cœur en mille morceaux.

Parce qu’il s’excusera de m’avoir fait tant de mal.

Parce que c’était nous.

Parce que même s’il trouve ça futile, j’ai envie d’en garder une trace, j’ai besoin de me rappeler que ça a existé.

C’est juste une chanson en hommage à notre amour, mais ce n’est pas rien, pour moi du moins.

Laure Delieutraz

Futura – Lucio Dalla

La ascolto da anni con la stessa emozione e ora che devo spiegare perché E’ la canzone più bella del mondo mi sento incapace di farlo. Troppi i ricordi ad essa legati, troppe le emozioni provate, troppo importanti quel testo, quei ritmi, quelle armonie, per riuscire a renderle giustizia come meriterebbe. Ci provo, seppur a stento, per omaggiare un artista, Lucio Dalla, che di canzoni degne di fare parte di questa lista ne ha scritte davvero tante. « Futura » è l’ottavo brano di un album – “Dalla” (1980) – che in sé concentra alcune fra le più belle canzoni italiane del secolo scorso (“Balla balla ballerino”, “Cara”, “La sera dei miracoli” o ancora “Siamo dei”). Sul disco arriva per ultima, in punta di piedi, con una musica un po’ cosmica, dei ritmi delicatamente travolgenti e un testo così apparentemente frammentato da sembrare buttato là senza rifletterci più di tanto. Vi lascia un’impronta indelebile.

Non avevo mai veramente carpito il senso del brano (o cosa significasse per me), almeno non fino a poco tempo fa, quando qualcuno – sentendomi sentenziare che è la mia canzone preferita – mi chiese “Di cosa parla?”. Lì per lì non seppi cosa rispondere e mi sentii una perfetta idiota.

Certo non avrei toppato se avessi detto come è ovvio che “Futura” è una canzone d’amore. Di quelle che mi taglierei un braccio (si fa per dire…) perché fosse scritta per me (in fondo lo è, altrimenti come si spiega che OGNI volta che si arriva a « E se è una femmina si chiamerà Futura. Sarà diversa, bella come una stella, sarai tu in miniatura », sento le formiche alle guance, anche ora che di meravigliose figlie ne ho due?). Ma sentivo, senza rendermene realmente conto, che come spiegazione sarebbe stata incompleta. Alla storia di due innamorati si mescola infatti un messaggio più cupo ma non meno profondo, impregnato di timori, di incertezza del domani ” in un mondo che “sta cadendo a pezzi come un vecchio presepio”, dove si mescolano preoccupazioni generali (a quanto pare Dalla scrisse “Futura” in piena guerra fredda, faccia a faccia col muro di Berlino) e personali (e chissà se si potrà “contare ancora, le onde del mare, e alzare la testa”). Un messaggio quasi celato dietro a una melodia spensierata per farci capire che una soluzione in mezzo a tutto c’è, per continuare a crescere, a sognare, ad amare, per stemperare la paura. Per continuare anche quando magari non ci credi più, c’è lei, salvifica: la Speranza. E allora “aspettiamo che ritorni la luce, di sentire una voce. Aspettiamo senza avere paura, domani”. Grazie Lucio!

Anna Passera

https://www.youtube.com/watch?v=UF8zIXlBjeA

É doce morrer no mar – Paulo Flores

C’est une chanson qui a été écrite par le Brésilien Dorival Caymmi. C’est une chanson qui me bouleverse, et c’est en écoutant la version de l’Angolais Paulo Flores que je chavire totalement.

Il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer.

C’était une nuit de tristesse, cette nuit où il n’est pas revenu. Saveiro est rentré seul… Il est parti de nuit, à l’aube il n’est pas revenu… Saveiro est rentré seul. Le beau marin a été emporté par la sirène… Mon amour s’est noyé, il a fait son lit de fiancé au col de Iemanjà…

Il est doux de mourir en mer…

Iemanjà, cette déesse de la mer et des océans, mère créatrice, issue du mariage brésilien de religions africaines des anciens esclaves et du christianisme. C’est une façon d’atténuer la peine : il est parti, il ne reviendra plus, mais au moins il est avec la déesse et avec cette foutue sirène qui chante sûrement comme une casserole mal nettoyée. Dieu que c’est bon de se raconter des histoires! On en crèverait de tristesse si les déesses et les femmes-poisson n’étaient pas là pour nous bercer un peu.

Alors non, le sujet ce n’est pas l’amour. Le sujet c’est le peuple, le marin qui part pêcher pour vivre, pour survivre et qui y perd la vie. C’est celui qui a été emporté par les bateaux de la traite des esclaves, mais aussi ce pauvre marin issu du peuple qui s’est embarqué dans des expéditions maritimes avec la peur au ventre et qui, pour sa part, n’aura rien découvert d’autre que la souffrance et la mort. N’en déplaise aux empires de l’époque. Et c’est aujourd’hui la même histoire qui continue : des bateaux à la dérive, qui chavirent et tuent. Des bateaux qui portent l’espoir de la survie, ailleurs peut-être, et qui ne mènent qu’à l’horreur. Nous en sommes au même point. Il y a toujours quelqu’un sur une rive qui attend qu’un proche revienne.

Alors oui, cette chanson me prend aux tripes et je le dis bien haut bien fort : c’est LA plus belle chanson du MONDE!!! Mais ce qui fait le plus vibrer dans cette chanson, c’est le refrain qui surgit comme pour calmer la rage et la tristesse : il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer, il est doux de mourir en mer… et la mélodie s’attarde bien sur le mot « doux ».

