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Et Messi croqua Madrid à pleines dents

El Clásico – Dimanche 23 avril 2017 – Stade Santiago Bernabeu, Madrid, Espagne

Real Madrid – FC Barcelone 2-3

Ce soir-là, Lionel Messi débarque au stade Santiago Bernabeu de Madrid avec la tête des mauvais jours. Au sens propre d’abord, l’Argentin arborant un magnifique œil au beurre noir suite à un choc aérien, en milieu de semaine, avec le milieu de la Juventus, Miralem Pjanic. Mais, au-delà de l’aspect esthétique, c’est surtout la situation du FC Barcelone qui préoccupe le futur sextuple Ballon d’or. Les Blaugranas viennent d’être éliminés de la Ligue des Champions et comptent, au coup d’envoi, trois points de retard sur leur éternel rival madrilène dans la course à la Liga. La défaite est donc interdite pour les Catalans. Messi, lui, se sait attendu. Il n’a plus marqué face à la Casa Blanca depuis six confrontations, une éternité pour le meilleur buteur de l’histoire des Clásicos.

Et les choses ne vont pas aller en s’améliorant pour l’Argentin. Dès la 12ème minute, le numéro 10 réceptionne le ballon dans le rond central et élimine avec facilité son adversaire direct, Casemiro. Mais celui-ci se retourne et cisaille l’attaquant par derrière. Juste le temps pour l’arbitre de la rencontre de coller un avertissement au Brésilien que Messi se retrouve une nouvelle fois à terre, le visage en sang. Au ralenti, les 650 millions de téléspectateurs découvrent le coup de coude de Marcelo dans la mâchoire de la Pulga. Le choc est tel que d’aucun prétendront plus tard qu’il a coûté une dent au meneur de jeu.

À priori involontaire, le geste fait pourtant ressurgir les heures sombres du Clásico, quand José Mourinho avait élevé le vice et les sales coups au rang de tactique footballistique face à la supériorité barcelonaise. Tandis que le défenseur madrilène se fait désinfecter le coude, Messi revient sur le terrain, une compresse médicale dans la bouche. Juste à temps pour voir la Casa Blanca ouvrir le score sur un centre de Marcelo poussé au fond des filets par… Casemiro. Comme dans tout bon scénario, les vilains commencent par triompher.

Mais les Catalans n’ont pas le temps de s’apitoyer sur leur sort. À peine deux minutes plus tard, l’Argentin prend les choses en main, fait disparaître deux joueurs madrilènes à l’entrée de la surface et trompe Keylor Navas. Un numéro d’équilibriste réalisé et célébré une compresse pleine de sang à la main. Juste avant la mi-temps, Lionel Messi croit même pouvoir donner l’avantage à son équipe quand il se rue en contre-attaque sur le but adverse. Mais sa chevauchée est stoppée par une nouvelle faute flagrante de Casemiro. Si le Brésilien échappe, miraculeusement, à un deuxième avertissement, ce ne sera pas le cas de son capitaine, Sergio Ramos, expulsé à un quart d’heure de la fin pour un énième tacle les deux pieds en avant sur la Pulga.

En supériorité numérique et menant désormais 2-1 grâce à une merveille de frappe d’Ivan Rakitic quelques minutes plus tôt, les Catalans paraissent en excellente position pour ravir la place de leader à leur éternel rival. À cinq journées de la fin du championnat, ces trois points pourraient s’avérer décisifs. Mais un tel duel ne pouvait pas en rester là. À la 85ème minute, James Rodriguez se charge de relancer le suspens et de faire lever tout le Santiago Bernabeu en égalisant d’une reprise à bout portant. Malgré une ultime réaction d’orgueil des Barcelonais, la partie semble se diriger vers un match nul faisant les affaires des hommes de Zinédine Zidane.

Pourtant, ce 234ème Clásico va basculer dans la folie. Il ne reste plus que trente secondes à jouer quand, parti de son poteau de corner, Sergi Roberto, le latéral droit catalan, se lance dans une course désespérée. À grandes enjambées, il remonte une bonne partie du terrain, déposant Modric puis Marcelo avant de transmettre le ballon à André Gomes. Aux abords des 16 mètres madrilènes, le Portugais temporise avant de servir parfaitement Jordi Alba qui centre en retrait. La sphère roule paresseusement à l’entrée de la surface, à la recherche d’un destinataire. Il sera argentin, il sera gaucher. Oublié de tous, Lionel Messi surgit de nulle part. Bien aidé par la malice de Luis Suarez, il invente un espace entre Tony Kroos et Nacho, entre Keylor Navas et son poteau.

Quand les filets tremblent, les joueurs de la capitale s’effondrent sur leur pelouse et le Barça reprend la tête du championnat. Comble du symbole, l’assassin argentin vient de planter son 500ème pion sous le maillot blaugrana. Il cherche des yeux son passeur pour le remercier de l’offrande mais celui-ci court dans la direction opposée. Alors, Lionel Messi improvise. Pris d’une inspiration géniale, il retire son maillot et le brandit devant les tribunes madrilènes, exhibant son nom et son numéro face à des supporters atterrés. Regard de défi dans les yeux, l’Argentin toise ce Colisée moderne dont il ressort blessé mais victorieux.

