Pour bien plomber le décor, les plus belles chansons du monde sont celles qui me font pleurer. Rien à faire, il faut admettre que je suis un clown triste. “La vie est trop belle je me tue à vous le dire”, s’évertue à chanter Pascal Mathieu.
Pas étonnant alors qu’Avec le temps de Léo Ferré devienne ma chanson culte, celle qui vient troubler la fête quoiqu’il advienne. Une musique envoûtante qui vous rappelle que vous avez oublié les mouchoirs lors de vos dernières emplettes à la supérette et que la période de turbulences sera dure à traverser.
Avec le temps, va, tout s’en va,
Le cœur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien…
… L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie
L’autre qu’on devinait au détour d’un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit
Avec le temps tout s’évanouit.
… On oublie les passions et l’on oublie les voix
Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens
… Et l’on se sent floué par les années perdues, alors vraiment
Avec le temps on n’aime plus.
Le soulagement par une mort violente vous traverse la tête, vous cherchez un moyen, vous cherchez trop longtemps et vous ne faites rien.
En sortie de neuvième, cherchant de la musique entraînante et mettant dans une bonne ambiance, je découvris The Exploited, un groupe écossais. Première découverte de punk, et ce fut le changement. À partir de ce moment, j’ai cherché d’autres groupes de punk, mais francophones cette fois; j’ai découvert les Béruriers Noirs, Brassens Not Dead, Les Sales Majestés… et les Vaches Laitières… Un groupe de chez nous.
Cette chanson est un appel à la libération d’un système de bourrage de crâne.
C’est LA chanson la plus entraînante de ce groupe! C’est surtout un appel à l’action directe pour une vie meilleure où, quand on regarde le passé, on se dit qu’il faut vivre l’instant présent sans se soucier du futur!
Cette chanson commence par :
Eh, mon frère, dis-moi à quoi tu rêves, Là, comme ça, le nez planté dans ta bière, Tu sais même plus pourquoi tu te lèves, Tu désespères de l’humanité entière, T’as passé tellement de temps à gueuler, À te battre, à lutter, à manifester, Tu te demandes ce que ça a changé, On dirait bien que tout a empiré…
On ressent le sentiment de puissance du narrateur face à la déprime du destinataire. Ce destinataire c’était moi, il y a environ un an maintenant, en détresse face à un monde que je découvrais à peine… le monde du travail. J’avais peur, peur du futur… peur de mal faire les choses.
Un peu plus loin, on a un véritable appel à la révolution!
Allez, mon ami, tout n’est pas vraiment fini Tant qu’il nous reste un peu d’énergie C’est peut-être nous le dernier rempart Et on ne se laissera pas tomber ce soir Gueulons nos rages et faisons du bruit On réveillera peut-être quelques endormis Et ensemble on continuera d’y croire Même si c’est sans espoir.
Il y est aussi clairement dit que même si c’est sans espoir, il faut se battre, jusqu’au bout de nos rêves. Mon rêve était de m’instruire. M’instruire dans un monde où l’on ne veut pas de gens cultivés. Un monde de gamins immatures qui se croient grand, dans un monde tout petit. M’instruire pour changer le monde. En faire un monde où tout le monde est égal… où tout le monde aide son prochain à devenir ce qu’il veut, un monde où tout le monde se respecte.
Enfin, ici on dit clairement :
Et même si on sait qu’à la fin de nos vies Le monde sera toujours aussi pourri Continue dur le travail de fourmi Résistons toujours à la saloperie Contre le vent des masses abruties Contre les marées du pouvoir et du fric Jusqu’a la fin comme un îlot de vie Face à cet océan de connerie
On y dit que devant la masse de connerie mondiale, il y a toujours un petit bout de terre moins débile. Comme au Pantographe, ou tout autre lieu alternatif qui se respecte. Des endroits qui respirent la culture et la générosité.
Ce fut pour moi la découverte du siècle! Cette chanson m’a appris qu’il ne fallait JAMAIS abandonner! Toujours suivre ses idées.
J’ai les poils qui se hérissent alors que mon tacot enchaîne les tunnels de la Vallée d’Aoste.
À chaque virage, je m’éloigne un peu plus de tes baisers, de ta peau si douce, et mon cœur se serre. Cette voix, j’ai le sentiment qu’elle nous lie encore, alors que les mots de Lana devraient m’ôter tout espoir de retrouver tes bras.
