Archives de catégorie : Chansons

Comme elle vient – Noir Désir

Et voilà du rock, du lourd, du qui tache et qui fait mal aux doigts à jouer à la guitare.
Une chanson faite pour être braillée en chœur, la voix cassée d’avoir fumé trop de cigarettes et bu du mauvais rhum. Un truc d’étudiants, en somme. Un poncif, mais qui a la vie dure, et tant mieux.

Sans cette chanson, il y a fort à parier que je serais aujourd’hui mariée à un ingénieur et mère de 1.99 enfant, avec la maison, le chien, la totale.

C’était sans compter que mon chemin tranquille d’étudiante studieuse croiserait celui d’une bande d’allumés. Avec en son centre, Olivier, toujours prêt à dégainer sa gratte en fin de soirée. Et moi, arrivée par hasard dans ce microcosme et qui ne jurais auparavant que par la musique anglophone, j’ai littéralement senti un monde s’ouvrir.

Un monde schizophrène, où le cynisme le plus dur se mariait sans fausse note avec des vies qu’on osait tout à coup rêver tout haut. Et sur les accords de Noir Désir, on arrivait à croire que l’on serait différents, qu’on échapperait à tout ça, le formatage, la moyenne, les normes.

Alors parce qu’en l’espace de ces quelques strophes, on se voyait vraiment changés en rois, qu’on a hurlé ensemble à la lune, et même si aujourd’hui les jeux sont faits, je ne laisserai personne dire que ce n’est pas une des plus belles chansons du monde.

Aude Nessi

Le Chant du fou – Hubert-Félix Thiéfaine

La plus belle chanson du monde, c’est Le chant du fou. Il y est question d’une vérité que tu cherches par-delà l’espace. D’une vérité au bout des doigts, que tu éclaires d’une lampe entre les mâchoires. D’un fou qui meurt de désespoir. Le fou effleure la vérité, la lumière le fou déflore, il est fou de la côtoyer et meurt de cette proximité malgré le rempart de sa folie. Malgré l’apaisement de son chant. Le chant du fou s’élève entre les tombes. Les arbres du cimetière frémissent de frôler cette vérité de cyprès. Même mort, le fou chante encore, un nombre premier le fou chante, pour couvrir les inepties qu’on profère autour de lui à longueur de débit. Les hochements de tête sur son corps encore chaud. Le chant du fou, c’est sa manière de résister à la pollution, de résister à la résignation, c’est sa manière de s’élever au-dessus du charnier des idées à l’agonie, de planer sur les détritus de la pensée prémâchée, de prendre le recul nécessaire pour conserver sa fragile et précieuse dose de folie et l’emporter dans l’au-delà.

Un autre fou sort de son trou et vient respirer la lumière. Il s’en gorge immodérément, les poumons plein de vérité, il expire son rire dans un chant trop bruyant, ivre d’impuissance et d’avoir trop compris, d’un seul coup il rit, tandis qu’autour de lui, chacun poursuit son minutieux travail de sape et d’anéantissement. Demain tu verras tous ces petits alchimistes pulvériser un continent.

Le fou chante gratuitement. Il n’espère ni un sursaut des consciences, ni attirer l’attention. Il se contente de cueillir des pensées délicates dans le tumulte de la déraison, d’arroser les pensées qui germent sur son balcon. De les arroser en chanson. Il nourrit ses mythes de compagnie et dialogue par-delà les siècles, puisque le sien l’étiquette. S’ébroue pour secouer les épithètes qu’on lui colle à la peau. Son grand plaisir est de déjouer les pronostics, de démentir les diagnostics, sans jamais sacrifier sa folie sur l’autel de la science. Il chante son désaccord de sol, d’un chant qui ne se laisse inscrire sur aucune partition.

Le fou chante pour couvrir le tumulte de son désarroi. Il chante autant de fois qu’il faut pour s’apaiser. Et son chant insoutenable de vérité refoulée se perd dans la frénésie d’un monde enchaîné à sa propre ivresse. L’alcool se fige dans ton verre sans pouvoir déchirer ta tristesse. De son chant le son s’éteint sans tympan percuter, pauvre champ de pharyngales en plein vol fauchées.

