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Pilule – Damien Saez

Damien, c’est une baffe dans ta gueule.

Une bonne baffe qui te fait penser que peut-être, tu t’es gouré.

De celle qui ne t’autorise pas à continuer comme si de rien n’était, sifflant le nez en l’air, l’air de rien.

Saez, c’est une taffe d’énergie.

Une bonne taffe d’herbe qui t’envoie sur orbite.

De celle qui t’autorise à penser que ton trip est partagé, que « l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage », et qu’avec un peu de bol, y’a du monde qui attend que tu redescendes.

Car lorsque tu acceptes que cette voix qui pourrait déranger n’a plus d’importance et que tu entres, tête la première dans ses textes, comme un spéléologue qui n’a rien à perdre, tu prends la mesure du choc qui va t’estourbir dès que tu penseras avoir trouvé le puits de lumière qui te permet enfin de sortir du tunnel.

Parce que cette lumière, elle est multicolère.

Elle t’emmène sonder le fond de tes tripes, le fondement de ton enfance, l’insondable de tes racines.

Elle te questionne sur tes principes, comme un boomerang.

Pas celui que tu lances à tes gosses le dimanche pour qu’ils courent le chercher. Non.

Celui qui revient dans ta gueule à coup sûr. Le vrai.

Qui après une frappe bien sentie et une légère nausée explicable te fait regarder tes gosses et votre avenir autrement.

Parce que ce mec et son vécu d’écorché; (dont Voici n’a pas eu les droits)

Voilà qu’il te renvoie tes rages adolescentes; à 40 ans.

Voilà qu’il te rappelle les mochetés inacceptables que tu as oubliées; à 40 ans.

Voilà qu’il te réveille d’un long sommeil; à 40 ans.

Parce que dans ses textes, il y a « salut à toi mon frère »,

Parce que dans ses textes, il y a du Brel,

Parce que dans ses textes, il y a du Brassens,

Parce que dans ses textes, il y a du Bashung.

Sauf que c’est du Saez.

Sauf qu’il respecte ses pairs, tout en les honorant.

Parce qu’il réoriente ton avenir et celui des tiens, en puisant dans ses maîtres pour les ressusciter.

Parce que souvent l’histoire se répète, et qu’il serait urgent de l’en empêcher.

Là.

Maintenant

Tout de suite.

Tamara Védrine

Les Meurtrières – Damien Saez

Bon, d’accord, parfois tu as envie de lui flanquer des baffes. Ses poses de post-adolescent rimbaldien, d’artiste maudit qui souffre, parce que, voyez-vous, elle est partie et ça fait mal. Parce que la vie est moche et que vous êtes tous des cons. Ses airs de « je suis un rebelle, moi, Monsieur ! La preuve, je crie “putain” et “enculé”. »

Mais un jour, quand même, cette voix fragile t’accroche l’oreille. Pas de doute : elle transpire la sincérité, tu le sens, ce genre de choses. Alors tu écoutes, tu comprends que ce Saez écrit comme personne. Et c’est toi qui prends une sacrée claque.

Ça, c’était il y a des années. Maintenant, tu connais Damien Saez et tu sais qu’il les surclasse tous. Quelqu’un pour dire le contraire ? Depuis le triple album Varsovie, L’Alhambra, Paris (2008), tu n’as pas oublié qu’il est capable de pondre des chefs-d’œuvre dépouillés. Tu les attends à chaque disque, mais de là à voir venir ce choc… Petite intro à la guitare, bouffie de mélancolie, et quelques mots : « Je suis venu pour te rejoindre, toi tu n’as pas voulu me voir. » Toute une atmosphère en une phrase parfaite.

Oui, Les Meurtrières parlent de rupture, mais aussi de New York, de douleurs, la mienne, intime, qui ne se compare à aucune autre. Même celle de leur 11 septembre.

Le monde en pleurs pour le center
Et moi qui pleure pour mon amour
Je sauterais bien du haut d’une tour

A-t-on jamais mieux dit cette déchirure ? Qui oserait nier qu’une ville en cendres n’est rien face à un amour qui s’effondre ?

Et si deux tours manquent à New York
Mon amour, toi tu manques à moi.

D’accord, dit comme ça, « tu manques à moi » n’est pas très joli. Mais comment ne pas frissonner ?

Ce pur désespoir, Saez le chante en se forçant à une sérénité qui le rend d’autant plus poignant. La voix reste à deux doigts de se briser, à bout de souffle, mais elle tient, en effrayant équilibre, même quand il lâche que la Terre peut bien mourir, « moi je m’en fous, puisqu’elle me fait vivre sans toi ». Même quand il se résout : « Allez, je saute, j’en peux plus ». Avant d’ajouter :

Et que les goélands m’emmènent
Où les poètes sont les dieux
Où les adieux sont les je t’aime

On ne répétera jamais assez qu’il n’y a nul besoin de mots compliqués pour que jaillisse la poésie.

Et puis, ces « meurtrières », dont la dernière syllabe semble ne jamais s’éteindre. Avec ce double sens de femmes assassines et d’ouvertures dans les murailles, comme on en voyait sur toute la hauteur des tours new-yorkaises. Et puis cette guitare hypnotique, ce chœur féminin qui arrive on ne sait d’où pour vous dresser les poils. Et puis ce dialogue avec soi-même, avec sa douleur :

Un jour, tu sais, tu reviendras
Pour un café ou quoi que ce soit
Arrête de délirer enfin
Tu sais qu’elle ne reviendra pas

Alors tu l’écoutes une fois encore. Et encore. Dix fois, vingt fois, plus fort. Alors tu te retrouves au bord des larmes, tu te retiens pour ne pas y plonger.

Alors tu te dis que Saez a un putain de talent.

L’enculé.

Éric Bulliard