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Can’t Help Falling in Love – Elvis Presley

 

Ah, inoubliable, mythique Elvis ! D’aucuns se rappelleront son incroyable mèche, d’autres sont inimitable dégaine, d’autres, encore, ses innombrables conquêtes. Certains ricaneront du manque d’originalité des cinéastes américains, qui ressortent ses chansons à tout-va dans les bande sons de leurs films. Can’t help falling in love with you n’y fait pas exception. Les paroles font un peu sourire au vu des idylles tumultueuses du larron.  Je ne peux pas m’empêcher de tomber amoureux de toi, bien avant que la lune ne tourne au fiel. Dès les premières notes de piano, ça pue le pathos : une touche risque de se détacher sous l’excès sentimental. La voix du King tremble comme un patient atteint de la maladie de Parkinson, un chœur donne du « ouh ouh ouh », tout est accordé pour nous piquer le coin des yeux.

Et pourtant, tout ce lyrisme traduit bien l’intensité du sentiment amoureux, sa force, son absurdité, aussi, puisque tout le monde doit tôt ou tard se dire adieu. Wise men say only fools rush in : c’est sûr, ils nous avaient prévenu, les sages, de ne pas y foncer tête baissée. Peut-être qu’ils ont la langue aride, qu’ils n’ont jamais été assez humain pour mettre toute la mise, comme au poker : I am all in. Aimer quelqu’un d’autre, quelle connerie ! Et ça se dit sage ! Non, la sagesse, c’est la folie d’écouter les paroles d’Elvis et d’oser se dire, peut-être que comme un fleuve qui s’écoule jusque dans la mer, certaines choses doivent arriver. Après tout, c’est le roi qui l’a dit.

Alors, même si on sait que le destin n’est qu’une invention des astrologues, que tout finit par mourir, on se laisse entraîner par la voix d’Elvis et ses vibratos, en emmerdant les sages et les cyniques. On s’en moque, l’amour, ça ne s’embarrasse pas de concession, c’est beau, grand, démesuré, et tant pis pour ceux qui diront le contraire. Et on se tourne vers l’autre, avant que la chanson se termine, le temps de dire : tiens, prends ma main et, pendant qu’on y est, prends toute ma vie aussi.

Can’t take my eyes off you – Frankie Valli

J’ai entendu cette chanson pour la première fois en regardant Voyage au
bout de l’enfer de Michael Cimino. Christopher Walken dansait sur cet air
en jouant au billard contre de Niro. Jonh Cazale et John Savage étaient
tous deux assis au bar, fins ivres, gueulaient le refrain en s’accrochant à
leur bière. Savage était mort de trouille, parce qu’il allait se marier dans
l’après-midi puis partir à la guerre le lendemain, avec ses potes. I Love
you baby, leur femme, leur mère, leurs voisins, le tenancier du bar, I love
you baby. C’est probablement ce que l’on doit dire lorsqu’on ne sait pas
trop ni quand ni comment on reviendra de l’enfer. Can’t take my eyes off
you, les derniers regards avant de s’en aller. Puis cette chanson, c’est
Frankie Valli qui la rend magique: petit chanteur par sa taille, un des plus
grands crooners que les sixties aient produit. Cette chanson fera de Valli
un éternel.
J’ai du écouter cette chanson mille fois. L’ai massacrée pendant les
karaokés, (toujours à l’étranger, j’ai ma dignité) deux fois un 14 juillet.
Les campeurs étaient bourrés au point de me demander si ce n’était pas
Claude François qui avait écrit les paroles. Non, les paroles et les
arrangements reviennent à Bob Crewe et Bob Gaudio. Je reconnais les
premières mesures de cette chanson dès que je les entends, You’re just
to good to be true. Je tapote le volant si je suis en voiture, la cuillère à
café me sert à marquer le rythme en préparant le petit déjeuner. Les
coroners ont eu le génie de transformer l’amour dégoulinant en poésie
sublime. You’d be like heaven to touch. Heaven to touch, bon sang!
Pas simple de choisir une chanson. Mais il me fallait puiser parmi les
crooners, que les jeunes écoutent de plus en plus et avec ravissement.
Ce n’est jamais par nostalgie que je me tourne vers les crooners, c’est
parce que j’aime leur manière de chanter et de bouger. J’aime les
groupes qu’ils formaient, le vintage inoubliable de leurs chorégraphies
sur scène. Clint Eastwood a réalisé un film à propos de Frankie Valli et
de son groupe, film intitulé Jersey Boys. Eastwood consacre une très
belle séquence (émouvante) à l’enregistrement en studio de Can’t take
my eyes off you. Pour moi c’est la plus belle chanson du monde, celle
qui me rend gaie, triste, nostalgique, heureuse, qui ne me laisse jamais
indifférente.

