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T’es pas drôle – Catherine Lara

Cette chanson, je l’ai tout de suite aimée. La voix, chaude et forte, la mélodie, le violon qui pleure entre deux couplets, qui s’envole et grimace, qui enrobe la tristesse des mots.

Cette chanson, je l’ai découverte en 1983, quelques mois après la sortie du disque éponyme. Elle m’a touchée. J’y ai cherché un sens. Je ne l’ai pas trouvé tout de suite, j’avais treize ans, je n’étais pas au courant que les artistes se rendaient parfois hommage entre eux. Et puis j’ai su. Maintenant, cette chanson me bouleverse. Je pense à Coup de tête, aux Valseuses, au juge Fayard dit le Shérif, à Un mauvais fils, à Hôtel des Amériques… Je revois cette belle gueule, ce charisme. Je me revois, moi, sortant des cinémas où j’égarais mon adolescence, ou après une soirée télé, imprégné de tous ces acteurs.

Je me sentais Depardieu, massif et roublard, capable de tout, je me découvrais en Delon, belle gueule souriant à Mireille Darc – la blonde de l’époque, casque de cheveux et sourire mutin –, Je roulais des épaules comme Lino Ventura, dont j’aurais voulu posséder la carrure, mon visage se tordait de grimaces à la de Funès, et… je devenais Dewaere, insolent, frondeur, excessif et tendre. J’aurais voulu lui ressembler physiquement, moi, le blond maigrelet trop vite grandi.

Car je n’étais rien de tous ces hommes. Les filles ne voyaient que mon absence de muscles. J’étais Skeletor, un Bourvil sans talent, un intello au torse concave qui jouait aux échecs en écoutant Adamo.

Écorché, génial, rebelle, fragile, sensible, tourmenté, mais surtout sincère dans ses rôles, qu’il incarnait à fond, Patrick Dewaere a quitté les feux de la rampe le 16 juillet 1982. À 35 ans. D’une balle de fusil dans la bouche.

 

Tu peux t’vanter

D’avoir trouvé le rôle

Où t’es pas drôle

Et si tu crois

Qu’on va t’regretter

Oui, tu t’es pas trompé

 

Lorsque j’ai réalisé que la chanson de Catherine Lara s’adressait à Dewaere, j’ai souvent repensé à lui. À ce qu’il serait devenu, aux films qu’il aurait tournés, à sa carrière, sa vie privée, ses césars, ses oscars, sa vie de débauche. Il n’était pas aussi solide que Depardieu, ce roc, pas aussi endurant que Léotard, compagnon de beuverie parti rejoindre le Paradis des acteurs et poètes en 2001, et il n’a pas attendu que l’alcool ou la drogue termine le travail.

 

Tu peux t’vanter

D’avoir trouvé le rôle

Où t’es pas drôle

Et si tu crois, qu’on va t’oublier

Oui, tu vois c’est raté

 

Se tirer une balle alors qu’on a tout, la gloire, l’argent, la belle gueule, ne tient pas debout. Constat maintes fois rabâché. On se suicide de tous les côtés, on s’arrache les membres sous un train, on se pend aux poutres, on se répand sur les chaussées, on avale gélules et balles d’automatiques, on se rue dans les bras de la Camarde sans attendre l’heure de la traite, l’instant où Guillotin déclenche son coupe-chou pour nous envoyer définitivement au sous-sol. Même pour peaufiner son autodestruction, l’humain se dépêche. Il n’est pas drôle, non. Sa hâte d’en finir a quelque chose de pathétique.

 

 

Là, la dernière image

J’vois plus ton visage

 

Depuis quelques années, Catherine Lara a disparu du paysage médiatique. Ses chansons n’ont pas vieilli. T’as pas le temps reste d’actualité, Johan s’écoute toujours avec émotion, T’es pas drôle vibre aussi fort qu’il y a trente-cinq ans.

Et peut-être pour l’éternité.

 

Olivier Chapuis

 

Le Clown – Angélique Ionatos

Et comment ils font pour lui donner à manger à la girafe ? une échelle, un palan ?

Et qui va promener le tigre dans le parc pour qu’il fasse ses besoins ? un sac Bravo attaché à la laisse ?

Et qui va dire au nain qu’il aurait dû manger de la soupe ? surtout la crème d’asperge ?

Sitôt dans l’enceinte du cirque, plus de tabou, l’irréel, plus de norme, la magie, plus de morale, l’ivresse.

J’ai maudit le dresseur de chevaux en habit de toréador, le fouet qui claque, l’œil apeuré et soumis du cheval blanc, la ruade rebelle et calculée au millimètre.

Je n’ai pas réussi à compter les pieds et les mains dans la pyramide des gymnastes asiatiques.

