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Brûle mon amour brûle! – chant de Taizé

Plus de 100’000 visionnements sur Youtube. Ce doit être la chanson en latin la plus écoutée de nos jours. Une chanson que reprennent tout au long de l’année et chaque été des milliers de jeunes et de moins jeunes à Taizé. Ton amour est plus fort qu’un coup de soleil  (Tui amoris Ignem), tube mondial, est chanté par une centaine de frères venus des quatre coins du monde laissant derrière eux famille, richesse, appartenances pour revêtir une robe blanche très très queer pour vivre l’évangile à Taizé, Bourgogne, France. Ils répètent comme des dingues des chansons lancinantes et dans toutes les langues, sur tous les tons, accompagnés seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint. Ils chantent pour les ados et les bonnes soeurs, mais pas que: pour des dizaines de milliers de personnes aussi, qui passent chaque année à Taizé. Ils chantent pour Dieu et ils chantent l’amour.

Avant qu’ils deviennent des références, il n’y a pas vraiment de quoi pousser la chansonnette.  C’est rude et c’est violent. En 1940, Roger Schutz, futur frère Roger, débarque de Suisse et fonde à Taizé une petite communauté, y cache des Juifs pourchassés par les collabos français. La Gestapo débarque, Roger se réfugie en Suisse. Il reviendra en Bourgogne à la fin de la guerre, y accueillera des orphelins de guerre et des prisonniers. La communauté, basée sur la prière et le travail, grandira en plaçant l’oecuménisme, l’internationalisme, l’accueil des plus jeunes et l’éveil à la foi au coeur de son engagement.

Comment un homme qui vécut toute sa vie dans la générosité et l’amour peut finir assassiné en pleine prière? Il y a là quelque chose qui me laisse sans voix. 2005, frère Roger est poignardé par une déséquilibrée en pleine prière (accompagné seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint).

J’ai découvert Taizé bien après avoir arrêté d’écouter du heavy metal. J’ai aimé le grand espace de l’église plusieurs fois agrandie où 3000 personnes se serrent dans le silence et le recueillement. J’ai aimé les parois assemblées de bric et de broc, les moquettes seventies, qui rappellent que la construction s’est faite par ajouts, à partir de peu, incarnant la foi dans ce qui vient, la confiance totale dans le don. Les paysans donnent du lait, les commerçants du pain. J’ai aimé manger dans les bols en plastique et dormir dans les dortoirs. Tout là-bas dit la simplicité,  la confiance dans ce qui vient, et toujours, le travail en commun.

Les chants de Taizé m’ont fait chialer. Ils ont réussi là où même Patti Smith avait échoué. Parce qu’ils m’ont pris aux tripes et que j’ai vu les visages des humains recueillis là, les fatigués, les cassés, les recueillis, les adorants, les extatiques. Quand je vois des gens pleurer, de tristesse et de joie, je pleure aussi, c’est humain, immédiat.

C’est quand la dernière fois que tu as chanté avec 3000 personnes devant une scène vide où le silence et le chant disent que tu es là où est la superstar, enfin, que la superstar est un humain battu, défait, assassiné, et qu’il vit en toi ?

Ce que l’on appelle le refrain chez les laïcs, est une prière ici. La répétition lancinante veni sancte spiritus, tui amoris ignem accende, veni sancte spiritus, veni sancte spiritus : une invitation à lâcher avec le mental. Cette phrase lourde tourne en boucle, lancinante, percutée par de l’allemand, de l’espagnol, de l’anglais, du français, un galimatias d’autre langues, mais qui toutes disent la même chose:  viens Esprit saint viens, chauffe-nous, brûle-nous de ton amour,  ici bas ça caille, on claque des dents, mais nos coeurs même durs sont encore de paille et nous sommes de matière inflammable.

Dans l’église de Taizé, tout le monde est assis à la même enseigne. Les pauvres, les riches, les boiteux, les handicapés. Pas de sièges d’exception, pas de marques, de différences. Tous au sol, et devant le même mur de lumière, entonnant dans toutes les langues des paroles simples, faciles à répéter, qui vont fouiller bas.