Louise Anne Bouchard

Lithium – Nirvana

D’où viennent donc ces voix dans ma tête qui me disent que ce n’est pas juste ? D’où viennent donc ces incantations qui me poussent à me révolter ? D’où viennent donc ces idées qui me poussent aux larmes ?

I’m so happy ’cause today
I’ve found my friends …
They’re in my head

Ce monde n’est pas réel. Il n’est que désillusions et injustices. Je rêve d’une ville où il n’y aurait ni argent, ni politique. Je rêve d’un amour véritable. D’un monde plus juste. Moi, je ne sers à rien. Dans le miroir, une adolescente aux yeux bouffis et cernés, des cheveux devant le visage. En révolte, contre elle-même, contre tout et tous. Elle ne sait plus vraiment pourquoi.

I’m so ugly, but that’s okay, ’cause so are you …
We’ve broken our mirrors

Il y a ces cris, ces assiettes qui explosent juste un étage en dessous. Ces disputes incessantes me brisent, me lacèrent les bras et le cœur.

Yeah, yeah, yeah

La fumée de cigarette s’échappe par ma fenêtre entrouverte. Les mégots s’amoncèlent dans le cendrier.

And I’m not scared
Light my candles in a daze …

Mon plafond est peint en noir et j’y ai tracé un A entouré d’un cercle blanc. Ni Dieu, ni maître. Une lampe simple blanche diffuse une faible lumière. Le cordon de la lampe pend. Je le regarde. Il m’attire.

Je tire encore une fois sur ma cigarette. La chaleur incandescente se rapproche de mon majeur et de mon index. Je vais me brûler. Non, je ne craquerai pas. Ce serait trop facile.

I like it – I’m not gonna crack
I miss you – I’m not gonna crack
I love you – I’m not gonna crack
I killed you – I’m not gonna crack

Vingt-quatre ans après, j’ai fini par craquer. Mais je vous aime tout de même.

Olivia Gerig

La Philosophie (Batucada) – Georges Moustaki

La chanson que je considère la plus belle au monde n’est certainement pas la meilleure… Comme chaque parent ou presque qui trouve que son enfant est le plus beau, ma chanson préférée est celle que je n’ai pas su écrire, mais j’ai a eu la chance d’assister à sa mise au monde… Dans un lieu moins aseptisé qu’un bloc opératoire, la plage d’Itapoa, près de Bahia au Brésil, pendant les merveilleuses années 70… Georges Moustaki composa La Philosophie (Batucada) (« Nous avons toute la vie… », etc.) entre étreintes et libations…

Tout le reste est de l’ordre de l’intime et je ne réussis pas à l’exprimer…

Spyridon Karageorgis

Can’t Get Enough of Your Love, Babe – Barry White

Un premier rang qui frémit déjà, sagement assis, une petite fièvre qui s’empare des choristes, les premières mesures qui annoncent la couleur et deux phrases qui donnent le ton du morceau, ce sera de l’amour de haut en bas, des froissements interdits et des désirs irrésistibles.

Barry White déboule sur le devant de la scène en scintillant du costard dans la lumière des projecteurs en ruisselant de la gourmette et des paillettes. Can’t get enough of your love, babe. Les cordes vocales commencent à s’agiter au fond de la gorge du walrus of love et déjà elles savent que ce sera un moment irrésistible, une balade sur l’eau des larmes et des soupirs à bord du cygne en plastique rose avec un gros cœur dessus.