L’amour rend con, dit Lemmy. Mais Lana lui rend tout son sens. Mes phares éclairent les murs, je repasse la chanson. La voix grave me rappelle ta douceur et retient mes larmes.
Tu me manques.
Quand on se retrouvera, on écoutera cette chanson ensemble et je te dirai combien mes heures étaient vides sans toi.
Maintenant, écoute-la. Je ne sais pas parler d’amour. Mais Lana Del Rey, elle en connaît un rayon, on dirait.
Je devais avoir douze ans, et elle quatorze. Elle avait une guitare et une jolie voix. On était autour d’un feu; ça sentait bon le cervelas, les parents jouaient aux cartes. Hugues Aufray était notre Henri Dès et Céline notre tube…
Mais voilà qu’un garçon de seize ans prend la guitare et chante du Johnny…
Je détesterai pour toujours Johnny.
Et « dis-moi, Céline, les années ont passé… » et moi non plus je ne me suis pas marié.
Maintenant, mon fils s’essaie à la guitare et je lui montre les seuls accords que je connaisse, ceux de Céline et des Portes du pénitencier… Et lui préférerait Kashmir de Led Zep!
Alors voilà, c’est décidé : Mistral Gagnant.
Pourquoi celle-là?
Chanson souvenir, chanson du souvenir, chanson sur les souvenirs.
Chanson que j’ai écoutée seule, mais découverte à plusieurs.
Chanson que j’ai murmurée seule, mais chantée à dix.
Chanson partage, chanson du partage, chanson sur le partage.
Chanson simple et bonheur de la simplicité.
Belle chanson et chanson sur la vie.
La musique éveille tous mes sens. Elle m’apporte des moments intenses qui restent inscrits quelque part dans mon corps telle une empreinte gravée.
Cette chanson m’a prodigué des émotions que je n’oublierai pas.
Et puis en plus c’est une chanson qu’on a chantée et rechantée maintes fois un certain 1er janvier lors de la dernière soirée d’un excellent festival de chansons francofestives sur le Bateau Genève accompagné d’un non moins fameux Karaorchestre… C’est un peu flou, peut-être à cause de la vodka-qui-chauffe-la-voix…
C’était l’époque où j’enfilais mes premières désillusions comme des chaussettes trop petites. Mon convoi intime s’ébranlait sur les rails glacés de la vie active, je perdais déjà ma première partie gratuite au baby-foot de l’amour, tilt, et mes neurones gisaient au matin dans trois centimètres d’alcool.
Sur cette autoroute hystérique Qui nous conduit chez les mutants,
J’ai troqué mon cœur contre une trique. Je vous attends.
Et puis j’ai découvert Hubert-Félix Thiéfaine. Au détour d’une soirée enfumée aux relents de moquette verte. Il y avait un tourne-disque, cet objet paléolithique armé d’une aiguille en diamant que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (je m’égare, pardonnez-moi), et une galette de vinyle. Thiéfaine. En concert. Mes oreilles en sont devenues dingues, et un peu paumées, j’ai enregistré la chose sur une cassette que j’ai usée jusqu’à la moelle à force d’écoutes névrotiques.
Thiéfaine raconte et démultiplie la folie. Celle de tous ces clowns cloîtrés à l’intérieur d’eux-mêmes, tirant leur névrose par la queue pour mieux l’émincer et la faire revenir dans une mare de sang. Celle de cette société défoncée à la testostérone, arme dégainée pour mieux sauter les obstacles, bagnole à la place du cerveau, perles en bouche, goût de défonce et de cirrhose, chair humaine transformée en lubrifiant pour centrale nucléaire…
Et les manufactures ont beau se recycler, Y’aura jamais assez de morphine pour tout le monde, Surtout qu’à ce qu’on dit, vous aimez faire durer. Moi je vous dis : « Bravo et vive la mort! »
Parmi les dizaines de pépites signées par le barde de la cancoillotte, on trouve Alligator 427. Écrite en 1979. Plus que jamais d’actualité. Les zombies tricéphales de Tchernobyl n’ont pas suffi à effrayer l’homo sapiens. Les léviathans défrisés à écailles fluorescentes de Fukushima non plus. À Beznau, on distribue des tablettes d’iode pour assaisonner les cancers ou améliorer la digestion du radium. Ailleurs, on lèche l’écran de son indifférence parce que sans électricité nucléaire, le poste de télévision ne fonctionnerait plus. Et on oublie les bienfaits de la radioactivité sur l’excroissance osseuse, la nécrose cutanée ou la surcharge pondérale.