Le vendredi, la grande croix de bois est mise au sol. Ceux qui souhaitent s’y prosterner se lèvent, s’avancent, pour déposer leur front sur la croix. Non, ça ne se bouscule pas, ne se presse pas, non;  ça chante, attend son tour et chante encore, dans toutes les langues et dans tous les tons, juste et faux aussi, et quelle importance? Parce que les larmes coulent et qu’elles nettoient tout.

Pourquoi je ne laisserai personne dire que Ton amour est un feu n’est pas la plus belle chanson du monde? Parce qu’elle a été écrite dans l’amour, et qu’elle place cet amour au-dessus de la connerie des hommes et de leurs violences; que cette phrase: aimons-nous les uns les autres puisque l’amour est de Dieu, me permet de me replacer sans fin devant cet amour qui vient de plus loin et plus profond que nous, et qui donc… nous survivra.

Sylvain Thévoz

Le Sud – Nino Ferrer

C’est un endroit qui ressemble à la Louisiane… « C’est quoi la Louisiane ? »… À l’Italie « C’est quoi, l’Italie ? ». Il y a du linge étendu sur la terrasse, et c’est joli. « Pourquoi c’est joli ? »… Cela fait trente, quarante, ou peut-être cent fois que j’essaie d’endormir ma fille en fredonnant cette chanson. Elle en a avalé les sonorités sans rechigner, à peine le chat du deuxième couplet avait-il attiré son attention. Et voilà qu’elle me contraint à une explication de texte acharnée, sans laisser passer le moindre vers, elle me dissèque mon Sud et mon Nino…

Ferrer, le chanteur le plus sous-estimé de la francophonie, cantonné à la variétoche rigolote, à Gaston, à Mirza, entonnés avec cette voix à la fois rauque et tendre qui pourrait faire pâlir de jalousie bien des vocaliseurs sans âmes, tristes squatteurs des bandes FM.

Bien sûr, il y a La Maison près de la Fontaine, et Le Sud, présentés comme deux OVNI dans le répertoire de Nino, des concessions à la chanson à texte, alors que c’est tout l’inverse. Réécoutez Nino Ferrer and Leggs ou Blanat, des albums aux guitares puissantes, aux arrangements torchés, aux frontières de la poésie, de l’expérimentation sonore, et d’un n’importe quoi vaguement dadaïste qui est la marque de fabrique de l’ermite de Montcuq.

Des chansons qui me collent au cœur, j’en ai plein, de sa réécriture d’Il pleut Bergère, à l’effroyable Arche de Noé, d’Alcina de Jesus (merveille de texte sur la révolution des oeillets) à la Rua Madureira… Mais voilà, lorsque ma fille me réclame une chanson et que je suis las de Siffler sur la colline, de ce bon vieux Joe Dassin, quand je m’en remets à Ferrer à l’heure des berceuses, la première chanson qui me vient, c’est bel et bien Le Sud.

Ce sera bientôt, je peux l’imaginer, le refrain de nos vacances en famille, à quatre dans une automobile trop pleine à réclamer une éternité de soleil, un temps qui fasse une pause pour nous laisser respirer notre bonheur à plein nez, loin de l’essouflement routinier, des affres du boulot et de la scolarité.

Et puis,  un jour où l’autre il faudra qu’il y ait la guerre, on le sait bien…  Papa, c’est quoi la guerre ?

Dors, s’il te plaît, mon amour.

Michaël Perruchoud

À la claire fontaine – Traditionnel

Pas la peine de tourner autour du pot; tout est dit dans cette chanson-là, et ce qui n’est pas dit est suggéré. C’est ce qu’on appelle la poésie, tout simplement, pour les ceusses qui ne comprennent pas.

Amitié, amour, connivence, complicité, regret, suggestion, remords.

On ne sait pas et on s’en fout. Ce qui est important c’est qu’on soit ému. C’est tout. Et là, on est gâté.

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Tout est dit : passé, présent, futur.

Allez hop. Question suivante?

Mon ami Pierre. Bouton de rose. En haut d’un chêne. Je m’y suis baignée.

Mais bordel, tu comprends toujours pas? T’es pas poète toi. T’es matérialiste.