Pris dans le naufrage collectif, le fou s’émeut d’un détail, d’une poussière promesse de renouveau. Cet artisan de l’impalpable a mis l’espoir en berne et le chant en avant. Dix-sept fois ce matin, pour dix-sept riens, il a chanté et sa voix comme un sanglot de beauté m’appelle à douter de tout, sauf du fou, écrin de vérité. Prisonnière des convenances, j’envie sa folie d’affranchi et pour m’entraîner je chante, à tue-tête, j’expire le chant comme d’autres le poison, me laisse insuffler la liberté inspirée par le fou, l’air de rien, dans un souffle, et sans cesse remets l’ouvrage sur le métier, dix-sept fois, moi aussi, ce matin, j’ai chanté.

Sabine Dormond

Look What Love Has Done – Chris Whitley

Il y a des chansons qui, même si on ne les écoute plus, flottent encore dans un coin reculé de la mémoire, chantent doucement l’air précieux d’antan. Lueur infime dans la nuit des songes, trace subtile dans le timbre d’une oreille, courbe sinueuse marquée sur les mélodies qui viennent en gorge. À moins que ce ne soit là qu’images romantiques pour faire l’histoire belle, remplir de fantasmes le vide incertain laissé derrière soi: de ces contes qui servent à tenir debout au présent, et qui peuplent demain de repères. Peut-être la chanson n’est-elle pas plus importante que son auteur et toute l’affection qui lui fut portée. Quinze ans pour remonter à la source. Je me souviens, les casques sur les oreilles, un grand magasin de la ville, la stupeur – le monde condensé tout entier au milieu du crâne, dans cette expérience d’écoute, d’immersion, d’invasion. Les hameçons se fichaient un à un sur ma peau: les diaprures de blues posées sur chaque note de guitare, la tristesse délicate dans les yeux de ces fêlures vocales, la rage désespérée venue du fond d’un autre ventre. L’étrangeté organique de ces arrangements, et quelque chose d’une détermination radicale, d’une fougue adolescente mûrie au feu de l’expérience. Mais j’ai dû penser ça autrement, alors: « Aouch, ‘tain c’est beau… » Ou plutôt rien pensé du tout: regard dans le vide, silence réflexif, sidération. Regarde ce que l’amour fait.

Ces chansons rangées sur le rayon, inscrites quelque part dans le sillon d’une platine, qui ont creusé de profondes saillies dans les veines du vivant, elles emplissaient des journées entières. Elles sont encore là sans y être. Qu’en reste-t-il? Fred était sans doute avec moi au magasin. Je tenais un joyau. Il y avait toujours cette petite atmosphère de compétition. Chris Whitley, ce serait ma pépite. Fier: moi qui ai découvert, regarde, écoute. Nathalie, elle s’appelait, c’est sur elle – si j’ose dire – que notre amitié a posé sa première connivence. Collège, semaine une, il était assis à côté de moi dans le couloir, on se connaissait de vue mais on n’avait encore jamais discuté. Nathalie est passée… Silence (l’amitié et les silences). On se regarde (l’amitié et les regards). Mines déconfites, paupières désolées, mâchoires perplexes, premiers mots: on était d’accord (l’amitié et les filles). Mais j’étais quand même plus croché que lui. Grave. Trois ans sans oser un mot. Même pas durant les dix minutes du remonte-pentes 4 places où nous n’étions que les deux. Rien qui sort. Sidération. J’aurais aimé lui chanter: « Look what love has done »