Barry va les promener du bout des doigts dans les cieux de l’envie, les ramener vers leurs dix-sept ans, leur filer des papillons et des couleurs, Can’t Get Enough of Your Love, Babe, il n’y en aura jamais assez, jamais. Il va encore improviser en jouant avec les cœurs et le chœur, leur offrir encore quelques battements d’aile et de cils avant de les faire atterrir en douceur. Karen et Lucy se mordilleront encore une fois les lèvres, promis : ce sera le dernier concert. Peut-être

Le Lac Majeur – Mort Shuman

Un 31 décembre, il y a bien longtemps. Nous ne nous connaissions que depuis quelques mois. Pas question de réveillon festif, nous n’en avions pas les moyens. Terminer l’année ensemble, en commencer une nouvelle ensemble, nous n’en demandions pas plus. Une petite salle de quartier nous ouvrit sa porte pour une soirée dansante. L’orchestre commençait régulièrement les séries de slows par cette chanson de Mort Shuman dont les paroles me sont restées gravées au fond du cœur. Je les murmurais, blottie entre les bras de mon amoureux. Aujourd’hui, nous sommes toujours ensemble, nos cheveux ont blanchi, nous ne dansons plus. Mais lorsque par hasard, à la radio, à la télévision, la neige tombe sur le lac Majeur, nous partageons le même sourire, dans nos yeux s’allume la même petite étincelle.

Brûle mon amour brûle! – chant de Taizé

Plus de 100’000 visionnements sur Youtube. Ce doit être la chanson en latin la plus écoutée de nos jours. Une chanson que reprennent tout au long de l’année et chaque été des milliers de jeunes et de moins jeunes à Taizé. Ton amour est plus fort qu’un coup de soleil  (Tui amoris Ignem), tube mondial, est chanté par une centaine de frères venus des quatre coins du monde laissant derrière eux famille, richesse, appartenances pour revêtir une robe blanche très très queer pour vivre l’évangile à Taizé, Bourgogne, France. Ils répètent comme des dingues des chansons lancinantes et dans toutes les langues, sur tous les tons, accompagnés seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint. Ils chantent pour les ados et les bonnes soeurs, mais pas que: pour des dizaines de milliers de personnes aussi, qui passent chaque année à Taizé. Ils chantent pour Dieu et ils chantent l’amour.

Avant qu’ils deviennent des références, il n’y a pas vraiment de quoi pousser la chansonnette.  C’est rude et c’est violent. En 1940, Roger Schutz, futur frère Roger, débarque de Suisse et fonde à Taizé une petite communauté, y cache des Juifs pourchassés par les collabos français. La Gestapo débarque, Roger se réfugie en Suisse. Il reviendra en Bourgogne à la fin de la guerre, y accueillera des orphelins de guerre et des prisonniers. La communauté, basée sur la prière et le travail, grandira en plaçant l’oecuménisme, l’internationalisme, l’accueil des plus jeunes et l’éveil à la foi au coeur de son engagement.

Comment un homme qui vécut toute sa vie dans la générosité et l’amour peut finir assassiné en pleine prière? Il y a là quelque chose qui me laisse sans voix. 2005, frère Roger est poignardé par une déséquilibrée en pleine prière (accompagné seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint).

J’ai découvert Taizé bien après avoir arrêté d’écouter du heavy metal. J’ai aimé le grand espace de l’église plusieurs fois agrandie où 3000 personnes se serrent dans le silence et le recueillement. J’ai aimé les parois assemblées de bric et de broc, les moquettes seventies, qui rappellent que la construction s’est faite par ajouts, à partir de peu, incarnant la foi dans ce qui vient, la confiance totale dans le don. Les paysans donnent du lait, les commerçants du pain. J’ai aimé manger dans les bols en plastique et dormir dans les dortoirs. Tout là-bas dit la simplicité,  la confiance dans ce qui vient, et toujours, le travail en commun.

