À la carotide

J’avais 11 ans en 1982. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand l’Italie de Gentile et Rossi a battu l’Allemagne. Je jouais au foot du matin au soir et je n’avais qu’une idole, Karl-Heinz Rummenigge.

Ma passion pour lui n’a même pas été contrariée quand ma sœur, fille au père en Allemagne, a voulu me faire le plus beau cadeau de mon enfance en m’offrant un pull de l’équipe d’Allemagne flanqué du N° 9… celui porté par Horst Hrubesch – oui, oui, je vous entends, il y a une certaine ressemblance entre Hrubesch et moi.

J’ai très vite pardonné à ma sœur, heureux que j’étais de pouvoir porter le maillot de la Mannschaft. Il m’a en revanche fallu une trentaine d’années pour pardonner à la Squadra Azzura. On n’oublie pas si facilement Claudio Gentile.

J’ai donc aimé l’Allemagne bien avant que le peuple du foot n’apprécie son jeu. Ce titre d’un magazine français résume assez bien la situation qui a prévalu avant l’arrivée de Joachim Löw, en 2006: «Mondial 2014: et l’Allemagne se mit à pratiquer du beau football!»

Il m’a fallu souvent tenir tête à ceux qui aiment les amours faciles – la France et le Brésil en général, l’Italie – rarement l’Uruguay. J’ai tout entendu: la Deuxième guerre – n’est-ce pas Philippe –, le magnifique match de 1982 contre l’Autriche, la sublime intervention aérienne d’Harald Schumacher, le jeu défensif. Ces attaques ont forgé mon caractère. Et pour ce qui concerne le jeu défensif allemand, je vous livre cette statistique: toutes phases finales confondues, le Brésil a inscrit 229 buts, l’Allemagne 226, l’Argentine 137… Les autres derrière évidemment.

En 2014, donc, quand la Coupe du monde commence, j’espère fortement la victoire finale de l’Allemagne. L’équipe n’a plus gagné depuis 1990. J’ai assisté à sa défaite contre le Brésil dans un bar de San Vincenzo en 2002. Elle a perdu en demi-finale contre sa bête noire italienne en 2006. L’Espagne l’a battue en demi-finale en 201

Après ces deux défaites consécutives aux portes de la finale, lorsque l’équipe entre sur le terrain, le 8 juillet 2014 pour affronter le Brésil, organisateur de la Coupe du monde, j’espère donc simplement que l’histoire ne se répétera pas. En même temps, je suis assez confiant: je préfère voir les Allemands affronter une équipe joueuse.

Le match tourne à la démonstration. Je me souviens avoir eu mal au cœur pour les Brésiliens ce soir-là – j’ai toujours apprécié cette équipe. Je viens de revoir le match. J’avais oublié à quel point la première mi-temps fut mortifiante pour le Brésil. À la 29e minute, les Auriverdes sont menés… 5 à 0. Thomas Müller a ouvert le score à la 11e. Miroslav Klose a marqué à la 23e, Toni Kroos aux 24e et 26e, Sami Khedira à la 29e. En 6 minutes, l’Allemagne est devenue la grande favorite de la Coupe du monde 2014 en marquant 4 buts au Brésil.

Les deux buts d’André Schürle en deuxième période sont anecdotiques. Le but du Brésil en toute fin de match ne sauve pas l’honneur cette fois. 7 à 1: le ciel est tombé sur la tête du peuple brésilien.

Ce 13 juillet 2014, la finale entre l’Argentine et l’Allemagne a bien sûr un parfum de tradition. Quatre ans plus tôt, en 2010, l’Argentine avait beaucoup impressionné pendant le tour préliminaire. Tout le monde la voyait comme un épouvantail. En quart, l’Allemagne ne lui avait laissé aucune chance en l’écrasant 4 à 0.

Comme lors de la demi-finale 2014, contre le Brésil, c’est Thomas Müller qui avait ouvert le score, à la 3e minute déjà. (Note pour les entraîneurs: quand Thomas Müller ouvre le score dans les matchs importants, prière de bétonner. Après l’ouverture du score de Thomas Müller pour le Bayern contre Barça, cette année, en Ligue des champions, dès la 4e minute, Quique Setién ne l’a pas fait. 8 à 2 au final et Quique Setién n’entraîne plus le Barça).