Anecdote du règlement, l’arbitre M. Alejandro Hernandez Hernandez vient avertir le meneur de jeu d’un carton jaune qu’il avait jusque là utilisé pour tenter de le protéger des mauvais coups. Les tristes amateurs de statistiques rappelleront sans doute que, fin mai, c’est tout de même la Casa Blanca qui sera sacrée reine d’Espagne. Mais ce 23 avril 2017, la Pulga a gagné bien plus qu’un titre. Lui qui est d’habitude aussi brillant sur le terrain que sobre au moment de fêter ses réalisations, s’est offert une célébration iconique, de celles que l’on reproduit dans les cours de récréation. La légende raconte qu’au moment de quitter le stade ce soir-là, Lionel Messi souriait de toutes ses dents. Ou presque.

Une poignée de secondes

Finale de l’Euro 2000 – Dimanche 2 juillet 2000 – Stade de Feyenoord, Rotterdam, Pays-Bas

FRANCE – ITALIE 2-1

Le match est terminé, c’est une évidence. Pour tout le monde. Pour les joueurs italiens qui font tranquillement tourner le ballon afin de tuer les quelques secondes qui les séparent de ce deuxième titre de champions d’Europe, pour le public de Rotterdam qui rythme leurs passes de «Olés» et, surtout, pour l’ensemble du banc transalpin qui s’est levé comme un seul homme, prêt à envahir le terrain. Même quelques Français semblent avoir baissés les bras. Deux ans après leur titre mondial à domicile, les hommes de Roger Lemerre ne briseront donc pas la malédiction voulant qu’aucune équipe ne soit capable de gagner, à la suite, une coupe du monde et un Euro.

Pourtant, les Bleus n’ont pas démérité. Durant les nonante minutes de cette finale, les deux équipes se sont rendu coups pour coups, tant dans les occasions de buts que dans les duels pour le moins musclés. Finalement, c’est l’Italie qui, grâce à une astucieuse talonnade de la future légende romaine Francesco Totti, a ouvert le score par l’intermédiaire de Delvecchio. Dans la surface adverse, Zidane, Henry, Djorkaeff, Dugarry, Trezeguet, Wiltord ou encore Pirès se sont, tour à tour, brisés les dents sur la muraille transalpine et son emblématique maillot Kappa.

Il reste soixante secondes aux Bleus pour résoudre une équation qui paraît insoluble. Comment marquer face à l’Italie, célèbre pour son art de la défense? Comment marquer face à une équipe qui a résisté, à dix contre onze, durant plus d’une heure, contre l’impressionnante force offensive hollandaise en demi-finale? Comment marquer, surtout, face aux 196 centimètres de l’infranchissable Francesco Toldo qui n’a encaissé que deux buts durant toute la compétition?

Trois des quatre minutes supplémentaires octroyées par Monsieur Anders Frisk sont déjà écoulées quand Fabien Barthez s’élance pour botter un ultime coup de pied arrêté à l’orée de sa surface. Le match est terminé, c’est une évidence. Déçu du résultat, l’auteur de ces lignes est parti se brosser les dents et regarde l’écran de loin. Demain, il y a école. Le ballon du gardien tricolore s’envole dans la nuit de Rotterdam. Dévié par le crâne de Trezeguet, il lobe un défenseur transalpin et atterrit, par miracle, sur la poitrine de Wiltord. Après deux rebonds à gauche de la surface, le Français expédie une frappe sèche et cadrée entre les jambes de Nesta.

Mais il reste le monstre. Celui qui hante l’esprit de tous les attaquants croisés durant cet Euro. Celui qui a repoussé les nombreuses tentatives tricolores depuis le début du match. Pourtant, pour la première fois de la compétition, Francesco Toldo craque. Sa main gauche n’est pas assez ferme et ne peut que ralentir le ballon qui vient se nicher dans son petit filet. Allongé sur la pelouse, le dernier rempart transalpin se cache derrière ses gants: tout est à refaire. Les Italiens sont aussi abattus que les Français heureux, l’incrédulité se lit sur tous les visages. Le match aurait dû être terminé, c’était une évidence.

Sylvain Wiltord, lui, est aux anges et court vers les tribunes, bientôt rejoint par ses coéquipiers en extase. De son index levé, le sauveur des Bleus rappelle qu’il ne faut pas vendre la peau du coq avant de l’avoir plumé. Une bonne étoile veille, décidément, sur cette génération tricolore emmenée par les tauliers et futurs retraités Didier Deschamps et Laurent Blanc.

Quand les prolongations commencent, l’atmosphère est irrespirable. En vertu de la règle du but en Or, la première équipe qui marque soulèvera le trophée. Malgré la fatigue, les 22 acteurs n’ont donc plus le droit à l’erreur. Dans les gradins, la confiance a changé de camp. Les «Olés» ont cédé la place à la Marseillaise et aux «On n’entend plus chanter les Italiens».

Sur le terrain aussi, ce sont les Français qui prennent le dessus. D’une tentative de ciseau acrobatique Zidane passe à deux doigts d’endosser une nouvelle fois la cape de héros de la nation. Mais, après le but inespéré de Wiltord entré en jeu à la 58ème minute, il était écrit que les remplaçants tricolores décideraient du sort de cette partie. Sur un ballon récupéré coté gauche, Pirès élimine deux adversaires et centre en retrait. Au bout de sa passe, le pied gauche de David Trezeguet. Avec l’équilibre d’un danseur de ballet, le numéro 20 expédie un chef d’œuvre de demi-volée dans la lucarne d’un Toldo impuissant. Le monstre est définitivement vaincu.

Maillot à la main, Trezegol n’a plus qu’à s’élancer en direction du poteau de corner et de la postérité. Cette fois-ci, le match est bel et bien terminé.