Les chants de Taizé m’ont fait chialer. Ils ont réussi là où même Patti Smith avait échoué. Parce qu’ils m’ont pris aux tripes et que j’ai vu les visages des humains recueillis là, les fatigués, les cassés, les recueillis, les adorants, les extatiques. Quand je vois des gens pleurer, de tristesse et de joie, je pleure aussi, c’est humain, immédiat.

C’est quand la dernière fois que tu as chanté avec 3000 personnes devant une scène vide où le silence et le chant disent que tu es là où est la superstar, enfin, que la superstar est un humain battu, défait, assassiné, et qu’il vit en toi ?

Ce que l’on appelle le refrain chez les laïcs, est une prière ici. La répétition lancinante veni sancte spiritus, tui amoris ignem accende, veni sancte spiritus, veni sancte spiritus : une invitation à lâcher avec le mental. Cette phrase lourde tourne en boucle, lancinante, percutée par de l’allemand, de l’espagnol, de l’anglais, du français, un galimatias d’autre langues, mais qui toutes disent la même chose:  viens Esprit saint viens, chauffe-nous, brûle-nous de ton amour,  ici bas ça caille, on claque des dents, mais nos coeurs même durs sont encore de paille et nous sommes de matière inflammable.

Dans l’église de Taizé, tout le monde est assis à la même enseigne. Les pauvres, les riches, les boiteux, les handicapés. Pas de sièges d’exception, pas de marques, de différences. Tous au sol, et devant le même mur de lumière, entonnant dans toutes les langues des paroles simples, faciles à répéter, qui vont fouiller bas.

Le vendredi, la grande croix de bois est mise au sol. Ceux qui souhaitent s’y prosterner se lèvent, s’avancent, pour déposer leur front sur la croix. Non, ça ne se bouscule pas, ne se presse pas, non;  ça chante, attend son tour et chante encore, dans toutes les langues et dans tous les tons, juste et faux aussi, et quelle importance? Parce que les larmes coulent et qu’elles nettoient tout.

Pourquoi je ne laisserai personne dire que Ton amour est un feu n’est pas la plus belle chanson du monde? Parce qu’elle a été écrite dans l’amour, et qu’elle place cet amour au-dessus de la connerie des hommes et de leurs violences; que cette phrase: aimons-nous les uns les autres puisque l’amour est de Dieu, me permet de me replacer sans fin devant cet amour qui vient de plus loin et plus profond que nous, et qui donc… nous survivra.

Sylvain Thévoz

Love Me Tender – Elvis Presley

Je n’avais jamais remarqué qu’Elvis avait une si jolie voix. Ça m’a frappé pas plus tard que l’autre jour, alors que je cherchais un bon pinard pas trop cher à Denner. Love Me Tender se faufilait entre les allées pour me caresser une oreille. Je me suis trouvé comme un con, ému, à me laisser porter par cette guitare toute simple et cette voix tendre pendant que ma fille me tirait sur la manche devant les pots de Nutella.

Et c’est de la vraie chanson d’amour ; la plus belle, sans aucun doute. Le gars Elvis n’est pas en train de draguer la minette en lui promettant l’éternité, et que je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimée. Ils sont déjà dans les bras l’un de l’autre, dans leur cocon, et il lui dit juste à quel point leur amour est beau et lui fait du bien, et qu’il va l’aimer toujours.

Même quand il sera devenu vieux, obèse, drogué, cette chanson lui accordera l’amour éternel.

Sébastien G. Couture

Same Love – Macklemore

Et si la musique existait, non pas pour nous divertir, mais pour nous engager, pour nous muer, pour nous faire réfléchir, pour faire vibrer en nous une émotion, pour en sortir grandi ? Pour ébranler nos convictions, pour mûrir notre réflexion, pour nous sortir des tripes une envie de changer les choses, de faire de notre planète un monde différent, l’envie de laisser une trace un peu plus intéressante à nos enfants. L’envie de se dépasser, d’aller plus loin.

