Hambourg, gare centrale, dans la nuit du 1e au 2 mai 2010, il est bientôt minuit, le quai des trains longue distance vers le Sud de l’Allemagne se remplit lentement de supporters, la plupart déjà parés de brun et de blanc, les couleurs de leur club fétiche, le FC Sankt-Pauli, deuxième club de la grande ville du Nord. C’est samedi soir et la nuit promet d’être longue, très longue même, puisque le retour est prévu ici-même dans plus de 24 heures sans qu’une quelconque pause dodo ne soit véritablement au programme. D’ailleurs, ce dernier prend la forme suivante : six heures de train direction Fürth, dans la banlieue de Nuremberg, tournée des bars, déplacement vers le Playmobil-Stadion et enfin, à 17h30, coup d’envoi du match SpVgg Greuther Fürth – FC St. Pauli, comptant pour l’avant-dernière journée de 2e Bundesliga. L’enjeu est simple; en cas de victoire, les visiteurs seraient tout simplement promus en première Bundesliga, ce qui représenterait un exploit pour un club idéologiquement marqué très à gauche et ne disposant pas de gros moyens financiers, malgré une assise populaire impressionnante dans tout le pays. Le décor est posé, l’aventure peut maintenant commencer.
Le déplacement se fait dans un Sonderzug, un train spécial affrété exprès pour les supporters – un petit millier – préférant se déplacer au match en évitant le car ou la voiture. L’ambiance est à la fête, la présence d’un wagon bar-disco au milieu du convoi y est pour beaucoup. Le trajet passe très vite, le tout, bien évidemment, dans la bonne humeur et au son d’hymnes germanophones qui puent le foot, la bière, et le rock’n’roll. Au petit matin, notre arrivée en gare de Fürth ne passe pas inaperçue puisque chants et fumigènes aux fenêtres sont de la partie. Le plus difficile commence peut-être ici, car il nous faut trouver comment occuper la petite douzaine d’heure qui nous sépare du coup d’envoi, et ceci un dimanche dans une petite ville de Bavière qui, à cette heure-ci, ne semble pas être prête pour l’invasion de supporters qui l’attend. Des craintes au final infondées puisqu’au fil de la journée, quasiment tous les bars et restaurant de la bourgade ouvrent leurs terrasses aux milliers de fans venus de toute l’Allemagne, voire d’Europe. Après plusieurs heures à s’envoyer saucisses, mais surtout Pilsner, Weizenbier, et même Pfferminz Likör tout en chantant l’entier du répertoire des différents fan’s clubs, il est temps de prendre la direction du stade.
Après une longue marche où la tension fait son apparition, nous prenons place dans cette enceinte à l’architecture plutôt surprenante et occupée pour plus de moitié par des supporters visiteurs, tous debout de longue minutes avant le début de la rencontre. Celle-ci commença enfin, dans une ambiance inoubliable. Le match en lui-même fut un condensé de ce qui a fait le succès de cette magnifique saison que j’ai pu suivre durant mes dix mois à Hambourg. Du rythme, de l’intensité en attaque, des frayeurs derrière, un grain de folie, et juste ce qu’il faut de sang-froid devant les buts pour initier d’incroyables effusions de joie dans les gradins. Après une première mi-temps tendue, à la fin de laquelle les locaux vont ouvrir le score, les Kiezkicker vont dérouler dans le deuxième acte en inscrivant quatre buts fêtés comme ils se doit dans des tribunes en fusion. Score finale 1-4 pour les hambourgeois, buts marqués par les inévitables Naki, Ebbers, Takyi et Hennings. Plus on se rapproche de la fin du match, plus l’euphorie gagne un public autant heureux qu’éméché. Lorsque le coup de sifflet finale résonne, nous envahissons la pelouse comme il se doit pour communier avec les joueurs, mais également pour vivre au plus près ce moment historique. Cette promotion en Bundesliga est vécue comme un titre de champion du monde. L’émotion est à son comble à même la pelouse. Bref, des frissons, des vrais…
L’après-match et le retour dépassent l’entendement, sans compter que vu le débit de houblon du jour – et on ne parle pas d’Alsterwasser, la bière panachée du Nord – les souvenirs se font plus flous. Nous quittons le stade dans un joyeux bordel, direction la gare. Une fois dans le train, la fête bat son plein. Pour la deuxième nuit de suite, nous sommes des centaines serrés dans le wagon festif. Ces moments passent très vite, et l’atterrissage – oui on peut l’appeler comme ça – en gare de Hambourg, là-même où le voyage a commencé la veille, conclut cette journée irréelle, mais ne marque que les débuts de plusieurs jours de célébrations dans les nombreux bars de St-Pauli ainsi que dans leur antre, le Millerntor. Le tout l’année du centenaire du club. La fête était ainsi totale pour un club qui ne ressemble à aucun autre: décalé, engagé, sacrément punk.