Archives mensuelles : juin 2020

Temps mort

Regarder la NBA, la ligue de basket américain, est une activité solitaire. Les premiers matchs commencent en principe vers 1h, les derniers finissent au lever du soleil. Même quand il m’arrive de rentrer à la fermeture des bars, je surprends mes compagnons de nuit : eux iront s’effondrer dans leur lit ; je m’installerai devant un Denver Nuggets – Minnesota Timberwolves, peut-être avec des pâtes ou des œufs brouillés, dans une assiette froide. Souvent, je travaille en même temps : l’avantage d’avoir deux écrans d’ordinateur. Combien de fois j’ai croisé Alicia, mon ancienne colocataire, qui se levait à 6h pour aller courir avant le chahut du monde, tandis que je me brossais les dents avant d’aller me coucher. Difficile dans ces conditions de rassembler une équipe de potes avec qui regarder, même pour un match de play-off.

La NBA, c’est un truc de solitaire, on ne partage pas les joies de la victoire. On ne partage pas les douleurs de la défaite. De cette nuit-là, je n’ai encore rien digéré : ni les pâtes, ni les œufs, ni la défaite.

C’était le 12 mai 2019. Mon équipe, les Philadelphia Sixers jouent leur demi-finale de la conférence Est contre les Toronto Raptors. C’est le septième match – éliminatoire, celui qui perd rentre à la maison. Le match est tendu, les joueurs n’ont jamais été aussi nerveux : 18-13 au premier quart-temps, c’est très faible. Mais aucune équipe ne prend le pas sur l’autre. Les défenses sont solides. Serge Ibaka impose sa masse dans un duel de Big Men avec Joel Embiid. Jimmy Butler et Kawhi Leonard s’arrachent des ballons, des tripes, le public canadien est délirant. A douze secondes de la fin, le score est encore affreusement serré : 89 pour Toronto, 86 pour Philadelphie. Mais douze secondes au basket, c’est énorme et Embiid a deux lancers francs. Il semble souffrir du genou s’avance tout de même pour tirer. Il les met sans sourciller. 89-88. Remise en jeu et faute immédiate sur Leonard qui se prépare pour deux lancers francs à son tour. Il met le premier mais manque le second ! Harris lance Butler qui file inscrire un lay-up ! 90-90, il reste 4,2 secondes.

Les yeux rivés sur l’écran, il est environ 3 heures, ça fait bien longtemps que les pâtes et les œufs sont dans mon estomac. Le temps-mort me semble interminable. J’en ai vu beaucoup des matchs qui se jouent sur un tir, sur une possession, à la dernière seconde comme ça : mais là les enjeux sont énormes et les joueurs le savent. Les 7 matchs de cette demi-finale, ne se joueront finalement qu’à un seul tir, en 4,2 secondes. 

Les joueurs regagnent le terrain. Les coachs ont chacun préparé un système, l’un pour attaquer, l’autre pour défendre. C’est Marc Gasol, le grand Espagnol des Toronto Raptors qui va faire la remise en jeu. Kawhi Leonard reçoit la passe. 3,9 secondes. Il contourne toute la défense. 2,5 secondes. Il s’enfonce dans le coin gauche de la raquette. 1 seconde. Embiid se jette sur lui pour l’empêcher de shooter mais Leonard parvient à tirer en total déséquilibre ! 0,2 seconde ! Le ballon, délicat comme œuf, est lancé très haut et retombe presque verticalement. L’horloge hurle la fin du match.

Le ballon frappe l’arceau.

Le ballon frappe une deuxième fois l’arceau.

Le silence s’empare de toute l’Amérique du nord – USA et Canada.

Les ricochets du ballon sur le plastique de l’arceau résonnent comme des claquements de fouet, comme le marteau d’un juge.

Cela dure une éternité.

Le ballon frappe une troisième fois l’arceau.

Une quatrième fois, puis retombe tout doucement à l’intérieur du panier.

Les joueurs explosent. Le public explose. Ma tête aussi, comme une coquille d’œuf lancée sur le sol. Toronto l’emporte, Philadelphie est éliminé. Et je suis seul comme je ne l’ai jamais été.

