Le jeu à la nantaise

Serais-je fille de Canaris pour n’avoir comme uniques souvenirs sportifs, moi qui le pratique si peu, que des matches de football ? Des nébuleuses soirées de ma grosse quinzaine à ma petite vingtaine où, la clope au bec, mais oui, la bière à la main, surtout, je hurlais hors-jeu, à répétition, avec le fieffé aplomb de la gamine alcoolisée, ne recevant en retour que regards noirs des « hommes » (ils étaient vieux) qui m’entouraient, rajoutant à mon rire mon rire solitaire, y a des trucs avec lesquels on ne rigole pas, mademoiselle. Confusion de l’ivresse qui se mêlait à une bête fierté, on a gagné, on n’a pas joué, on a bien picolé, et on a tout raflé, patron, la même ! Mais cette jeunesse de tendre innocence se teinte étrangement d’un constat, de toutes ces images, de celles qui viendront, me reste surtout le visage de ceux à mes côtés, mes amours, du timide premier qui criait bien moins fort que moi (mais sans doute plus à propos) au premier mari qui lui n’hésitait pas à se lever pour hurler buuuutt, en pleine tribune nantaise, alors qu’il soutenait Paris, évidemment (et que là, par contre, je me taisais, faisant mine de ne pas l’accompagner, instinct de survie), au Suisse qui regardait ma joie (exagérée, ô provocation française) durant ce match mémorable qui opposait son pays au mien, que nous avions suivi dans un pub lausannois (ma mémoire joue de l’exagération, 5-1, c’est ça ?), à celui d’après, Parisien, exultant, délirant, excessif, devant je ne sais plus quelle rencontre, toujours en terre helvète, et des hommes en présence (une constante) qui se retournaient agacés, assassins, a priori ici, là-bas, le foot se regarde en silence, tout comme la messe, et de mon empressement à le tirer par la manche en lui disant chuuuutt, on n’est pas en France là, on va se faire foutre dehors. Sport amoureux et léger décalage, allégorie du couple tant qu’on y est, quand l’un crie l’autre se tait, quand l’autre se lève l’un reste assis. S’aime-t-on alors, quand l’engouement de l’ami encombre, quand l’incompréhension de l’ami attriste ? Que faire de la joie, que faire de la honte, que faire de l’autre. Ma vingtaine s’est multipliée, sur le banc de touche me vient la furieuse envie de remettre les crampons, pour voir…

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