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Le Long de la jetée – Jean-Patrick Capdevielle

Et tu reconnaîtras les tiennes

 

Je venais de l’Est avec le soleil dans les yeux

Je savais qu’il n’y aurait pas de fin tranquille

Nostalgie de ma jeunesse

Tristesse

En regardant ce passé

Esprit résigné

Masi il faut vivre

Quand même

Continuer à tourner les pages du grand livre

Essayer tant bien que mal

D’effacer les manques du temps

Sans grand espoir

Je replonge dans le noir

Je ramène le drap sur mes yeux

J’imagine quelque chose de mieux, de bleu

Quelque part où il n’y aurait rien à fuir

Et je n’arrive pas à oublier

Ce jour où je l’ai vue tomber

Désespoir

Au fond du couloir

De la haine

De la souffrance

À peine sortie de l’enfance

Elle cherchait quelque chose qui la foute en transe

Mais après les éclairs

La fée aux mains blanches

Ne laisse rien

Du vide, du vide, du vide

Et des regrets

Absurdité de la vie

Qui ne mène à rien

Où l’on n’est jamais bien

Où l’on s’imagine que notre jour viendra

Immense envie d’imploser

De tout arrêter

Le temps

De rester là, couché

D’oublier qu’on est là par hasard

De sentir le cuir de ta peau

Sur l’envers de ma peur

Sortir dans la rue

Défiler avec leurs colères

Partager leur violence

Retrouver le sens

Qui me lacère les chairs

Prendre des trains à travers la plaine

Quitter la haine

La trajectoire de la course

Au bord du Maroni

Un jour finir pêcheur

Mais là

Le trottoir bouge un peu sous mes pas

Et le ciel s’enflamme

Je les entends qui chantent

Je vois l’oriflamme

Et toujours ses yeux qui me hantent

Et je sais qu’il n’y a jamais de remède

Mais je veux croire encore

Plus ivre de cramer

Juste avant l’aurore

Le final intermède

Dans un dernier flash

Je l’ai revue

Je t’ai reconnue

En ce temps-là nos fleurs

Vendaient leur viande aux chiens

Et je m’en souviens

 

Rohan Sant

Elle est comme personne – Capdevielle

Pas de la race des poètes, paraît-il, parce que rocker toc, parce que deux albums prometteurs et de la soupe, parce que des paroles trop incompréhensibles pour être honnêtes. Quand vous prononcez le nom de Capdevielle, on le classera au pire du côté des Plastic Bertrand, au mieux pas trop loin de Lavilliers, la faute à Renaud qui les associait dans une chanson. Et les plus audacieux entonneront quelques couplets de Quand t’es dans le désert.

Oui, le mauvais côté de la ville cher à Jean-Patrick a des airs de Californie déprimée. Oui, on sent qu’il s’est enfilé Springsteen et Dylan en fumette, en tisane et sans modération aucune, qu’il prend parfois la pose…

Mais quand même, quel pied ! Quelle verve ! Je dirais mieux, quelles burnes !

À la fin des années 70, ils sont trois à brûler l’héritage de Brassens, Brel et consorts pour tracer une voie à part, à prendre le pouls de l’Atlantique sans rien perdre de leur frenchitude. Il y a Bashung, le révéré, Thiéfaine, l’irrécupérable, et Capdevielle, l’étoile filante qui torche les phrases définitives à la douzaine avec une confondante maestria.

Son premier album est une succession de films de série B, de road movies sans budget mais gorgés d’âme et de désespoir. Car le bonhomme a comme un projecteur dans la voix, il fait naître les images sans effort, c’est dix scénars à la seconde qu’il nous balance l’air de rien, des balades de losers maudits qui traînent leur gueule de bois du côté des rivières souillées. « Les enfants des ténèbres et les anges de la rue », se nomme l’opus, il contient son lot de perles, et puis une, encore plus brillante que les autres : Elle est comme personne. Une chanson d’amour, une ode à la femme enfouie au bord du vide et de la nuit. La plus belle.

Ça commence par une de ces guitares qui résonne en anglo-saxon, on n’est pas loin de « Heart of Gold » du père Neil Young, pas loin de Cat Stevens non plus, et puis il y a ce portrait de femme à la dérive et de son amant carbonisé…

« Elle parle jamais d’hier
Pour elle demain c’est trop loin
Elle peut pas tomber y’a rien qui la protège
C’est juste une collectionneuse de sortilèges
À minuit quand tous ses bracelets sonnent
Elle est comme personne »

Vous la voyez la fille, dangereuse et intense, destructrice et prête à sombrer. Capdevielle vous emmène vous briser le cœur et les dents avec lui, au fil de couplets imparables qui ne doivent rien à personne. Parce que le bougre était plus original qu’on voulait bien le dire, parce que ses contempteurs qui prennent aujourd’hui ses arrangements de haut sont des ânes snobs et insensibles.

« Elle reprend jamais les pleurs qu’elle me donne…
Elle est comme personne »

De la facilité, ça ? Non, la grâce de la simplicité, ce n’est pas tout à fait pareil… Et quand Capdevielle ajoute « J’suis venu tout seul à genoux devant sa serrure », je me souviens de mon teint de cierge, à côté du téléphone, à me saouler la gueule tout seul dans l’espoir d’un appel qui ne viendrait pas, parce que je n’avais pas compris que certaines filles dansent une tout autre danse, où leurs cavaliers ne trouvent place que le temps de se briser… Et que ces filles-là se fuient jusqu’au fond des lits où elles ne savent pas rester.

Une foutue belle chanson, un foutu grand chanteur !

Michaël Perruchoud