La liste des courses est ambitieuse. Et certaines chansons pourraient bien la rallonger de quelques pages encore tant l’impact qu’elles ont sur nous est fort. On en ressort différent. Une larme jaillit parfois à la première écoute, comme une révélation d’un texte qui nous touche au plus profond de notre être, qui dévoile en nous ce petit quelque chose qui fait toute la différence et qui changera notre écoute du morceau en question pour la vie.

Ces chansons, heureusement, il y en a beaucoup. Elles appartiennent à un répertoire d’engagement sincère qui fait du bien. Qui nous rappelle l’importance de certaines thématiques et nous remet un peu en place, nous et nos problèmes de riches. Ce répertoire, le voilà avantageusement complété par un rap, ce qui vaut son pesant de cacahuètes tant on sait les rappeurs avares en plaidoyers sincères sur les grands faits de notre société (et ce n’est pas Eminem et ses 26 bitch toutes les deux phrases qui me contredira). Voilà donc un rappeur de style, de talent, et aux convictions touchantes. Plongeons-nous dans « Same Love », de l’artiste Macklemore.

Macklemore, c’est le jeune bogosse à la grosse b*** de « Thrift Shop », c’est « Ten Thousand Hours» ou « Can’t hold us », ces tubes qui ont fait le tour de la planète en 2013. Des rythmes prenants, qui sortent des codes habituellement associés au rap, avec des mélodies qui n’ont rien à envier aux genres de musique qui me sont plus proches (pop, jazz, rock, etc.). Bref, un rap plaisant qui n’a pas grand-chose à voir avec le rap bas-de-gamme de 50 cent et autres Nicki Minaj.

Son titre « Same Love », c’est son cri contre l’homophobie rampante dont souffre notre société et qui, aux Etats-Unis, prend une ampleur inquiétante.

Quand j’étais en troisième, j’ai pensé que j’étais gay. Parce que je pouvais dessiner, que mon oncle l’était, et que je rangeais ma chambre. Je pleurais, ai confié mes doutes à ma mère. Elle m’a dit « Ben, tu aimes les filles depuis la maternelle ! » Je dois admettre qu’elle marque un point…

J’écoute le premier couplet et je repense à tous ces enfants qui ne parlent pas à leur mère lorsqu’ils découvrent leur identité sexuelle. Je pense à ceux qui risquent la peine de mort à l’idée même de désirer une personne du même sexe et qui ne pourront jamais confier leurs doutes, qui ne pourront jamais avoir une discussion sincère avec leur mère, et qui ne sauront pas davantage que leur oncle préfère les hommes.

Les conservateurs de droite pensent que c’est un choix, et que tu peux en guérir avec un bon traitement ou une foi religieuse. L’homme réécrit à sa guise, joue à Dieu. Voilà l’Amérique la téméraire qui craint ce qu’elle ne connaît pas.

Le décor est posé. L’Amérique prône ses valeurs puritaines et laisse les autres sur le carreau. Elle n’a que faire qu’un jeune homosexuel sur quatre tente de mettre fin à ses jours. Elle joue à Dieu et interprète, à la lettre, un texte qui date de Mathusalem. Comme si on battait nos enfants lorsqu’ils désobéissent, comme si on lapidait ceux qui mangent des crustacés, comme si on respectait les écrits bibliques de manière aveugle…

Place à Mary Lambert, dont la voix douce nous emporte au refrain :

Je ne peux pas changer. Même si j’essayais. Même si je le voulais…
Mon amour, elle me tient chaud…

Je ne peux pas changer. C’est en moi, je suis né comme ça.
Même si j’essayais. Je suis homosexuel, pourquoi devrais-je essayer d’être comme vous, Avez-vous seulement essayé d’être comme moi ?
Même si je le voulais. Pourquoi le voudrais-je ? Je suis heureux…

Macklemore n’est pas tendre non plus avec ses confrères et leur public, qui déversent leur haine des homosexuels à tout bout de champ.

Si j’étais homo, je crois que je détesterais le hip-hop.

