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Colorblind – Counting Crows

« I am covered in skin, no one gets to come in… »

La solitude de l’artiste.

Moi, qui ai tant besoin de dire, montrer, partager. Bien qu’habile dans l’action de créer, l’œuvre n’est jamais qu’une pauvre copie de ce que contient ma peau. Mon art, il est prisonnier de ma chair.

Sur un canevas, je crache du noir, du gris, du blanc jauni. Retournez-moi, vous verrez ce que le cercle chromatique a omis d’inventer! Je suis prête, prête à être à découvert, mais de mon enveloppe élastique et hermétique, il m’est impossible de sortir. Alors, je m’entête à cette idée qui m’embête. Une fracture du crâne laisserait-elle suinter un peu de ce qui m’habite?

Bah! Même tous ces mots qui viennent du bout de mes doigts n’arrivent pas à révéler ce qu’éprouve mon corps. Mais je vais bien. Je suis un peu moins seule avec cette chanson qui, il me semble, vit la même chose que moi.

Et je ne laisserai personne, je dis bien personne,  dire que cette chanson n’est pas la plus belle du monde.

Geneviève Ricard

Comme elle vient – Noir Désir

Et voilà du rock, du lourd, du qui tache et qui fait mal aux doigts à jouer à la guitare.
Une chanson faite pour être braillée en chœur, la voix cassée d’avoir fumé trop de cigarettes et bu du mauvais rhum. Un truc d’étudiants, en somme. Un poncif, mais qui a la vie dure, et tant mieux.

Sans cette chanson, il y a fort à parier que je serais aujourd’hui mariée à un ingénieur et mère de 1.99 enfant, avec la maison, le chien, la totale.

C’était sans compter que mon chemin tranquille d’étudiante studieuse croiserait celui d’une bande d’allumés. Avec en son centre, Olivier, toujours prêt à dégainer sa gratte en fin de soirée. Et moi, arrivée par hasard dans ce microcosme et qui ne jurais auparavant que par la musique anglophone, j’ai littéralement senti un monde s’ouvrir.

Un monde schizophrène, où le cynisme le plus dur se mariait sans fausse note avec des vies qu’on osait tout à coup rêver tout haut. Et sur les accords de Noir Désir, on arrivait à croire que l’on serait différents, qu’on échapperait à tout ça, le formatage, la moyenne, les normes.

Alors parce qu’en l’espace de ces quelques strophes, on se voyait vraiment changés en rois, qu’on a hurlé ensemble à la lune, et même si aujourd’hui les jeux sont faits, je ne laisserai personne dire que ce n’est pas une des plus belles chansons du monde.

Aude Nessi

Fernand – Jacques Brel

J’étais heureux sans rêver, je ne pouvais pas aller mieux. Ce n’était pas mon jour de chasse, mais j’ai eu la chance de croiser mes prochains beaux souvenirs. Une mante délicieuse m’a tendu un bouquet de poses de toutes les douceurs. Elle m’a fait croire à un amour dur que je voulais éternel. Elle m’a demandé des choses incandescentes que je n’avais jamais osé caresser. Mes sentiments ont commencé à bander. J’ai su que toute haine était perdue. J’étais totalement sous sa surprise. Elle m’inspirait de merveilleuses apnées futures.

Je m’engageais dans ses pénates pour quelques prouesses péniennes, gorgées de dard, plongées bestiales en abysses, cris d’abbaye, d’huile digitale sur fond de crypte, de batailles labiales, d’abats rongés, de fresques de positions, de frasques de fesses, de gorges employées, d’égouts doucereux, de vulgarités nuptiales, de promesses mammaires, de lave baveuse, d’aurores vaginales, de parties fines de câlins paillards, de toison mortelle.

Nous jurâmes, en ce jour de bêtes, de rester fidèles à nos pénétrations, de fendre les fosses perdues, de ne renier, ni la cave, ni le grenier. Nous n’étions plus que deux horribles virtuosités prêtes à se livrer à d’avides introductions. Nous étions prêts à laisser nos cerveaux s’épancher sur ce qu’il fallait démonter.

Les battements de mon cœur dépassaient les vingt centimètres. Elle était si belle le visage défiguré par les morsures du plaisir. Ses doigts avaient le don de soie. Ma queue allait dépasser les bornes. Je rinçais mes yeux au bord des effluves. Je me baignais dans de l’eau de vice. L’amour plantait ses arrières. Face à tant d’adresse postérieure, j’allais doucher le fond du trou. J’implorais le liquide de ne pas s’écrouler, de ne pas fondre dans les fondations. Les seins qu’elle me tendait persécutaient ma lutte. Ses mains parlaient trop. Sa langue me perdait. Son cul ébranlait mon combat. Il était bien trop tôt pour intimer l’ordre à l’orage d’éclairer ses cheveux intimes.