J’ai prié pour la trapéziste. J’ai tremblé pour l’homme-canon.

Entre deux numéros, le ramasseur de crottin. Tiens, c’est toujours un nègre qui ramasse les crottins.

La fille qui défile en présentant la pancarte du numéro suivant. Est-elle blonde, est-elle brune ? Je ne sais pas, je ne regarde que les seins et les fesses.

L’orchestre magnifique sur le balcon se tait dans un frêle roulement de tambour.

Une grosse fleur bouffie entre dans l’arène, une marguerite obèse et grotesque.

La fleur grimpe à la corde rejoindre la trapéziste, en s’effeuillant de miséricorde.

C’est le clown. Il monte au ciel déclarer sa flamme. Sur un petit violon il joue l’Aïda de Verdi.

La trapéziste se moque de lui et le repousse.

Le clown dévisse le long de la corde. Un éléphant le ramasse et le dépose dans la brouette du ramasseur de crottin.

La fille qui annonce le final est rousse, avec de grands yeux verts. J’ai aussi regardé ses yeux.

Je ne vais plus voir le cirque. Le nain qui vend les programmes est trop laid.

Le clown est mort. C’est trop triste pour cœur de papier crépon.

 

J’achète un Babybel et je me fais un nez rouge avec la coque en cire rouge.

je suis seul dans mon pré. Le merle  effronté n’a pas rigolé.

Pierre-André Milhit

Monsieur – Thomas Fersen

Les passants sur son chemin
Soulèvent leurs galures,
Le chien lui lèche les mains
Sa présence rassure.
Voyez cet enfant qui beugle
Par lui secouru,
Et comme il aide l’aveugle
À traverser la rue.
Dans la paix de son jardin,
Il cultive ses roses;
Monsieur est un assassin
Quand il est morose.

Douze vers, deux coups de cuillères à pot, et le décor est planté. L’intrigue s’installe en quelques lignes, dans une atmosphère intemporelle entre couvre-chefs, rosiers et serviteur multicasquettes…

C’est dans une ambiance musicale léchée et inquiétante, teintée de violon, violoncelle et autre clavecin, que l’on découvre, au travers du regard de son fidèle valet, ce Monsieur dont l’ostensible respectabilité teintée de rouge ferait pâlir de jalousie Landru lui-même!

Six couplets plus tard, la farce est jouée et le dénouement étonnant de ce film chansonnesque des plus rocambolesques laisse la part belle à l’imagination de l’auditeur.

Bref, Thomas Fersen réalise en quelques lignes le rêve de tout romancier paresseux désireux d’économiser deux cents bonnes pages à noircir, nombre de chandelles et quelques litres d’encre au bas mot, le fantasme de tout cinéaste fainéant éclusant bobines de pellicules, acteurs, scénaristes, metteurs en scène et autres figurants et toute la cavalerie!

Alors Monsieur la plus belle chanson du monde ??? Encore faudrait-il pouvoir les connaître toutes! Du mien, en tout cas, assurément!

David Solinas

Crime of the Century – Supertramp

Il y a des groupes qui marquent une époque. Mais pas deux! Supertramp en fait partie. Un son ancré dans les seventies, une certaine virtuosité, bref, une musique qui a tendance à mal vieillir, et pourtant! À y regarder, ou y écouter de plus près, certains de leurs morceaux sont de pures merveilles!

Supertramp, c’est d’abord une voix (en fait deux, mais vous m’avez compris, j’en suis sûr…), celle de Roger Hodgson; le chanteur a la voix aiguë, une tête barbue de hippie, sorti tout droit d’un ashram indien, et son incontournable Wurlitzer. Mais en fait, dans Crime of the Century, c’est l’autre chanteur, Rick Davis, qui prend son tour de chant, accompagné de son piano!

Un morceau de cinq minutes trente-cinq, mais dont la partie chantée ne dure qu’une minute trente, en fait un prétexte à annoncer l’envolée instrumentale qui va suivre. Deux couplets et un semblant de refrain un peu ridicule, puis arrive, le thème : quatre accords simples, répétés, qui seront la base de toute l’envolée. Une basse omniprésente mais statique. Enfin des violons. Plein de violons. Beaucoup de violons qui dessinent une mélodie simple mais efficace. Mélodie reprise rapidement par un cliché de l’époque : le saxophone. Mais ici, pas de beau black mystérieux avec ses lunettes à monture dorée, mais un blond rachitique qui pourrait avoir passé sa vie dans le Vercors à élever des moutons, et pourtant quel feeling! C’est lui qui finira le morceau par une note tenue, et même soutenue, par une grosse descente de batterie qui sonne le glas de ce crime du siècle…

En fait, Supertramp, c’est un groupe de clichés, mais parfois c’est tellement bon!