Il faut que JE T’AIME soit hurlé pour que tu comprennes? Comme quand c’est Johnny qui chante?

Eh ben, moi, c’est pas mon truc les gueulards, les geignards, les pleureuses, les suicidaires, les dépressifs.

Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Moi, c’est À la Claire Fontaine et pis c’est tout.

Enfin, non ce n’est pas tout. Mais celle-ci, elle est hors compétition, parce qu’elle est immortelle.

Son histoire déjà, c’est toute une histoire. Je ne vais pas vous la jouer Wikipédia, mais en quelques mots, faut savoir que c’est une vieille chanson française oubliée, quasiment disparue, sauf par nos cousins d’outre-Atlantique qui ont eu la bonne idée de nous la ramener pendant la Première Guerre mondiale. Merci les gars ! La guerre, ça a du bon.

À moins que la maladie d’Eisenhower ne s’en mêle et m’emmêle, je te le promets : il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai.

Laurent Boissery

Les Passantes – Georges Brassens

Il y a ce temps, comme une hésitation. « Je veux… dédier ce poème… » C’est que, voyez-vous, pardon, mais on entre ici à pas feutrés. Pattes de velours pour « ces belles passantes qu’on n’a pas su retenir ». Il ne s’agirait pas de bousculer ces « fantômes du souvenir » qui se tiennent là, bien au chaud, à peine effleurés par un Georges Brassens soudain si tendre. Alors qu’il ouvrait ce trente-trois tours en assurant que quand il pense à Fernande, il bande, il bande, il bande. Alors que, juste avant, il affirmait encore : « Quatre-vingt-quinze fois sur cent, la femme s’emmerde en baisant ».

Avec Les Passantes, pas de pom-pom-pom-pom, ni de gaudriole. Juste deux guitares, une contrebasse à vous tirer des larmes et une profonde mélancolie, pas si fréquente chez Tonton Georges. Ces Passantes, c’est autre chose. Des chefs-d’œuvre, il y en a eu déjà, prêts à surgir au coin de chacun de ses vers ou de ceux des autres : prenez Les Oiseaux de passage, adaptés de Jean Richepin. Chef-d’œuvre, oui, bien sûr, aucun doute, qui oserait affirmer le contraire ? Mais, comment dire ? Moins immédiat, plus tarabiscoté, plus intellectuel, presque, si l’on osait cette insulte.

Les Passantes, elles, vous parlent au cœur. Tout droit. Émotion pure, sur une mélodie ciselée, peaufinée jusqu’à la juste patine. Il lui aura fallu trente ans avant la première interprétation en public, à Bobino, fin 1972. Brassens a 51 ans, il est une immense vedette, au sommet de sa réputation (mauvaise, évidemment), mais il ne pète pas vraiment la santé. Pas étonnant que ce texte suintant de nostalgie lui parle, que le touchent ces instants où un bref sourire entraperçu aurait pu tout changer.

La découverte, elle, remonte à 1942. Au marché aux puces, Brassens déniche une plaquette de poésie datée de 1918. Émotions poétiques, elle s’appelle, on n’a pas trouvé mieux comme cliché lourdingue. Il ignore tout de cet Antoine Pol. Publié à compte d’auteur, le recueil contient un texte bouleversant de simplicité. Pas d’afféterie, juste le regret de ne pas avoir su saisir son destin, ce jour où l’on a laissé descendre la compagne de voyage sans effleurer sa main. Pas grand-chose, en réalité, presque rien, quelques éclats de souvenirs, qui s’effacent « pour peu que le bonheur survienne ». Mais voilà qu’un soir, sans même y penser, ils nous éclatent en pleine trogne. Et ne nous lâchent plus, « si l’on a manqué sa vie ».