Oui, j’étais plus amoureux de Nathalie que lui. Disons que moi je l’étais vraiment, lui se rinçait les yeux: elle faisait pleurer. Elle avait la grâce délicate, angélique. Et j’étais plus dingue de Chris Whitley aussi. Fred jouait de la batterie, écoutait du jazz, délirait sur Elvin Jones. Moi je me glissais dans la peau du guitariste-chanteur, l’identité confusionnait. C’est de tous les disques, Living with the law, celui sur lequel j’ai le plus chanté – à des hectares de circonférence. Pourtant la guitare en open tuning, l’expertise de la main droite, le slide, tout ça me laissait sans repères, incapable d’apprendre les morceaux, à jamais tenu dans les zones d’un désir parfait: inassouvi et fleurissant. Le dobro aux crasseuses métalliques, les accords, ça ne ressemblaient à rien de ce que je connaissais, sinon quelques évocations des disques de mon père. (Je vois la fourre jaune d’un Big Billy Bronzy terreux et magnifique). Fred, c’est le meilleur ami qui m’a permis de franchir les années crasses, métalliques, désaccordées de l’intérieur, avec qui je pouvais parler de l’expertise de la main droite, de nos désirs inassouvis et fleurissants, des chansons qui nous restaient coincées dans la gorge devant ces filles trop belles. Nos regards leur glissaient dessus comme un slide sur des cordes, sauf qu’elles ne semblaient jamais entendre la belle musique de nos émois. Ça nous rendait tristes, quand même. Regarde ce que l’amour fait.

On avait eu droit à un traitement de faveur du prof de latin: un cours en privé, lui et nous – et c’est pas parce qu’on était particulièrement brillants, le traitement de faveur. On n’en menait pas large. On aurait dit César, vraiment. Un grand brun royal, une gueule imposante, la voix sévère, tenue altière, immense. César en personne nous enseignait le latin. C’était des séances de frayeur, chacun comptant sur l’autre pour se tirer de la panade, plongeant le nez sur le bureau, devinant les pieds de l’empereur juste là, à un mètre de nous, terrifiant. Son empire n’a rien pu pour sauver nos frégates en perdition: les déclinaisons déclinaient, on n’avait pas l’amour de la rosam… La scansion et nous, c’était comme essayer de joindre les beats d’Elvin à la diction de Chris: hors de portée. On avait des sanglots de rire en sortant de là, les paumes moites et les fesses fébriles. Parfois j’imagine cette période sans ce lien de confiance, sans le privilège de notre amitié, et je frissonne à la solitude écrasante qui se dessine. Sidération. Regarde ce que l’amour fait.

J’aimais les lancées aiguës proches du cri, les décrochages du larynx, le mélange de rugosité et de douceur. Il y avait une jouissance à l’écouter, Chris, et à chanter avec lui. Ça exultait quelque chose, c’était poétique et brutal, ça sentait la sueur, l’intimité, la tendresse, c’était à la fois complexe et direct, palpitant. It’s hard living with the law. C’est dur de vivre avec la loi. Mais c’est sans doute bien pire de vivre sans elle. Les lois de la camaraderie faisaient un pendant aux lois parentales, les lois scolaires donnaient l’occasion de rencontrer les lois des filles, et les lois de César resserraient celles de l’amitié! C’était une période de commerce intensif, légalement parlant. J’avais le respect de l’ordre bien imprimé dans les gestes. Les évasions musicales faisaient des respirations existentielles salvatrices. Pendant les cours, je jouais des solos dans ma tête: je voyais les doigts. Ivre dans le train vers Prague, Nathalie ayant quitté le collège et mon cœur depuis un moment, je chantais Chris Whitley pour les non initiés du couloir, Fred se marrait copieusement, et je ne sais pas trop a fortiori si mon généreux hommage au musicien lui fit vraiment honneur… C’était la fameuse semaine du voyage de maturité. Celle où j’ai vu mes premières étoiles contre les lèvres de Tizi: mon initiation à la vraie langueur d’un baiser, je l’avoue – « no one can disguise » – et à la vraie douleur d’en être aussitôt privé – « somebody always crying somewhere ». Regarde ce que l’amour fait.

