U-chronique sportive

Je veux bien écrire sur le sport, mais je vous dis tout de suite que je ne suis pas Blondin.

Si je l’ai été plus jeune, c’était au plan capillaire, pas littéraire.

Antoine Blondin est né le 11 avril 1922 et moi le 12 mai 1972, avec plus ou moins exactement cinquante ans, un mois et un jour de retard, ce qui pourrait à la rigueur constituer l’amorce d’un début de lien.

Mais à part ça, il y a autant de différence entre lui et moi qu’entre le Real de Madrid et Neuchâtel Xamax.

Il n’a pas écrit que sur le sport et le vélo, l’auteur de l’enivré et enivrant Un singe en hiver. J’ai, quelque part dans ma bibliothèque, un joli petit bouquin un peu daté intitulé Les Enfants du bon dieu. C’est le récit plein d’humour d’un prof qui réécrit l’histoire au moment de l’enseigner, prolongeant de septante-et-une années la Guerre de Trente Ans pour « battre un vieux record, celui de la Guerre de Cent Ans », cela afin de « stimuler l’intérêt de ces enfants, dont la plupart admiraient les champions avec un chauvinisme sans fissure » et de « satisfaire leur sens sportif ».

Aujourd’hui, on appellerait ça un uchroniste.

Tiens, moi, si je pouvais réécrire l’histoire du sport, eh bien, déjà, Pierre Délèze ne tomberait pas à 5 mètres de l’arrivée dans sa série du 1500m aux JO de Los Angeles en 1984. Il tomberait à deux mètres de la ligne. En glissant sur la piste. Pour se qualifier sur le ventre, dans le même temps que Steve Ovett qu’il aurait emporté dans sa chute. Bon, il serait retombé en finale mais, au moins, on lui aurait donné la médaille d’or de plongeon pour l’ensemble de son œuvre.

Tant qu’on y est, le 4 février 1987, aux championnats du monde de ski de Crans-Montana, Joël Gaspoz n’aurait pas embouti, dans une explosion de neige, cette stupide marmotte déshibernée au passage de géantistes au-dessus de sa tête, venue siffler son ras-le-bol depuis le trou situé juste sous l’antépénultième piquet. Il aurait été médaillé d’or et célébré comme le premier héraut valaisan de la cause antispéciste. Avant d’être abattu par un chasseur fan de Pirmin Zurbriggen.

Et au Texas en 1992, Marc Rosset et Jakob Hlasek auraient atomisé l’armada des McEnroe-Courier-Agassi-Sampras-Excusez-Du-Peu pour remporter la Coupe Davis dans un geste protofédérien. Après quoi le ténébreux Jakob Hlasek serait devenu acteur à Hollywood, cumulant les troisièmes rôles de traîtres venus de l’Est. Quant à Marc Rosset, il serait encore en train de fêter dans quelque petit bar topless de Dallas racheté avec des associés-potes.

Mais surtout, si je pouvais réécrire la légende du sport pour toucher à la grande Histoire, comme le prof du récit de Blondin, les Français gagneraient la quatrième guerre franco-prussienne : la demi-finale de Coupe du monde de football qui s’est jouée à Séville le 8 juillet 1982.

Le problème, c’est que si les choses s’étaient déroulées ainsi, le destin de l’équipe de Neuchâtel Xamax, avec le maillot de laquelle je jouais au foot, mangeais et dormais, aurait été tout autre. Parce que, voyez-vous, ses deux titres remportés successivement en 1987 et 1988, elle les doit à Ueli Stielike, ancien mercenaire du Real de Madrid ressemblant comme deux gouttes de schnaps à Gérard Jugnot.

Au départ, Ueli Stielike faisait partie des Méchants de 1982.

Défenseur ennuyeux, il avait raté son penalty dans la séance de tirs aux buts et s’était effondré comme une larve. C’est ce gros monstre de Horst Hrubesch qui avait fini par le décoller de la pelouse. Je ressentais déjà une aversion à l’encontre du dernier cité qui, avec sa horde de Hambourgeois brutaux aux noms imprononçables, avait éliminé d’extrême justesse quelques mois plus tôt mon Xamax, arrivé pour la première fois en quart de finale de la Coupe UEFA. Ravivant cette jeune blessure, l’issue de la bataille de Séville m’était insupportable. Bataille, car la rencontre s’était transformée en match de boxe thaï à la 56e minute, lorsque le gardien-boucher Schumacher avait assommé d’un coup de hanche l’ami Battiston, arrière franchouillard très étonné de se retrouver pour une fois en position de marquer. J’éprouvais après cela une haine farouche contre le peuple allemand que les fantasmes que je nourrirai à l’égard de la chanteuse Nena ne parviendront pas à atténuer.

L’Allemagne fédérale éliminée par la France en demi-finale à cause d’un pénalty qu’il aurait été le seul à rater, Ueli Stielike n’aurait pas supporté de devenir l’incarnation malingre d’une tragédie nationale. Blessé dans son honneur, il aurait mis fin à sa carrière en germaintleman. Lui qui n’a après ce jour plus voulu tirer de pénalty. C’était du reste une clause du contrat signé avec Neuchâtel Xamax qui aura eu pour conséquence de transformer cet ennemi larvaire en une idole papillonnante. Et qui lui offrira l’occasion d’aller taquiner son ex-employeur madrilène dans un épique second quart de finale de Coupe UEFA.

Sans son maître à jouer, mais avec au même poste le Battiston handicapé et tout inutile que ses dirigeants s’en seraient allés chercher à sa place, Neuchâtel Xamax n’aurait pas été sacré champion de Suisse à deux reprises.

La première fois, assez facilement, presque sans gloire.

La deuxième fois, dans les arrêts de jeu du dernier match de la saison, au terme d’un suspense insoutenable enduré… dans la fournaise de ma chambre d’où j’écoutais le match en direct à la radio, pleurant enfin devant ces images du capitaine Stielike brandissant la Coupe qu’une voix inconnue gravait dans ma tête.

Ils sont là, mes plus beaux souvenirs d’un évènement sportif.

Dans ces instants de passion adolescente vécus l’oreille contre le poste et que je n’aurais peut-être pas eu la chance de connaître si la légende du sport, cruelle à ne vouloir faire briller au firmament des mémoires que les perdants, avait été écrite autrement.

Et pour en revenir à Antoine Blondin, après avoir bien révisé l’histoire, il est mort au mois de juin 1991, pendant que je révisais mon bac d’histoire.

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