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Monsieur – Thomas Fersen

Les passants sur son chemin
Soulèvent leurs galures,
Le chien lui lèche les mains
Sa présence rassure.
Voyez cet enfant qui beugle
Par lui secouru,
Et comme il aide l’aveugle
À traverser la rue.
Dans la paix de son jardin,
Il cultive ses roses;
Monsieur est un assassin
Quand il est morose.

Douze vers, deux coups de cuillères à pot, et le décor est planté. L’intrigue s’installe en quelques lignes, dans une atmosphère intemporelle entre couvre-chefs, rosiers et serviteur multicasquettes…

C’est dans une ambiance musicale léchée et inquiétante, teintée de violon, violoncelle et autre clavecin, que l’on découvre, au travers du regard de son fidèle valet, ce Monsieur dont l’ostensible respectabilité teintée de rouge ferait pâlir de jalousie Landru lui-même!

Six couplets plus tard, la farce est jouée et le dénouement étonnant de ce film chansonnesque des plus rocambolesques laisse la part belle à l’imagination de l’auditeur.

Bref, Thomas Fersen réalise en quelques lignes le rêve de tout romancier paresseux désireux d’économiser deux cents bonnes pages à noircir, nombre de chandelles et quelques litres d’encre au bas mot, le fantasme de tout cinéaste fainéant éclusant bobines de pellicules, acteurs, scénaristes, metteurs en scène et autres figurants et toute la cavalerie!

Alors Monsieur la plus belle chanson du monde ??? Encore faudrait-il pouvoir les connaître toutes! Du mien, en tout cas, assurément!

David Solinas

Résidents de la République – Alain Bashung

Je ne vous laisserai pas dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde… tout d’abord parce qu’elle déchire les fans de Bashung sur le Net au sujet de son interprétation. Et une bonne chanson est une chanson qui fait réagir, qui interpelle. D’un côté, vous avez ceux qui défendent l’idée d’une chanson politique, de l’autre ceux qui y voient une chanson testament. Des deux côtés, on avance des arguments intéressants, on décortique les phrases à l’infini, on déniche des allusions subtiles pour appuyer sa théorie. Des forums entiers existent juste sur ce sujet, ce qui amuserait certainement Bashung, s’il pouvait les lire aujourd’hui. Voyons les arguments, et choisissez votre camp, camarades!

Une chanson politique? Évidemment, avec le mot République dans le titre, difficile de ne pas être tenté. Qualifiés de simples résidents, en opposition avec un président qui abuse de son pouvoir, nous sommes renvoyés à l’état de pions impuissants. Bashung ne se reconnaît plus dans le monde politique actuel, avec lequel la communication est coupée. Il exprime son désenchantement face à une société dans laquelle la parole du citoyen n’est pas prise en compte. La trahison du Parti socialiste, de la gauche caviar, est dénoncée comme “rose à reflets de bleu” (couleur de l’UMP). Les citoyens de la France d’en bas ont le regard suspendu, tentant d’apercevoir le monde politique perché dans sa tour d’ivoire. Certains vont encore plus loin et voient dans “Chérie, des atomes, fais ce que tu veux” une pique contre Ségolène Royal qui aurait promis de développer le nucléaire si elle était élue.

Ou une chanson testament? Bashung s’adresse à sa bien-aimée, sa fille, ou plus probablement à la vie elle-même, se sachant malade et condamné. Notre condition de mortels fait de nous de simples résidents, des locataires dérisoires, engagés dans une course contre la mort, jusqu’à ce que la terre s’entrouvre sous nos pieds. “Chérie, des atomes, fais ce que tu veux” s’adresserait dans ce cas à sa fille Poppée, qui pourra faire ce qu’elle veut de ce monde qu’il laisse derrière lui. Mais que veut dire ce “Che ba ba ba ba” lancinant? Les pragmatiques entendent “Je sais pas pas pas pas”, qui exprime le doute et le désarroi du citoyen qui ne comprend plus le monde politique, alors que nos poètes entendent “Chez papa papa papa”, Dieu ou ses ancêtres, qu’il rejoindra à sa mort. Alors, vous vous êtes fait une opinion?

La réponse se trouve sans doute du côté des images. Le clip de cette chanson contient un certain nombre d’allusions à la mort, certaines subtiles (il y lit “Le bleu du ciel”, de Georges Bataille), d’autres moins (il part en voyage en avion, on y voit un panneau “dead end”, du sucre est versé comme du sable qui s’écoule dans un sablier). Dernier petit détail étrange dans cette chanson : la faute de conjugaison du verbe courir dans la phrase “je ne courirai plus”. Là-dessus aussi, on s’empoigne sur le net. Simple faute d’écriture ou licence poétique?

Qu’importe… Car quoi qu’il en soit, il m’a fait pleurer, Bashung, comme des centaines d’autres personnes, lors du concert donné à Paléo en 2008 à l’occasion de sa dernière tournée. Cet homme affaibli mais digne nous a fait son chant du cygne. Ceux qui ont le cœur endurci l’ont qualifié de pathétique, je l’ai trouvé émouvant et magnifique, dans sa fragilité et sa volonté de chanter jusqu’au bout. Il aurait peut-être dû mourir sur scène, devant les projecteurs. Et “Résidents de la République” résonnait d’une étrange façon ce soir-là… donc je ne vous laisserai pas dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde, car elle l’a été, à cet instant, en cet endroit, pour moi.