C’est parce qu’elle est simple, intime, qu’elle raconte une histoire singulière que je la trouve universellement renversante. Elle me ramène à un sentiment essentiel d’humanité et c’est tout ce que je demande à une chanson, pas plus et pas moins.

Et la voix de Paulo Flores, son instrumentation qui laisse place à des cordes à la fois envoûtantes et dérangeantes. C’est le Brésil et l’Angola, si intimement liés, qui se répondent. C’est l’histoire qui dialogue avec elle-même. J’en fais trop? J’exagère? J’ai beau être presque marseillaise, je jure que dans le cas présent j’use de beaucoup de retenue.

Écoutez sans modération cette chanson, plongez dans l’univers de Paulo Flores, pensez aux paroles du refrain quand vous l’entendrez. Et vous tanguerez tout comme moi. Il apporte sa sensibilité de sa rive atlantique, avec sa guitare et une langue bantou au beau milieu qui vient enraciner un peu plus cette chanson (peut-être du kimbundu mais il y a beaucoup de langues en Angola).

J’aurais tellement voulu écrire cette chanson. Tellement.

Si vous ne connaissez pas Paulo Flores, sachez qu’il est doux de se noyer dans sa voix, dans sa guitare aussi.

Lizzie Levee

Dead Skin Mask – Slayer

« Je ne crois pas en une vie après la mort, mais je prendrai ma brosse à dents », dit Woody. D’autres se pansent le yang avant de presser le bouton sur une place de marché surchauffée, histoire de préserver l’essentiel… Pour y trouver quoi? Un clebs à trois têtes qui ne remue jamais la queue, une rivière dans laquelle un bébé fait trempette la tête la première et le talon au sec? Pour l’autre strabique, l’enfer, c’est toi. Mais pour plein d’autres, il y a les flammes, les petits machins rouges qui piquent avec la queue fourchue, les cris, la faim, ou tout simplement l’obligation de se taper l’intégrale des Télétubbies pour l’éternité. Et c’est très long, l’éternité. Surtout vers la fin.

Personne ne sait à quoi ressemble l’enfer. Mais je peux te dire une chose : il a une bande-son.

Mark Levental

https://www.youtube.com/watch?v=VNFglDcW7dQ

Altitude – La Rue Kétanou

D’abord une entrée de guitare, comme pour accompagner une balade. Puis, de longues notes d’accordéon qui font l’esprit léger, qui vagabonde, comme un oiseau qui s’envole. Ça monte, lentement, puissamment, une longue intro musicale, avec de grands coups d’ailes.

Et, cette voix, qui me soulève le thorax… à chaque fois que je l’entends, je dois poser la main sur ma gorge. Elle parle d’évasion, des prisons qu’on s’est forgées soi-même, de s’en extraire en s’élevant, sans réfléchir, s’envoler, se laisser porter par la vie, le soleil et, peut-être, l’amour… que les autres le comprennent ou non!

Cette chanson me parle, me transporte, m’émeut (surtout aujourd’hui en voyage à l’autre bout du monde) par sa musicalité entraînante, ses paroles, sa voix… Quand je l’écoute, je m’envole… en altitude. Et, tout devient possible!

Virginie Casutt

Turn Me On – Nina Simone

Un jour de 2003… l’année d’Abou Ghraib.

Les infos nous montrent le sens de la fête des soldats US en Irak : on voit notamment des photos d’une soldate, tenant en laisse un prisonnier nu et accroupi, ou alors pointant du doigt, en rigolant, un autre à genoux devant son copain cagoulé, obligé de lui faire une fellation. La nausée, physiquement envie de gerber.

Et puis, le lendemain matin, j’emmène une bande d’enfants au ski en empruntant la voiture du voisin. J’allume l’autoradio et sort cette voix. Je ne connaissais pas Nina Simone. Pétrifié derrière le volant, plus tard je regarde la pochette du CD, cette tête, cette tête! ces lèvres! Faciès si africain qu’on imagine facilement comment elle était perçue dans l’Amérique raciste des années 60.

Une voix un peu plaintive, qui monte souvent un peu dans les aigus avec juste un poil de raucité, juste ce qu’il faut pour te mettre des frissons.

Turn Me On, je crois que c’était la première du CD, un beau texte mais Nina Simone le chante sans emphase, sans effet de manche vocal, assez sobre et on pourrait dire … résignée. Résignée à l’absence de cet autre qui pourrait, en revenant, la rallumer. Tout le contraire de la version de Norah Jones de la même chanson, qui se la joue « m’as-tu vue avec ma voix parfaite ». Celle de Nina Simone est moins lisse, avec le relief qu’il faut, ce n’est pas qu’une voix : ça contient tout le reste aussi, elle est en même temps éteinte (en accord avec le texte) et ardente. Ce qui est quand même pas mal comme performance, quand on y pense.

Elle a fait plein d’autres chansons plus énergiques, revendicatrices, véhémentes, montée en puissance vocale, de vrais morceaux de bravoure qui te font un orage entre les oreilles, mais ma préférée c’est cette petite ballade triste. Peut-être parce que c’était la première et que le choc émotionnel est resté.

Plus tard, j’ai lu qu’elle était virtuose du piano classique à douze ans, porte-étendard du combat pour les droits civiques, j’ai vu ses concerts de Montreux sur YouTube. Mais pour moi l’essentiel est dans cette voix profonde, vibrante, qui, un jour de 2003, me réconcilia avec les États-Unis d’Amérique, qui peuvent engendrer une soldate England, mais aussi une Nina Simone.

Samir Kasme