On ne se rend pas toujours compte de l’importance vitale d’une présence. Un ami. Une chanson. Chris Whitley, peu le connaissaient, et je l’avais en source d’étonnement pour autrui, comme une étoffe à présenter. Je connaissais toutes les paroles par cœur, il y avait, dans l’estime que je tentais de me porter, ce faire-valoir, et l’aspiration à chanter un jour comme lui. C’est pas rien, comme forme donnée, structure d’intimité, fantasme identitaire. Chris est resté dans ma discothèque, le lien a changé, mais la passion renaît parfois de ses cendres quand j’écoute l’invraisemblable talent du songwriter décédé trop tôt, sans même que je ne le sache, 45 ans, cancer. Je me suis souvenu du tout premier interview que j’avais lu dans un Rock&Folk: il buvait des Coronas comme d’autres allument le prochain clope avec le précédent. J’ai ressenti comme un abandon de ma part: je ne l’avais pas suivi jusqu’au bout, et il était parti sans que je le voie venir – pour ainsi dire… Avec Fred aussi, le lien a changé. J’aurais aimé pouvoir user de ces registres vocaux où la parole échappe au contrôle, décrocher la colère rentrée, oser donner à la tendresse la vie de sa complexité, la rugosité de son vivant, évaser la panoplie de nos humeurs. Je ne pouvais pas. La proximité s’est trouvée parasitée de chants retenus, gangrénée de tumeurs symboliques au moment où nos vies prenaient la tangente. Elvin Jones, Chris Whitley, bifurcations. Désormais, il reste un profond respect, les allusions aux vieilles complicités, et tous les secrets échangés, le trésor des générosités reçues. Je me souviens d’une bouteille de champagne, vidée en douce derrière le collège pour fêter l’un de nos anniversaires: on savait se traiter. Ce jour-là, j’ai éprouvé toute la conscience du cadeau que constitue une amitié dans une vie. Je me demande si une chanson pourra jamais rivaliser – même la plus belle. Regarde ce que l’amour n’a pas su faire.

Mamy Blue – Nicoletta

Allez, je me lance dans un deuxième article. Je vais me payer la honte, c’est sûr, moi l’amateur de punk-rock, d’opéra et de Brel. Moi le fan des Kinks, de Slade et des Pink Floyd de l’époque Meddle… Moi qui ai vibré sur Winehouse, Wagner et Charlotte Parfois. Moi qui, moi qui, moi qui, président de la république mettrais quinze heures de musique par semaine dans les écoles primaires et vingt à l’université. Moi, président… Non, c’est pas ça que je dois écrire, c’est sur Mamy Blue de Nicoletta, je crois… Woaaw la référence qui craint, j’espère qu’aucun pote ne lira cet article un jour.

Allez j’avoue, j’avais neuf ans, c’était pas ma faute si je ne savais pas que les « Bitols » et les « Beatles » étaient un seul et même groupe, que les Stones étaient de braves garçons gentils avec leur maman, et que Nicoletta, bon… Mais c’était dans la 2CV de Flavien. Flavien, c’est pas l’empereur, je suis pas si vieux quand même, c’est le père de mon pote de toujours, près de cinquante ans d’amitié, qui dit mieux? On s’est connus tout petits, et on est toujours copains, escaladant tous les sommets de Haute-Savoie dès que l’occasion se présente. On avait donc neuf ans, on était quatre gamins à l’arrière de la 2CV, à l’époque il n’y avait pas de ceintures de sécurité, pas d’ABS pas d’airbag – que l’air con comme dit Geluck –, on allait skier, il y avait la sœur de mon pote, mon pote, ma sœur et moi. On mâchait du chewing-gum pour boucher les trous du toit en tissu souple de la 2CV, une Diane je crois. Il devait y avoir la radio, et c’est là que Mamy Blue intervient. Ça devait être une sorte de tube de l’époque. On était les quatre gamins à chanter et hurler ça sur la banquette arrière. Les parents du pote riaient en nous entendant depuis l’avant. Tout ça était simple, joyeux, on ne connaissait pas encore Guantanamo, l’État islamique, les OGM, Blocher, les dangers du nucléaire. Quarante ans ont passé, et j’ai à nouveau les larmes aux yeux en écoutant ça. En plus les paroles de Nicoletta semblent revenir dans le temps pour redonner vie au jeune homme que je fus, qui parlerait à l’enfant que je ne serai plus jamais non plus :