Je sais que dans votre alchimie,
L’atome ça vaut des travellers chèques Et ça suffit comme alibi. Je vous attends.
Cette chanson est belle comme un poème de Baudelaire, terrifiante comme un atome de radium, prophétique comme un rêve inachevé, macabre et ironique, drôle et cinglante. Elle prend aux tripes. Les enseignants devraient la diffuser en classe. Les enfants la réciter sous l’arbre de Noël. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Je sais que mes enfants s’appelleront vers de terre.
Alligator 427 était le nom de code de l’armée américaine pour désigner les bombes nucléaires utilisées au Japon, en 1945.
La mort, le deuil, le chagrin, l’absence, le souvenir. Des thèmes de vie qui nous peinent, mais qui nous accompagnent inévitablement.
Mylène Farmer écrit Dernier sourire en 1989, semble-t-il en mémoire de feu son papa, avant de la reprendre en 1992 sur le disque “Urgences – 27 artistes pour la recherche contre le sida”, puis en 2000 lors du Mylenium Tour.
Cette chanson est aussi triste qu’elle est prenante. Avec un rythme tendre mais constant, on se laisse emporter.
“Sentir ton corps souriant de douleur.
…
Qui s’acharne à souffler tes bougies?
…
Est-ce te trahir si je t’invente des lendemains qui chantent?
…
Ton souvenir ne cessera jamais de remuer le couteau dans ma plaie…”
La poésie est au rendez-vous. Et on s’identifie tous à ceux qui nous manquent et que le souvenir nous anime. À ceux qui sont partis trop vite, emportés par la maladie. À ce que l’on ne partagera plus ensemble, tout en sachant qu’ils continueront de remplir nos cœurs toute notre vie.
Il y a des mots qui, alignés les uns à côté des autres, forment comme un arc d’émotions, un arc prêt à se détendre pour exulter. C’est très certainement cette sensation que j’ai ressentie la première fois que j’ai écouté la voix et le verbe de Bertrand Belin, plus précisément dans La Chaleur. Oui, c’est bien cela, car je réécoute en ce moment même cette chanson pour vous en narrez l’émotion première et la voilà qui ressurgit, vaporeuse, intense, précise et elliptique à la fois. Aux premières ondes des cordes de la guitare de Bertrand Belin, j’avais retenu ma respiration et presque crispé mes dix doigts : impression organique, retenue dans l’excitation, attente d’un désastre exquis et imminent. Puis vinrent les mots et j’explorai le temps à travers les tableaux de son verbe, et le quotidien à travers ce même temps qui nous poursuit comme une promesse ou une fatalité, selon.
Que devient
Le pays
Le paysage
Quand le jour touche
À sa toute petite fin
Que devient La chaleur
L’ancienne chaleur
Qui accablait les chevaux
Et le pont des cargos
Courage avançons
Un jour arrivera
Où nous arriverons
À voyager léger, léger (…)
Que deviennent les sensations, celles qui façonnent nos émotions puis se reposent dans la mémoire sous forme d’images? Est-ce que cela nous importe vraiment au final? semble suggérer Bertrand Belin dans cette chanson. La chaleur est sensation qui est vie qui est expérience qui se perd ou nous façonne ou un peu des deux ou rien qu’un souvenir ou encore une image : une sensation agréable ou non. Dans la transe de ses mots, qu’il aligne dans une cadence circulaire paisible et inquiétante à la fois, j’expérimente chaque fois à son écoute un vertige face contre terre.
“Comme souvent dans mes chansons, et sans que ce ne soit décidé par avance, s’installe un réseau d’indices qui finit par donner corps au versant visible d’un drame”, m’a-t-il une fois confié… Oui, il faut aimer les mots pour leurs possibles annexions. Oui, il faut aimer être nostalgique de La Chaleur, car c’est la meilleure façon de lui rendre hommage, et peut-être même de la re-sentir à nouveau et avant l’heure.