Un peu plus loin bien sûr, entre l’Argentine et l’Allemagne, il y a les deux finales consécutives de 1986 – victoire de l’Argentine – et de 1990. Les deux équipes avaient de grands meneurs d’hommes: Diego Maradona et Lothar Matthäus, chacun capitaine de leur équipe lors de la finale de 1990, remportée par l’Allemagne.

Ce 13 juillet 2014, Messi porte les espoirs de l’Argentine. Côté allemand, c’est Bastian Schweinsteiger qui est attendu comme meneur de l’équipe. Durant les dix premières minutes, Lionel Messi marche, comme s’il était peu concerné par le match qui se déroule autour de lui. Il accélère pour la première fois. Il est contré par… Bastian Schweinsteiger. Au cours du match, ce dernier gagne la plupart de ses duels contre Messi. Les admirateurs du prodige argentin le disent en boucle: c’est son style, il garde ces forces pour les actions offensives. Soit, mais je continue à trouver étonnant ce gars qui marchotte au milieu du terrain pendant le plus clair du match. J’avais gardé le souvenir d’un Messi qui n’était pas parvenu à marquer cette finale de son empreinte. J’ai revu la finale. Je n’ai pas changé d’avis.

Sergio, merci pour tout

Messi est un joueur de beau temps. Il est inarrêtable… lorsque toutes les conditions sont réunies autour de lui pour qu’il puisse s’exprimer, lorsque, tout simplement, toute une équipe joue la partition qui lui convient. Il doit ses grands titres en Ligue des champions à Carles Puyol, Andrés Iniesta et Xavi. Depuis le départ de ces derniers, le Barça n’a plus réussi à gagner la compétition. Messi n’a pas l’âme d’un leader. Durant cette finale 2014, ça saute aux yeux.

Bastian Schweinsteiger – qui finira le match avec le visage en sang après un coup de poing d’Agüero – passe cette finale à éclipser Messi. Lorsqu’il gagne un énième duel contre l’Argentin, en toute fin de match, le commentateur allemand note avec enthousiasme qu’on ne pourra pas faire courbette assez basse pour remercier Bastian Schweinsteiger de sa performance. L’Allemagne gagne le match en prolongation. Un à zéro.

Il y a quelques années, j’ai lu dans un journal romand, sous la plume d’un homme de lettres, que l’on ne pouvait aimer le football sans aimer Messi. J’avais failli m’étrangler et je m’étais promis de lui répondre un jour. C’est aujourd’hui chose faite: j’adore le foot et je n’aime pas Lionel Messi.

Mon autoportrait de fan ne serait pas complet si je ne vous disais pas que mon joueur préféré aujourd’hui est Sergio Ramos – salut Bernard  –, qui, comme Bastian Schweinsteiger peut gagner un match à lui tout seul.

Il en a donné un exemple hallucinant lors de la finale de la Ligue des champions 2014 contre l’Atletico de Madrid. Depuis la 36e minute, le Real est mené. L’équipe ne manque pas de ressources pour retourner la situation avec Luka Modrić, Sami Khedira, Ángel Di María, Gareth Bale, Karim Benzema et Cristiano Ronaldo. Dès le milieu de la deuxième mi-temps, ce ne sont pourtant pas eux qui conduisent la révolte. Sur le terrain, ce soir-là, un homme a décidé que le Real ne perdrait pas. C’est Sergio Ramos. Il pousse toute son équipe vers l’avant. Ça ne suffit pas. Alors il égalise lui-même à la 93e minute, d’un coup de tête puissant. Une demi-heure plus tard, il soulèvera la coupe après la victoire 4 à 1 des siens.

Aujourd’hui, j’ai toujours 11 ans et, dans mon armoire, un maillot du Real avec le numéro 4 de Sergio Ramos, le noir et rouge que portait l’Allemagne dans sa demi-finale contre le Brésil, avec le numéro 13 du cousin Müller, le blanc de la finale 2014, avec le 7 de Schweinsteiger…

En quand la Corée du Sud a sorti l’Allemagne de la Coupe du monde 2018, mon fils s’est bien foutu de moi. Il en rit encore : «Ah, ah, papa, depuis le temps que tu me parles de ces Allemands!»

J’accepte parce que c’est lui. Mais je lui réponds avec toute la mauvaise fois du supporter que je suis: «Je n’ai aucun souvenir de l’édition 2018».

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