Galvanisés par le shoot le plus fou de l’histoire de la NBA, les Toronto Raptors, à la surprise générale, et sur le parquet de la meilleure équipe de la ligue, gagneront quelques jours plus tard les finales, et ainsi leur tout premier titre. Quant à moi, je me méfie maintenant des pâtes aux œufs les soirs de match ; et il m’arrive de manger des tranches de tresse, sur lesquels j’étale, avec amertume, du Philadelphia.

Matthieu Corpataux

Une poignée de secondes

Finale de l’Euro 2000 – Dimanche 2 juillet 2000 – Stade de Feyenoord, Rotterdam, Pays-Bas

FRANCE – ITALIE 2-1

Le match est terminé, c’est une évidence. Pour tout le monde. Pour les joueurs italiens qui font tranquillement tourner le ballon afin de tuer les quelques secondes qui les séparent de ce deuxième titre de champions d’Europe, pour le public de Rotterdam qui rythme leurs passes de «Olés» et, surtout, pour l’ensemble du banc transalpin qui s’est levé comme un seul homme, prêt à envahir le terrain. Même quelques Français semblent avoir baissés les bras. Deux ans après leur titre mondial à domicile, les hommes de Roger Lemerre ne briseront donc pas la malédiction voulant qu’aucune équipe ne soit capable de gagner, à la suite, une coupe du monde et un Euro.

Pourtant, les Bleus n’ont pas démérité. Durant les nonante minutes de cette finale, les deux équipes se sont rendu coups pour coups, tant dans les occasions de buts que dans les duels pour le moins musclés. Finalement, c’est l’Italie qui, grâce à une astucieuse talonnade de la future légende romaine Francesco Totti, a ouvert le score par l’intermédiaire de Delvecchio. Dans la surface adverse, Zidane, Henry, Djorkaeff, Dugarry, Trezeguet, Wiltord ou encore Pirès se sont, tour à tour, brisés les dents sur la muraille transalpine et son emblématique maillot Kappa.

Il reste soixante secondes aux Bleus pour résoudre une équation qui paraît insoluble. Comment marquer face à l’Italie, célèbre pour son art de la défense? Comment marquer face à une équipe qui a résisté, à dix contre onze, durant plus d’une heure, contre l’impressionnante force offensive hollandaise en demi-finale? Comment marquer, surtout, face aux 196 centimètres de l’infranchissable Francesco Toldo qui n’a encaissé que deux buts durant toute la compétition?

Trois des quatre minutes supplémentaires octroyées par Monsieur Anders Frisk sont déjà écoulées quand Fabien Barthez s’élance pour botter un ultime coup de pied arrêté à l’orée de sa surface. Le match est terminé, c’est une évidence. Déçu du résultat, l’auteur de ces lignes est parti se brosser les dents et regarde l’écran de loin. Demain, il y a école. Le ballon du gardien tricolore s’envole dans la nuit de Rotterdam. Dévié par le crâne de Trezeguet, il lobe un défenseur transalpin et atterrit, par miracle, sur la poitrine de Wiltord. Après deux rebonds à gauche de la surface, le Français expédie une frappe sèche et cadrée entre les jambes de Nesta.

Mais il reste le monstre. Celui qui hante l’esprit de tous les attaquants croisés durant cet Euro. Celui qui a repoussé les nombreuses tentatives tricolores depuis le début du match. Pourtant, pour la première fois de la compétition, Francesco Toldo craque. Sa main gauche n’est pas assez ferme et ne peut que ralentir le ballon qui vient se nicher dans son petit filet. Allongé sur la pelouse, le dernier rempart transalpin se cache derrière ses gants: tout est à refaire. Les Italiens sont aussi abattus que les Français heureux, l’incrédulité se lit sur tous les visages. Le match aurait dû être terminé, c’était une évidence.

Sylvain Wiltord, lui, est aux anges et court vers les tribunes, bientôt rejoint par ses coéquipiers en extase. De son index levé, le sauveur des Bleus rappelle qu’il ne faut pas vendre la peau du coq avant de l’avoir plumé. Une bonne étoile veille, décidément, sur cette génération tricolore emmenée par les tauliers et futurs retraités Didier Deschamps et Laurent Blanc.

