Je me suis pété un morceau de dent, pile devant. C’était en jouant au tennis, tout seul, contre un mur, quand j’avais dix ans. Un revers m’est revenu dans la face. Maintenant, chaque photo où je souris, ça me rappelle que, le tennis, c’est pas un sport pour moi. Malgré tout, je crois que Super-Souris garde une place beaucoup plus importante dans ma vie que le tennis.
Super-Souris est une souris avec une cape et donc des super pouvoirs.
En 1996, j’avais neuf ans, pas encore de dent cassée et plus tout à fait l’âge de croire que Super-Souris était pour de vrai. J’avais passé l’âge, je crois, de me jeter la tête la première dans le canapé en criant « Supeeeeer-Souuuuriiiiiiis », bien que je le refasse de temps à autre aujourd’hui.
Mais je sais plus pourquoi je vous parle de Super-Souris.
Ah si. J’étais dans ce même canapé.
Je regardais un match de tennis à moitié, en zappant entre un dessin animé et des chocos BN, quand soudain, la télé du salon toute puissante me commande de regarder un moment héroïque. Divine, elle se fixe à peine quelques secondes avant le plus beau moment d’un match de Jimmy Connors. C’était Jimmy Connors contre… quelqu’un de pas assez intéressant pour qu’on se rappelle de son nom j’imagine.
Je sais pas comment on décrit un match de tennis par écrit, mais en gros, la balle allait d’un côté à l’autre du filet. D’en bas à en haut de la télé.
Et puis des fois ça faisait l’inverse aussi.
Et puis là, sur un coup qui va d’en haut à en bas, y’a l’autre qui tente un énooooorme lobe ! Jimmy Connors, qui jusque là n’avait pas utilisé ses super pouvoirs, décide de lancer sa raquette tout en haut au dessus de sa tête, genre à 500 mètres. La raquette est en l’air, pendant au moins 10 minutes, et après avoir tourné un million de fois sur place, comme les ballons dans Olive et Tom, Jimmy et sa raquette mettent le point. Ouais, la balle touche la raquette dans un angle parfait, calculé grâce aux super pouvoirs de Jimmy Connors.
En fait, il lui manquait juste une cape pour que ce soit parfait. Et peut-être aussi, en récompense, un trophée en fromage.
Jimmy Connors jette sa raquette en l’air et marque le point
Hambourg,
gare centrale, dans la nuit du 1e au 2 mai 2010, il est bientôt minuit, le quai
des trains longue distance vers le Sud de l’Allemagne se remplit lentement de
supporters, la plupart déjà parés de brun et de blanc, les couleurs de leur
club fétiche, le FC Sankt-Pauli, deuxième club de la grande ville du Nord.
C’est samedi soir et la nuit promet d’être longue, très longue même, puisque le
retour est prévu ici-même dans plus de 24 heures sans qu’une quelconque pause
dodo ne soit véritablement au programme. D’ailleurs, ce dernier prend la forme
suivante : six heures de train direction Fürth, dans la banlieue de
Nuremberg, tournée des bars, déplacement vers le Playmobil-Stadion et enfin, à
17h30, coup d’envoi du match SpVgg Greuther Fürth – FC St. Pauli, comptant pour
l’avant-dernière journée de 2e Bundesliga. L’enjeu est simple; en
cas de victoire, les visiteurs seraient tout simplement promus en première
Bundesliga, ce qui représenterait un exploit pour un club idéologiquement
marqué très à gauche et ne disposant pas de gros moyens financiers, malgré une
assise populaire impressionnante dans tout le pays. Le décor est posé,
l’aventure peut maintenant commencer.
Le
déplacement se fait dans un Sonderzug,
un train spécial affrété exprès pour les supporters – un petit millier –
préférant se déplacer au match en évitant le car ou la voiture. L’ambiance est
à la fête, la présence d’un wagon bar-disco au milieu du convoi y est pour
beaucoup. Le trajet passe très vite, le tout, bien évidemment, dans la bonne
humeur et au son d’hymnes germanophones qui puent le foot, la bière, et le
rock’n’roll. Au petit matin, notre arrivée en gare de Fürth ne passe pas
inaperçue puisque chants et fumigènes aux fenêtres sont de la partie. Le plus
difficile commence peut-être ici, car il nous faut trouver comment occuper la
petite douzaine d’heure qui nous sépare du coup d’envoi, et ceci un dimanche
dans une petite ville de Bavière qui, à cette heure-ci, ne semble pas être
prête pour l’invasion de supporters qui l’attend. Des craintes au final
infondées puisqu’au fil de la journée, quasiment tous les bars et restaurant de
la bourgade ouvrent leurs terrasses aux milliers de fans venus de toute
l’Allemagne, voire d’Europe. Après plusieurs heures à s’envoyer saucisses, mais
surtout Pilsner, Weizenbier, et même Pfferminz Likör tout en chantant
l’entier du répertoire des différents fan’s clubs, il est temps de prendre la
direction du stade.
Après
une longue marche où la tension fait son apparition, nous prenons place dans
cette enceinte à l’architecture plutôt surprenante et occupée pour plus de
moitié par des supporters visiteurs, tous debout de longue minutes avant le
début de la rencontre. Celle-ci commença enfin, dans une ambiance inoubliable. Le
match en lui-même fut un condensé de ce qui a fait le succès de cette
magnifique saison que j’ai pu suivre durant mes dix mois à Hambourg. Du rythme,
de l’intensité en attaque, des frayeurs derrière, un grain de folie, et juste
ce qu’il faut de sang-froid devant les buts pour initier d’incroyables
effusions de joie dans les gradins. Après une première mi-temps tendue, à la
fin de laquelle les locaux vont ouvrir le score, les Kiezkicker vont dérouler dans le deuxième acte en inscrivant quatre
buts fêtés comme ils se doit dans des tribunes en fusion. Score finale 1-4 pour
les hambourgeois, buts marqués par les inévitables Naki, Ebbers, Takyi et
Hennings. Plus on se rapproche de la fin du match, plus l’euphorie gagne un
public autant heureux qu’éméché. Lorsque le coup de sifflet finale résonne,
nous envahissons la pelouse comme il se doit pour communier avec les joueurs,
mais également pour vivre au plus près ce moment historique. Cette promotion en
Bundesliga est vécue comme un titre de champion du monde. L’émotion est à son
comble à même la pelouse. Bref, des frissons, des vrais…
L’après-match et le retour dépassent l’entendement, sans compter que vu le débit de houblon du jour – et on ne parle pas d’Alsterwasser, la bière panachée du Nord – les souvenirs se font plus flous. Nous quittons le stade dans un joyeux bordel, direction la gare. Une fois dans le train, la fête bat son plein. Pour la deuxième nuit de suite, nous sommes des centaines serrés dans le wagon festif. Ces moments passent très vite, et l’atterrissage – oui on peut l’appeler comme ça – en gare de Hambourg, là-même où le voyage a commencé la veille, conclut cette journée irréelle, mais ne marque que les débuts de plusieurs jours de célébrations dans les nombreux bars de St-Pauli ainsi que dans leur antre, le Millerntor. Le tout l’année du centenaire du club. La fête était ainsi totale pour un club qui ne ressemble à aucun autre: décalé, engagé, sacrément punk.