Je suis parti un soir d’été
(Oh Mamy)
Sans dire un mot, sans t’embrasser
(Oh Mamy)
Sans un regard sur le passé
(Oh Mamy)
Le passé
Dès que j’ai franchi la frontière
(Oh Mamy)
Le vent soufflait plus fort qu’hier

Ainsi va la vie…

Philippe Gobet

Love Me Tender – Elvis Presley

Je n’avais jamais remarqué qu’Elvis avait une si jolie voix. Ça m’a frappé pas plus tard que l’autre jour, alors que je cherchais un bon pinard pas trop cher à Denner. Love Me Tender se faufilait entre les allées pour me caresser une oreille. Je me suis trouvé comme un con, ému, à me laisser porter par cette guitare toute simple et cette voix tendre pendant que ma fille me tirait sur la manche devant les pots de Nutella.

Et c’est de la vraie chanson d’amour ; la plus belle, sans aucun doute. Le gars Elvis n’est pas en train de draguer la minette en lui promettant l’éternité, et que je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimée. Ils sont déjà dans les bras l’un de l’autre, dans leur cocon, et il lui dit juste à quel point leur amour est beau et lui fait du bien, et qu’il va l’aimer toujours.

Même quand il sera devenu vieux, obèse, drogué, cette chanson lui accordera l’amour éternel.

Sébastien G. Couture

You Know I’m No Good – Amy Winehouse

Purée, j’aurais voulu écrire sur Pink Floyd parce que leurs lignes éthérées se sont inscrites définitivement dans mes cellules d’enfant qui ne savait pas encore qu’il allait vieillir… On aurait pu vivre plus d’un million d’années, n’est-ce pas Nino, s’il n’y avait pas eu ton fusil. Je planais avec les Floyd, sans drogue et sans alcool, sur des mélodies d’une harmonie transfigurée, où la guitare sèche donnait des repères tendres au milieu de trouvailles psychédéliques incroyables. Mais on a déjà écrit sur le Floyd. Puis sur Manu, le pote à Renaud, mais des poteaux l’ont écrit avec talent, rien à redire, le Mistral est gagnant. Je voudrais aussi écrire mille pages sur la pureté punk & pop sublime des Ramones, qui ont fait leurs écoles à sniffer de la colle à NY, et surtout Joey avec sa dégaine tordue. Et mille pages encore sur dix autres qui m’ont touché au coeur.

Mais finalement, la seule qui m’a fait pleurer dans ces dix dernières années, c’est Amy. C’était dans le TGV, je partais rejoindre un ami cher à Dieppe, j’écoutais un concert téléchargé sur YouTube, de l’époque où elle chantait sans être totalement bourrée… ou moins en tout cas… Et ce rythme chaloupé, puis la fameuse et simple ligne de basse, enfin la voix… ensorcelante, douce, presque joyeuse et infiniment nostalgique à la fois. Les cuivres sublimes et pourtant j’aime pas ça les cuivres, moi monsieur! Quand la batterie s’arrête, la voix d’Amy s’entortille, se déroule, envahit le ciel autour de nous. Cette émotion inouïe… J’étais avec des inconnus dans le TGV, les larmes aux yeux… J’étais bien, je me sentais presque bon. Pas elle.

Philippe Gobet

Same Love – Macklemore

Et si la musique existait, non pas pour nous divertir, mais pour nous engager, pour nous muer, pour nous faire réfléchir, pour faire vibrer en nous une émotion, pour en sortir grandi ? Pour ébranler nos convictions, pour mûrir notre réflexion, pour nous sortir des tripes une envie de changer les choses, de faire de notre planète un monde différent, l’envie de laisser une trace un peu plus intéressante à nos enfants. L’envie de se dépasser, d’aller plus loin.

La liste des courses est ambitieuse. Et certaines chansons pourraient bien la rallonger de quelques pages encore tant l’impact qu’elles ont sur nous est fort. On en ressort différent. Une larme jaillit parfois à la première écoute, comme une révélation d’un texte qui nous touche au plus profond de notre être, qui dévoile en nous ce petit quelque chose qui fait toute la différence et qui changera notre écoute du morceau en question pour la vie.