Quand les prolongations commencent, l’atmosphère est irrespirable. En vertu de la règle du but en Or, la première équipe qui marque soulèvera le trophée. Malgré la fatigue, les 22 acteurs n’ont donc plus le droit à l’erreur. Dans les gradins, la confiance a changé de camp. Les «Olés» ont cédé la place à la Marseillaise et aux «On n’entend plus chanter les Italiens».

Sur le terrain aussi, ce sont les Français qui prennent le dessus. D’une tentative de ciseau acrobatique Zidane passe à deux doigts d’endosser une nouvelle fois la cape de héros de la nation. Mais, après le but inespéré de Wiltord entré en jeu à la 58ème minute, il était écrit que les remplaçants tricolores décideraient du sort de cette partie. Sur un ballon récupéré coté gauche, Pirès élimine deux adversaires et centre en retrait. Au bout de sa passe, le pied gauche de David Trezeguet. Avec l’équilibre d’un danseur de ballet, le numéro 20 expédie un chef d’œuvre de demi-volée dans la lucarne d’un Toldo impuissant. Le monstre est définitivement vaincu.

Maillot à la main, Trezegol n’a plus qu’à s’élancer en direction du poteau de corner et de la postérité. Cette fois-ci, le match est bel et bien terminé.

Un rotoillon de légende

16 juin 2010, Durban – Afrique du Sud

Soyons clair, comme entrée en matière pour une coupe du monde, y’a mieux que de se farcir les champions d’Europe en titre.

En ce début de journée, les statistiques vont bon train du côté ibérique… 2-0 facile… on va même sûrement vous en passez (que) 4 si on est sympa… mon calme hélvétiquement olympien me permet de rester zen, parce que j’espère qu’ils ont raison et que nous n’allons pas prendre une réelle wagonnée… (on voit là toute la confiance que j’avais en cette brave équipe de Suisse).

La journée se poursuit sur cette même lancée, alors j’en viens à espérer un miracle, à imaginer leur tête déconfite si d’aventure l’Espagne venait à se briser sur nos vaillants défenseurs et ne parvenait pas à nous mettre une déculottée.

Fin de journée, je m’enferme dans mon salon, implore tout ce qui peut l’être et m’installe confortablement sur mon canapé…

Tout se passe comme prévu, on ne touche pas une bille… on a regroupé les cars postaux à l’entrée des 16 mètres, on subit et on balance loin devant dès qu’on arrive à toucher un ballon… et ça s’en va et ça revient… tika-taka….

Mi-temps : bière fraiche, clopes… suis pépouze serein… plus que 45 minutes à tenir.

Et c’est réparti, youpi… un copié-collé de la 1ère mi-temps… tout du moins pendant 6 minutes… parce qu’à la 52ème, les lois antigravitationnelles n’existent plus, la théorie du chaos prend place dans mon salon, Piqué-Puyol-Casillas out, mon cardio à 250…. Et Gelson Fernandes pour le plus beau « but-rotoillon » de l’histoire du football après une action d’école (suisse)…

Bière fraiche, clopes…. Je ne suis plus du tout serein… encore 40 minutes de calvaire… les spasmes s’installent, mon cardio ne veut pas descendre, je colle à mon canapé, la température semble avoir augmenté de 10 degrés… 40 minutes qui me semble une éternité… on n’arrive plus (toujours pas) à dépasser le milieu de terrain, on balance à tous vents pendant que l’armada « roja » nous presse et nous assaille de toute part… on va jamais tenir, on va craquer (surtout moi)… je n’ose plus bouger malgré le verre vide… le frigo est trop loin, le temps semble s’être arrêté…. Jusqu’à cette 95ème bénie par le coup de sifflet final de M. Webb… et je perds toute dignité, je pousse une gueulante… mes voisins ont dû avoir un début d’attaque…

Bière fraîche, clopes, je retrouve mon calme. Après tout, il ne s’agit que d’un match… ce qui ne m’a pas empêché, en toute mauvaise foi (vu qu’on a été quand même assez mauvais), de me rappeler aux bons souvenirs de mes amis espagnols le lendemain…. qui ne se sont pas gêné de se rappeler à mon bon souvenir lorsqu’ils ont soulevé la coupe… c’est de bonne guerre.