Arnaud Bosch

Guggisbärglied – Traditionnel

J’ai huit ans et suis la fille de la prof de rythmique-solfège. Tous les mardis soir, c’est briquette de lait, galettes de riz et radio Nostalgie dans la voiture de la dame qui me conduit au cours en même temps que sa fille. Une rouquine fantasque, Julie.

Je déteste le solfège, mais les cours sont chouettes; Julie et moi on fait n’importe quoi. Il y a quand même quelques avantages à être la fille de la prof de rythmique-solfège. Par exemple, quand je frappe sur la tête du petit Yann avec mes baguettes de métallophone, il se frotte juste la tête d’un air penaud. Il n’ose rien dire, je crois que je suis intouchable.

Et il y a aussi des inconvénients, oui, car c’est logique : il y a ma prof de rythmique-solfège qui habite chez moi. Donc pour dépeindre le tableau : milieu du mois de mai, il fait beau, j’aimerais mieux aller jouer dehors avec les autres gamins du village, mais impossible… Ma prof patrouille et je ne sortirai pas avant les dictées, fa do sol ré la mi si, octave, demi-ton, bécarre, dièse. Et les études de violon (qui sonnent comme des grincements de portes, disent mon frère et ma sœur, qui préfèrent d’ailleurs sortir, les ingrats). La prof de solfège veille au grain, il faut que je finisse mes gammes, je lui en veux, je râle, je déteste le solfège, je déteste la prof de solfège.

Mais des fois, quand on s’entend bien elle et moi, elle m’apprend des chansons dans sa langue.

’s isch äben e Mönsch uf Ärde
Simelibärg

J’ai douze ans, et comme avec ma copine Julie on a réussi les examens, on n’a plus de cours de solfège ! Finie, la torture ! On est grandes maintenant, on se dit qu’on fera plus jamais (jamais !) de solfège et tous les jeudis on prend le tram jusqu’à l’arrêt Villereuse pour chanter dans le chœur de l’Institut. Là-bas, les grands yeux de Mireille apprennent aux adolescentes hilares que nous sommes à chanter en prenant un air « étonné-content ». Elle gonfle ses joues pour l’échauffement de la voix et nous parle de notre occiput. On se marre bien, surtout à la fin des cours. Parce qu’à la fin des cours, Julie et moi on se précipite sur la fontaine du supermarché Eaux-Vives 2000 pour aller mettre en pratique notre air étonné-content, les joues et l’occiput. On braille des chansons pas très écoutables en quémandant des piécettes aux passants. Des fois, ça marche. Et souvent avec une seule chanson, qu’on comprend à peine.

’s isch äben e Mönsch uf Ärde
Simelibärg

J’ai dix-sept ans, et entre-temps Julie et moi on a appris à jouer des instruments sérieux, de la contrebasse, du violon. Grâce au solfège, il faut l’admettre. Parfois le week-end, on se déguise en Pierrot-de-Lune et on sort de notre campagne pour aller se produire dans les rues de la ville. Deux filles en grandes pompes qui chantent et jouent des instruments à cordes en mitaines, ça passe assez bien auprès des citadins. C’est sûrement grâce à notre excellence dans la pratique de l’étonné-content et à la tenue de nos occiputs respectifs. Mais les gens ne s’arrêtent vraiment que quand, d’un air solennel, on chante a capella une chanson. Une chanson en suisse allemand :

Und ds Vreneli ab em Guggisbärg
Und ds Simes Hans-Joggeli änet dem Bärg
’s isch äben e Mönsch uf Ärde
Dass i möcht bi-n-ihm si

Cette chanson, en suisse-allemand archaïque, raconte la déchirure d’une séparation, la nostalgie, les montagnes, le Heimweh. Des thématiques qui n’ont vraiment rien à voir avec les préoccupations quotidiennes des adolescentes genevoises que nous étions. Et puis, cette chanson, on la chantait comme on pouvait. Déjà, parce qu’elle vous tord le cœur dès les premières notes. Ensuite, parce que Julie ne parlait ni ne comprenait le suisse-allemand et que moi je baragouinais avec un vocabulaire de môme de deux ans.

Und mah-n-er mir nid wärde
Simelibärg!
Und mah-n-er mir nid wärde
Simelibärg!
Und ds Vreneli ab em Guggisbärg
Und ds Simes Hans-Joggeli änet dem Bärg
Und mah-n-er mir nid wärde
Vor Chummer stirben-i

Mais au fond, il n’y avait pas besoin de comprendre les paroles. Le Guggisbärglied discutait avec nos craintes les plus profondes. Il les attisait pour pouvoir mieux les rassurer, juste après.

Clara Löi

(N’ayant pas trouvé de version originale potable sur vidéo, en voici une version modernisée par Sophie Hunger dans un medley (à la fin))