Ces chansons, heureusement, il y en a beaucoup. Elles appartiennent à un répertoire d’engagement sincère qui fait du bien. Qui nous rappelle l’importance de certaines thématiques et nous remet un peu en place, nous et nos problèmes de riches. Ce répertoire, le voilà avantageusement complété par un rap, ce qui vaut son pesant de cacahuètes tant on sait les rappeurs avares en plaidoyers sincères sur les grands faits de notre société (et ce n’est pas Eminem et ses 26 bitch toutes les deux phrases qui me contredira). Voilà donc un rappeur de style, de talent, et aux convictions touchantes. Plongeons-nous dans « Same Love », de l’artiste Macklemore.

Macklemore, c’est le jeune bogosse à la grosse b*** de « Thrift Shop », c’est « Ten Thousand Hours» ou « Can’t hold us », ces tubes qui ont fait le tour de la planète en 2013. Des rythmes prenants, qui sortent des codes habituellement associés au rap, avec des mélodies qui n’ont rien à envier aux genres de musique qui me sont plus proches (pop, jazz, rock, etc.). Bref, un rap plaisant qui n’a pas grand-chose à voir avec le rap bas-de-gamme de 50 cent et autres Nicki Minaj.

Son titre « Same Love », c’est son cri contre l’homophobie rampante dont souffre notre société et qui, aux Etats-Unis, prend une ampleur inquiétante.

Quand j’étais en troisième, j’ai pensé que j’étais gay. Parce que je pouvais dessiner, que mon oncle l’était, et que je rangeais ma chambre. Je pleurais, ai confié mes doutes à ma mère. Elle m’a dit « Ben, tu aimes les filles depuis la maternelle ! » Je dois admettre qu’elle marque un point…

J’écoute le premier couplet et je repense à tous ces enfants qui ne parlent pas à leur mère lorsqu’ils découvrent leur identité sexuelle. Je pense à ceux qui risquent la peine de mort à l’idée même de désirer une personne du même sexe et qui ne pourront jamais confier leurs doutes, qui ne pourront jamais avoir une discussion sincère avec leur mère, et qui ne sauront pas davantage que leur oncle préfère les hommes.

Les conservateurs de droite pensent que c’est un choix, et que tu peux en guérir avec un bon traitement ou une foi religieuse. L’homme réécrit à sa guise, joue à Dieu. Voilà l’Amérique la téméraire qui craint ce qu’elle ne connaît pas.

Le décor est posé. L’Amérique prône ses valeurs puritaines et laisse les autres sur le carreau. Elle n’a que faire qu’un jeune homosexuel sur quatre tente de mettre fin à ses jours. Elle joue à Dieu et interprète, à la lettre, un texte qui date de Mathusalem. Comme si on battait nos enfants lorsqu’ils désobéissent, comme si on lapidait ceux qui mangent des crustacés, comme si on respectait les écrits bibliques de manière aveugle…

Place à Mary Lambert, dont la voix douce nous emporte au refrain :

Je ne peux pas changer. Même si j’essayais. Même si je le voulais…
Mon amour, elle me tient chaud…

Je ne peux pas changer. C’est en moi, je suis né comme ça.
Même si j’essayais. Je suis homosexuel, pourquoi devrais-je essayer d’être comme vous, Avez-vous seulement essayé d’être comme moi ?
Même si je le voulais. Pourquoi le voudrais-je ? Je suis heureux…

Macklemore n’est pas tendre non plus avec ses confrères et leur public, qui déversent leur haine des homosexuels à tout bout de champ.

Si j’étais homo, je crois que je détesterais le hip-hop.

Puis il parle de combat. Celui de ces homosexuels qui ont lutté, en 1969, pour qu’on reconnaisse leur normalité. Qu’on cesse de considérer leur sexualité comme une maladie. Que la société reconnaisse que leur amour n’est pas moins propre que l’amour hétérosexuel. Macklemore dit son soutien à tous ceux à qui on a volé la dignité. À ses oncles et à tous et toutes les autres. Il répète sa répulsion d’une religion qui prône la haine et le dégoût.