Catherine Armand

Nantes – Barbara

Autant vous avertir tout de suite: si vous cherchez une chanson pour votre mariage à intercaler entre « La danse des canards » et « A la queue leu leu », évitez Nantes. Et ne l’écoutez pas davantage si votre femme s’est barrée avec votre meilleur ami ou si vous venez de voir un film de Michael Haneke. Car Nantes est une de ces noires merveilles qui vous fouaille l’âme et vous laisse totalement démuni.

En 1964, Barbara n’est pas encore vraiment Barbara. Elle doit sa petite notoriété à l’interprétation de chansons d’autres artistes. Pas les plus mauvais : Brel, Brassens, Ferré. Déjà, la critique n’est pas indifférente à sa voix envoûtante. Mais le succès viendra avec ses propres compositions et le mythique « album à la rose », Barbara chante Barbara (qui recèle outre Nantes d’autres pépites, tels Gare de Lyon et Pierre). Séduit, Brassens lui propose de faire sa première partie à Bobino. Le tournant. La prestation de la néophyte éclipsera presque le grand Georges et sa moustache. Nantes n’y est pas pour rien.

Il pleut sur Nantes
Donne-moi ta main
Le ciel de Nantes
Rend mon cœur chagrin

Nantes, c’est quatre minutes éprouvantes d’émotion en intraveineuse. Autobiographique, la chanson évoque son ultime rendez-vous manqué avec son père. Sorti de sa vie depuis longtemps, le « vagabond » l’a fait appeler d’urgence. Agonisant à l’hôpital, il veut faire ses adieux à sa fille, « se réchauffer à son sourire ». Elle se rend à Nantes, « 25 rue de la Grange-au-Loup », mais arrivera trop tard.

Il lui faudra quatre ans pour mettre des mots sur cet épisode douloureux. Quatre ans pour écrire la plus belle et bouleversante chanson du monde.

A l’heure de sa dernière heure
Après bien des années d’errance
Il me revenait en plein cœur
Son cri déchirait le silence

Pas de trace de rancœur ni de pathos là-dedans, pas d’effets, rien qu’une voix troublante de sincérité, une mélodie sobre (rien avoir ici avec l’amplitude lyrique de L’Aigle noir) et quelques notes de piano frôlées. Et cette façon inimitable de confier avec force et pudeur des fragments d’intimité. A tel point que ses blessures deviennent les nôtres. Et que le poids des remords de ses retrouvailles avortées nous écrase aussi peu à peu.

Puis arrivent ces derniers vers, parmi les plus beaux jamais chantés, évoquant le pardon au père incestueux. Si vous ne vous êtes pas liquéfiés avant, vous serez subjugués par leur beauté mélancolique, par l’humanité qui s’en dégage, par l’intensité de cette voix débordant de miséricorde. Ça en dépasse l’entendement :

Au chemin qui longe la mer
Couché dans un jardin de pierres
Je veux que tranquille il repose
A l’ombre d’une rose rose

La grande dame brune lève alors son regard et plante ses yeux embués dans les vôtres. Et là, à moins d’avoir la sensibilité du docteur Mengele, votre gorge se noue, vos yeux se mouillent. Une ultime plainte étranglée, sublime, affleure des tréfonds d’une âme en lambeaux. Une plainte qui vous arrache les entrailles :

Mon père, mon père.

 

Philippe Lamon

À la claire fontaine – Traditionnel

Pas la peine de tourner autour du pot; tout est dit dans cette chanson-là, et ce qui n’est pas dit est suggéré. C’est ce qu’on appelle la poésie, tout simplement, pour les ceusses qui ne comprennent pas.

Amitié, amour, connivence, complicité, regret, suggestion, remords.

On ne sait pas et on s’en fout. Ce qui est important c’est qu’on soit ému. C’est tout. Et là, on est gâté.

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Tout est dit : passé, présent, futur.

Allez hop. Question suivante?

Mon ami Pierre. Bouton de rose. En haut d’un chêne. Je m’y suis baignée.

Mais bordel, tu comprends toujours pas? T’es pas poète toi. T’es matérialiste.

Il faut que JE T’AIME soit hurlé pour que tu comprennes? Comme quand c’est Johnny qui chante?

Eh ben, moi, c’est pas mon truc les gueulards, les geignards, les pleureuses, les suicidaires, les dépressifs.

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Moi, c’est À la Claire Fontaine et pis c’est tout.

Enfin, non ce n’est pas tout. Mais celle-ci, elle est hors compétition, parce qu’elle est immortelle.

Son histoire déjà, c’est toute une histoire. Je ne vais pas vous la jouer Wikipédia, mais en quelques mots, faut savoir que c’est une vieille chanson française oubliée, quasiment disparue, sauf par nos cousins d’outre-Atlantique qui ont eu la bonne idée de nous la ramener pendant la Première Guerre mondiale. Merci les gars ! La guerre, ça a du bon.

À moins que la maladie d’Eisenhower ne s’en mêle et m’emmêle, je te le promets : il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Laurent Boissery