J’étais au septième bordel. Je crevais tant de faim que je craignais d’être moyen. Oh ! Marie pleine d’angoisse…

La magie ne voulait pas s’enrayer. Il fallait coûte que coûte que mon sperme ne naisse pas avant terme. Je ne voulais pas pleurer avant le germe de son petit décès. Son corps n’était pas encore mûr pour cette petite mort. Horreur, j’étais prêt à craquer avant l’heure. Elle, leurre, continuait à traquer son gibier pour qu’il trépasse dans sa fourrure. Je luttais aux abords des larmes blanches. Sa grâce prenait du poids. Elle me suçait le sang-froid. Elle troublait ma garde avec succès. Elle donnait des coups d’écrin. Je m’efforçais de faire taire la chute d’or. Il fallait que la colonne moite s’affranchisse du col, qu’elle oublie ses exhibitions d’invasion. Il me fallait échapper à cette garce présidentielle, à cette porte épique, à cette couronne de peurs. Aucune fuite ne devait sortir de cette liesse avant que ses ailes ne puissent s’ébattre.

Vu la tournure du malheureux avènement, il me fallait sauver ma lame, déjouer le siège de ce bain de jouissance, sortir du piège d’un exil précoce, éviter de partir tête baissée aux ébats, saboter l’abordage de la bite. Il fallait que tous les ornements pour sa défonce soient rejetés. J’avais déjà eu recours, dans le passé, à différents subterfuges pour que l’orgasme ne trouve pas de refuge trop vite, mais aucune solution prostatique ne semblait en mesure d’empêcher la fuite des transfuges. Rien ne pouvait empêcher la potion maléfique de s’enterrer.

Au milieu des tendresses écarlates, un inconnu sombre vint se joindre à nous. Fernand se glissa dans notre lit. Il était bien plus beau que nous, une grâce immortelle, un désespoir fidèle, un éclair d’ombre.

Il a touché nos cœurs nus.

Une partie de mon futur enfant a fait le mort plus longtemps.

La nuit dura.

La tristesse a rendu cette femme heureuse plus longtemps.

Je ne laisserai jamais dire qu’il n’est pas le plus beau du monde.

Zedrus

La Mémoire et la mer – Léo Ferré

Je connais cette chanson sur le bout des doigts. Pourtant je n’ai jamais souhaité en apprendre ni la musique ni le texte. À peine me laissé-je aller quelquefois à en fredonner des bribes sans jamais m’aventurer bien loin. Et je m’arrête, pris en faute, entre deux vers. Je veux qu’elle demeure neuve, toujours, à mon oreille.

Un arpège de trois notes descend du piano et entame un jeu hypnotique. On le connaît bien, cet arpège; on le retrouve dans plusieurs autres chansons de Ferré. Dans Avec le temps, notamment. (La suite d’accords doit être sensiblement la même d’ailleurs, mais je ne vais pas vérifier. Je ne veux pas casser la magie.) Les cordes prennent leur place et tout se met en branle vers un long un lent crescendo qui durera quatre minutes.

Je sais déjà à quel moment mon ventre sera serré et que peut-être les larmes viendront. Le vin y est propice, ce soir j’ai assez bu.

Léo pose sa voix comme une plainte et des trémolos me prennent la gorge. Il commence avec sa marée qu’il a dans le cœur, et déjà le mien bat plus vite. Il enchaîne une à une ces évidences qui semblent m’habiter depuis toujours mais que je redécouvre à chaque fois avec le même émoi.

J’ai l’impression de ne rien comprendre à ce qu’il dit, le texte m’est hermétique mais ouvre des portes sur mille dimensions. La musique des mots et celle des instruments glissent flanc contre flanc, me prennent la main et me traînent sur cette plage étrange, jonchée de métaphysique et de sensualité.

Qu’est-ce que cela peut bien aller chercher au fond de mon ventre pour me mettre dans cet état ? Je pousse un peu le volume et rajuste les écouteurs pour ne pas manquer la fin.

Les instruments montent en puissance et là, je sens que ça vient. Mon ventre se serre, cette fois encore. Les derniers couplets me pressent comme un citron, me laissant bouche ouverte à chercher de l’air au travers mes sanglots.

Les dernières mesures me jettent pantelant, rorqual échoué sur la grève.