« Si l’on a manqué sa vie… » Tout est dans ces quelques mots, écrits par un gamin de 20 ans, comme s’il savait qu’il allait passer à côté de son existence. Parce que la guerre de 14 lui volera des années de jeunesse. Parce qu’il se rêve poète et deviendra ingénieur des Arts et Manufactures, puis président-directeur général d’un négoce de combustibles. C’est bien aussi, mais bon…

Quand Brassens estime la chanson digne d’être gravée, après des années à chercher le bon rythme, les accents ni mielleux ni trop graves, il charge le brave Gibraltar de retrouver le mystérieux Antoine Pol. Un beau jour, cette lettre : « Monsieur, votre secrétaire m’a dit ce matin au téléphone que vous recherchiez depuis six mois l’auteur d’un petit poème, Les Passantes, que vous aviez l’intention de mettre en musique. J’en suis très flatté… » Par extraordinaire, Antoine Pol préside une société de bibliophilie, qui s’apprête à publier un choix de poèmes de Brassens, illustrés par Jacques Hérold. L’ouvrage paraîtra en 1974. Il vaut cher, aujourd’hui.

Le chanteur souhaite évidemment rencontrer l’ingénieur retraité. Foutue timidité, il recule, finit par l’appeler pour entendre sa femme lui répondre qu’Antoine Pol vient de mourir, après avoir assuré à son petit-fils : « J’ai écrit Les Passantes, toi tu les entendras chanter pour moi. » Il pouvait s’endormir tranquille : tout le monde désormais saurait que ce poète inconnu avait dit comme personne les « espérances d’un jour déçues ».

Éric Bulliard
Décembre 2013

Hécatombe – Georges Brassens

Une vingtaine d’années déjà que j’écoute Brassens. En boucle. J’aime toutes ses chansons. Les connues, les moins connues, les contestataires, les polissonnes, les tendres, les posthumes. Je me prosterne devant L’Orage, révère Mourir pour des idées, m’extasie pour Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, lève mon verre pour Le Bistrot, reprend à tue-tête Putain de toi, me perds Dans l’eau de la claire fontaine, et m’émeus aux larmes pour Les Passantes.

Alors pourquoi Hécatombe?

J’ai une tendresse particulière pour ses chansons libertaires de jeunesse, mûries après-guerre à l’impasse Florimont sous le regard bienveillant de la Jeanne. Celles qui fustigent avec une égale application les cons, les militaires, les curés, les flics, les magistrats.

Hécatombe est à mon sens la plus drôle de Brassens. La plus hénaurme, la plus truculente, la plus rabelaisienne. Et la plus anar. C’est d’ailleurs la seule chanson de son œuvre où le mot « anarchie » apparaît. Pas dans n’importe quelle bouche. Dans celle d’un maréchal des logis…

J’entends déjà les bonnes âmes me rétorquer qu’Hécatombe n’était qu’une pochade grivoise de Brassens pour amuser ses copains. Qu’une chanson mineure de son fabuleux répertoire. Non, non et non, morbleu! Chez Brassens, aucune chanson n’est à sous-estimer! Surtout pas les plus burlesques, celles où les bergères allaitent les chats, les gorilles déniaisent les juges et les femmes massacrent les flics dans un grand élan jubilatoire.

Bon, voilà ce qui se passe.

Lorsque montent les premières mesures d’Hécatombe, je replonge en enfance, le marché de Brive-la-Gaillarde se transmuant en théâtre de Guignol. Dans une sorte de transe chamanique, je suis soudain projeté dans la mansarde de Georges. Il est là avec son chat, sa moustache et sa pipe à observer hilare le pugilat. Il mouline l’air de crochets et d’uppercuts tel un entraîneur de boxe pour encourager ses protégées. Car ça castagne sec au marché, sacrebleu ! Les légumes et les coups pleuvent, les seins se transforment en matraques, les fesses en étau. Les pandores sont vite ratiboisés par la rage destructrice des harpies. Une vraie boucherie. L’émasculation est évitée de justesse (pour une raison inavouable) après deux minutes de bonheur absolu.

Et comme toujours chez Brassens, ce joyeux bordel est encadré par une rigueur formelle inouïe. Octosyllabes parfaites, rimes croisées masculines et féminines, rimes riches qui valent le détour (même s’il ne fait pas rimer « trompes de Fallope » avec « salope » dans celle-ci).