Puis il parle de combat. Celui de ces homosexuels qui ont lutté, en 1969, pour qu’on reconnaisse leur normalité. Qu’on cesse de considérer leur sexualité comme une maladie. Que la société reconnaisse que leur amour n’est pas moins propre que l’amour hétérosexuel. Macklemore dit son soutien à tous ceux à qui on a volé la dignité. À ses oncles et à tous et toutes les autres. Il répète sa répulsion d’une religion qui prône la haine et le dégoût.

Le même combat qui a amené nos ancêtres à revendiquer leur différence. C’est des droits de l’homme pour tous, je n’admets aucune différence. Vis et sois toi-même. Quand j’étais à l’église, ils m’ont enseigné autre chose. Si tu prêches la haine pendant ton service, ces mots ne seront pas ignorés. L’eau bénite que tu nous sers le dimanche est empoisonnée. Pas de liberté tant qu’on n’est pas égaux, c’est clair que je soutiens leur combat !

« L’eau bénite est empoisonnée ». Tout est dit. Le culte de la haine a certes un héritage très profond. Des milliers d’années. Mais on n’en veut plus. On doit changer. Tout doit changer. Détester son voisin parce qu’il est noir, tuer quelqu’un car il fait trop de bruit, battre quelqu’un parce qu’il est différent, finir ses jours en prison parce qu’on a voulu casser du pédé. Notre société a besoin de tourner la page, de se concentrer sur les belles choses, d’avancer vers le meilleur. Utopiste, moi ? Mais non, mais non…

Un certificat sur papier ne va pas tout résoudre. Mais c’est un bon début. Aucune loi ne va nous changer. Nous devons nous changer. Quel que soit votre croyance, on vient du même Dieu. Chassez votre peur. Puisque tous les amours sont pareils.

Jenoe Shulepov

Tom Traubert’s Blues – Tom Waits

Il n’y a aucune autre chanson qui me tire autant les larmes que Tom Traubert’s Blues de Tom Waits.

Je ne l’ai pas choisie parce que la voix rauque de son interprète me rappelle ces longues années d’amour avec mes clopes, ces amies de fête, de joie comme de galère, que j’ai désormais abandonnées sur le bord de la route. Je ne l’ai pas non plus choisie parce que Tom Waits est roux et frisé, et que je me sens faire partie de cette communauté solidaire des gens qui en ont soupé étant ados pour cause de fibre capillaire marginalisée. Je ne l’ai également pas choisie parce que choisir Tom Waits, c’est choisir le plus sûr moyen d’éviter les jets de pierre des pédants du monde de la musique.

Je l’ai choisie parce que, pour moi, c’est la plus belle chanson du monde. Et si quelqu’un venait à dire que ce n’était pas le cas, je le prendrais personnellement. C’est une de ces chansons qu’on découvre jeune, par le biais des parents. Je me souviens encore me demander comment il avait fait, ce Tom Waits, avec sa ganache pas possible et sa voix de vieille grand-mère crochée à ses gitanes, pour sortir un disque. Elle ne sonnait comme rien de ce que je connaissais du haut de mes glorieuses dix années d’existence montagnarde. C’était vraiment fort de café, ce mec et cette grosse voix ! Et cette chanson qui aurait pu sonner comme une ode à la guimauve intersidérale si n’importe qui d’autre avait posé sa voix cucul la praline par-dessus…

Je me souviens de ma mère qui m’a dit de « bien l’écouter celle-là, tu vas voir c’est la meilleure », et moi de poser ma petite tête, pleine de cheveux roux et frisés donc, sur son épaule et d’écouter. Et non seulement c’était vrai, c’était la meilleure, mais elle m’a tiré une larme. Comme elle me tire une larme alors que j’écris ces mots.

Parce que cette chanson pour moi, c’est plus qu’une chanson, c’est la bande-son du film de l’amour que je porte à ma mère. Il n’y a pas une note de Tom Traubert’s Blues qui ne me rappelle la plus belle femme que je connaisse, et devant qui je ne serai jamais qu’une enfant en admiration totale.

Olivia Bessat