Le même combat qui a amené nos ancêtres à revendiquer leur différence. C’est des droits de l’homme pour tous, je n’admets aucune différence. Vis et sois toi-même. Quand j’étais à l’église, ils m’ont enseigné autre chose. Si tu prêches la haine pendant ton service, ces mots ne seront pas ignorés. L’eau bénite que tu nous sers le dimanche est empoisonnée. Pas de liberté tant qu’on n’est pas égaux, c’est clair que je soutiens leur combat !

« L’eau bénite est empoisonnée ». Tout est dit. Le culte de la haine a certes un héritage très profond. Des milliers d’années. Mais on n’en veut plus. On doit changer. Tout doit changer. Détester son voisin parce qu’il est noir, tuer quelqu’un car il fait trop de bruit, battre quelqu’un parce qu’il est différent, finir ses jours en prison parce qu’on a voulu casser du pédé. Notre société a besoin de tourner la page, de se concentrer sur les belles choses, d’avancer vers le meilleur. Utopiste, moi ? Mais non, mais non…

Un certificat sur papier ne va pas tout résoudre. Mais c’est un bon début. Aucune loi ne va nous changer. Nous devons nous changer. Quel que soit votre croyance, on vient du même Dieu. Chassez votre peur. Puisque tous les amours sont pareils.

Jenoe Shulepov

Bullet in the Head – Rage Against the Machine

C’est le moment.

They say jump and ya say how high
Ya brain-dead
Ya gotta fuckin’ bullet in ya head

Une semaine que nous faisons monter la pression.
Une semaine que nous affichons, diffusons l’info.
Une semaine que nous leur demandons d’être présents aujourd’hui à 11 heures.
Ils sont 25 000 dans la fac.
Une semaine que nous les motivons.

Nous c’est une poignée des 25 000, une centaine tout ou plus.
Nous dans cette centaine, c’est une dizaine de personnes.
Nous avons monté cette action dans le plus grand secret.
Nous allons faire un truc énorme.
Nous avons demandé à tous de nous faire confiance.

This time the bullet cold rocked ya
A yellow ribbon instead of a swastika
Nothin’ proper about ya propaganda
Fools follow rules when the set commands ya

La foule est énorme.
Bien plus que ce que nous attendions.
Le grand hall est plein.
Le parvis aussi.

Just victims of the in-house drive-by
They say jump, you say how high

J’attends un appel pour confirmer le lancement.
Il n’arrive pas.
La foule s’impatiente.
Deux longues minutes s’écoulent.
Toujours rien.
je prends sur moi et lance la chose, parce que c’est le moment. Je le sais.

And mutha fuckas lost their minds

Run it!

800 étudiants se ruent sur le rectorat, il est pris dans les 10 minutes qui suivent l’appel.

Bullet in the head.

Nous avons gagné.

Le CPE

1, 2, 3, trois p’tits chats – Vivi

1, 2, 3, trois p’tits chats
trois vilains petits fripons
le premier qui dira :
« c’est une chanson pour les cons ! »

on lui mettra une torgnole
un crochet dans les guibolles
un crachat tout dégoûtant
ma fille et moi en rigolant…

1, 2, 3, trois p’tits chats
trois vilains petits fripons
j’suis l’premier qui chialera
quand ma belle sifflera plus cette chanson…

Le plus bel air populaire de 1P à chanter en trottinette.
Pas besoin de la défendre… faites des enfants !

Max der Zinger

https://www.youtube.com/watch?v=Dg3_MYaLnMM

Wish you were here – Pink Floyd

Il est des morceaux qui vous accompagnent tout au long de votre vie, qui transbahutent tout un chargement d’émotions. Et qui vous prennent à chaque fois par surprise, vous incitent à monter le son de la radio ou à suspendre la discussion que vous aviez en cours.

Des morceaux qu’on écoute un peu comme on prie.

Aude Nessi

https://www.youtube.com/watch?v=217JOBWTolg