J’ai toujours voulu « Être femme qui chante », qui écrit, qui raconte. Puis, à l’écoute de cette chanson, j’ai rêvé de la force de Barbara : celle de pouvoir dénoncer nos incohérences, notre orgueil, notre vanité, notre hypocrisie…
Par amour. Sans haine.
Savoir simplement se départir de toutes les richesses, être riche du chemin à gravir, et de toute sa tendresse, de la beauté des choses, de la vie dont on dispose.
Au nom de qui, pour combien, contre quoi, prenons nous pour ennemi l’innocence impudique de l’amour ?
Au nom de quoi perdons-nous le goût de la paix et des rêves ? L’envie d’oser, de vivre pleinement de ses doutes et de sentir sa propre sève.
Barbara dénonce, nous offre son uppercut puis nous allège en une valse de manège fantastique où l’on ressent toute la passion pour ce monde, cette envie d’y vivre, passionnément, en paix avec l’enfant qui est en nous, qui en en l’autre.
Cette chanson est un appel à la lutte pour moi.
À aimer, à être ivre des autres, de la vie.
À se battre pour elle. Mais avec tendresse. Avec ivresse.
“En ce temps-là nos fleurs vendaient leur viande aux chiens”
La voix qui psalmodie, amusée et cynique, chaude mais ébréchée, est celle d’un prophète des impasses, d’un ménestrel rock des quartiers mal famés qui, entre errance et débauche, entre délire prohibé et grande sniffette d’imaginaire, me livre les mots lumière que je n’attendais pas, me révèle l’imparfait brasier de nos existences.
“Et nous habitions tous de sordides tripots”
L’homme s’appelle Hubert Félix Thiéfaine. L’album s’intitule Route 88. Le chanteur irradie la scène et le public qui lui répond, entonne avec une ferveur presque gênante des refrains incompréhensibles, se découvre un vocabulaire fait de rêves qui se cognent la tête sur des murs galactiques, de pièges paranoïdes sur fond de guitares électriques, d’amours diffamatoires et de fièvre lyrique.
“Avec des aiguillages pour nos petits matins”
J’ai quinze ans et je me prends tout ça dans la gueule, notant des bribes de phrase, relisant Baudelaire, quémandant Lautréamont à la librairie. Route 88 est mon bréviaire païen, mon credo d’ivresse, je m’avale les phrases distordues, je me shoote à la déraison du maître.
Chanteur des drogués? Que dalle, je ne touche à rien d’autre qu’à la bière, et si les salles thiéfainiennes ont souvent le pétard haut levé, c’est d’abord les dérives, les heures vénéneuses et la pureté des rêves qu’exalte le poète jurassien.
“Quand le beau macadam nous traitait de salauds”
Et tout le public : “Nous traitait de salauds”
Il ne passe pas à la radio, Thiéfaine, pas à la télé, pourtant tous les potes le connaissent, c’est comme un signe de ralliement, le seul chanteur français que l’on peut arborer sans honte (Les Béru, Noir Désir, oui, je sais, tout cela viendra bientôt), le seul dont les mots résonnent vraiment en moi. Autorisation de délirer, Dernières balises (avant mutation), Alambic / Sortie Sud, les albums semblent gravés dans une mythologie underground, ils existent haut à la seule prononciation de leur titre. Je les boufferai les uns après les autres jusqu’à la moindre miette mais en gardant une tendresse particulière pour ce “live” révélation qu’un pote m’avait enregistré, sur une cassette m-electronics, tendue au hasard d’une fin de soirée, une cassette que j’ai usée jusqu’à l’agonie, à en distordre la bande à force de passages intempestifs, de rewind inconsidérés.
Mathématiques souterraines, Sweet Amanite Phalloïde Queen, Errer humanun est, Les dingues et les paumés… J’ai tout chanté, tout retenu, je serais capable de réciter l’album en karaoké devant une foule estampillée disco armée de lances à merde, avec la foi absurde des missionnaires en terrain miné.
Dix-sept chansons sur l’album et toujours le même pincement au cœur quand celle-ci se termine. “J’ai vécu mes vingt siècles d’inutilité”, chante Thiéfaine, et du haut de mon peu d’années, je suis le plus convaincu des choristes, alors même qu’il ajoute, comme en confidence “Je n’ai plus rien à perdre et j’en veux pour ma faim”.
Et le public, de répéter une dernière fois le leitmotiv de mes quinze ans, mon fol appétit d’existence : “j’en veux pour ma faim!”