Il y a quelques années, je suis parti avec deux amis au marché de Brive-la-Gaillarde dans un improbable pèlerinage, un peu comme d’autres se rendent à Morgarten ou à Verdun. Nous sommes arrivés un samedi matin pluvieux après une bonne dizaine d’heures de train depuis Lausanne (Brive, ça se mérite). Dans la vaste Halle Georges-Brassens, nous avons acheté une botte d’oignons et discuté foie gras et potager avec quelques vieilles matrones moustachues que l’on imaginait sans peine avoir participé au pugilat mémorable. Et nous avons rivalisé de théories fumeuses pour déterminer où se trouvait la mansarde de Georges…

Peu après, je suis tombé sur ce fait divers. Le 24 juillet 2009 à Cherbourg, un jeune homme de 27 ans chante Hécatombe à sa fenêtre. Au même moment passent trois flics. Qui apprécient moyennement. Le type est condamné à 200 euros d’amende et à un travail d’intérêt général de 40 heures. « Interpréter cette chanson devant un miroir, pourquoi pas… Devant des policiers, c’est un outrage! » clame le procureur au tribunal. En réaction à cette condamnation ubuesque, une trentaine de personnes se retrouvent devant le commissariat de Toulouse pour entonner la chanson interdite. Les choristes finiront tous au poste.

Soixante ans après avoir été interdites d’antenne, les mégères gendarmicides font encore des vagues, ventrebleu! Et restent plus subversives que les vitupérations des rappeurs emperlousés et les fesses de M Pokora.

Et ça, braves gens, c’est une très bonne nouvelle.

Philippe Lamon

Le Coup de soleil – Richard Cocciante

Bien sûr il y a les guerres d’Irlande,

Il y a ces amis, Joe, Jeff, et Gaston qui répond jamais quand je l’appelle, les copains d’abord mais aussi mon vieux, des inconnus parfois, le poinçonneur qui fait des trous et un burn-out, cet Italien qui cherchait des allumettes, l’arabe qui m’a porté sur son dos et l’Auvergnat qui m’a donné du pain; quelques filles également, Paulette et ses mollets d’acier, Roxane qu’éteint jamais la lumière, Mathilde, Madeleine et la Fanette, trois belles salopes, la p’tite mendigote qui fait fuir la peine, la femme qui est dans mon lit enfin pas dans le mien; quelques bestioles encore, le gorille évadé et la Mirza itou, le singe à qui on n’apprend pas à faire la grimace, et ce petit âne gris qui n’en finit pas de mourir au fond d’une étable, j’en pleurerais, d’ailleurs j’en ai pleuré,

Il y a des saisons, parfois il neige en avril et ça me pointille l’âme, un jour en juin et en anglais, l’automne qu’on ramasse à la pelle, et quand tout est ramassé maintenant que vais-je faire?

Il y a des endroits si ancrés en moi, le port d’Amsterdam qui sent la moule et la pisse, la mer du Nord qu’on a pas trop envie d’y aller mais quand même, Vierzon ça fait rêver alors que c’était pas gagné, des pays inconnus au bout de la terre avec des gonzesses à poil qui fleurent la vanille, New York où j’irai un jour, avec toi bien sûr, le p’tit village et son vieux clocher, et le banc où on pourra s’asseoir cinq minutes pour regarder la vie ou la plaine, oh ma plaine, la colline où elle m’a dit d’aller siffler, et nom de bleu la rue d’Carouge, qu’est-ce que c’est beau, et puis Montmartre et ses lilas, et Nantes où il pleut, j’en suis malade, Brest où il pleut aussi décidément alors que moi j’veux du soleil…

Eh bien, ça y est. Je l’ai attrapée, ma plus belle chanson du monde. Mon coup d’soleil. Que tu me joues au piano, chantant de ta douce petite voix toute juste et qui m’étreint le cœur alors je brame faux, par intermittences parce que je me rappelle jamais les paroles. Qu’on entonne en chœur et à tue-tête, ravies comme des midinettes quand elle passe à la radio, en se regardant (au feu rouge) avec plein de choses qu’on se dit avec des yeux brillants comme un ciel d’été.

Alors bien sûr, il y a un fameux trois mâts et un bateau craquant de la coque au pont, mais je préfère encore ce voilier, alors viens ma belle, la mer est calme on peut s’tirer.

Fred Bocquet