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Et si en plus y’a personne – Alain Souchon

Y’a les chansons qui t’évoquent des souvenirs, qui frappent à la porte de ta mémoire, plus ou moins brusquement, viennent gratter dans le mille, dans la chair qu’on a froide et qui taillent sous la peau. Y’a ces chansons qui questionnent, qui dérangent, qui portent haut ta voix, ce que t’as en toi, qui mettent des mots, qui galvanisent, qui te font te sentir moins seul. Y’a ces vers que t’admires, que t’aurais aimé écrire, qui te laissent con tant ils disent tout en si peu, si bien, juste la substance, juste l’essence, et la mélodie qui fait sens.

Et puis y’a ces chansons qui ont tout, sublime alchimie qui te retourne, que tu prends dans la gueule, qui te filent le vertige, qui grattent tout et partout, qui creusent, qui transpercent, bien profond sous la peau, qui bouleversent. Cette chanson me bouleverse. Elle me traverse de part en part.

Toujours la même sensation entre la mâchoire et les omoplates, la même intensité, le même vide abyssal. Trop d’évocations. Trop de souvenirs. Trop de visions. Cette chanson me dépasse, elle me rend trop humain, bancal, au bord du précipice de la pensée.

Elle est sublime dans son sens infini. Parce qu’elle porte tant, tant de sens, tant d’enjeu, tant d’histoire, tant de questions. Dès ses premières notes de synthé qui déroutent. A chaque fois. Le même impact. Le même lourd frisson parti du haut du dos. Le même souffle court, les yeux noyés, le nœud dans la gorge, la bouche entrouverte. A chaque fois. C’est inscrit en moi.

Abderrahmane, Martin, David, et si le Ciel était vide ?

Boum ! K.O. d’entrée. Deux vers, et le poids colossal de millénaires ensanglantés sur les épaules, le poids gigantesque et indécent de millions de prières dans le vide, de millions de morts pour rien (ou pour le simple plaisir de zigouiller). Et si… Le simple fait de soulever la question. Qu’on s’est déjà posée mille fois, bien sûr, mais… Et si… Si bien posée. Et en écho toutes les fondations prêtent à s’effriter, toute cette culture qui nous a faits, dans laquelle on a baigné, qui nous a façonnés, qui nous façonne tous, jusqu’au plus athée.

Tout ça en équilibre. Et si

Et ces images qui remontent à la tronche, ces souvenirs d’enfance, toutes ces processions, ces jolis cantiques (antidouleurs ?), ces têtes inclinées… Toutes ces certitudes. Tous ces bréviaires. Et tous ces espoirs. Tout cet amour. Tout ce partage. Qu’on ait la foi ou qu’on ne l’ait pas, qu’on l’ait perdue ou jamais cherchée, ça nous façonne. Et si

Tant d’angélus. Tant d’obscurantisme. Tant de peurs souhaitées. Tant de lâcheté. Tant d’œillères. Tant d’intégrisme. Tant de revolvers. Tant de troupeaux. Tant de textes bafoués. Tant de prophètes détournés. Tant d’œuvres anéanties. Tant de haine.

Et siEt si en plus y’a personne…

 

Xavier MICHEL, 1er mai 2017

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=JvkMnHXtHzc

Brûle mon amour brûle! – chant de Taizé

Plus de 100’000 visionnements sur Youtube. Ce doit être la chanson en latin la plus écoutée de nos jours. Une chanson que reprennent tout au long de l’année et chaque été des milliers de jeunes et de moins jeunes à Taizé. Ton amour est plus fort qu’un coup de soleil  (Tui amoris Ignem), tube mondial, est chanté par une centaine de frères venus des quatre coins du monde laissant derrière eux famille, richesse, appartenances pour revêtir une robe blanche très très queer pour vivre l’évangile à Taizé, Bourgogne, France. Ils répètent comme des dingues des chansons lancinantes et dans toutes les langues, sur tous les tons, accompagnés seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint. Ils chantent pour les ados et les bonnes soeurs, mais pas que: pour des dizaines de milliers de personnes aussi, qui passent chaque année à Taizé. Ils chantent pour Dieu et ils chantent l’amour.

Avant qu’ils deviennent des références, il n’y a pas vraiment de quoi pousser la chansonnette.  C’est rude et c’est violent. En 1940, Roger Schutz, futur frère Roger, débarque de Suisse et fonde à Taizé une petite communauté, y cache des Juifs pourchassés par les collabos français. La Gestapo débarque, Roger se réfugie en Suisse. Il reviendra en Bourgogne à la fin de la guerre, y accueillera des orphelins de guerre et des prisonniers. La communauté, basée sur la prière et le travail, grandira en plaçant l’oecuménisme, l’internationalisme, l’accueil des plus jeunes et l’éveil à la foi au coeur de son engagement.

Comment un homme qui vécut toute sa vie dans la générosité et l’amour peut finir assassiné en pleine prière? Il y a là quelque chose qui me laisse sans voix. 2005, frère Roger est poignardé par une déséquilibrée en pleine prière (accompagné seulement d’un petit orgue Hammond et de l’Esprit saint).

J’ai découvert Taizé bien après avoir arrêté d’écouter du heavy metal. J’ai aimé le grand espace de l’église plusieurs fois agrandie où 3000 personnes se serrent dans le silence et le recueillement. J’ai aimé les parois assemblées de bric et de broc, les moquettes seventies, qui rappellent que la construction s’est faite par ajouts, à partir de peu, incarnant la foi dans ce qui vient, la confiance totale dans le don. Les paysans donnent du lait, les commerçants du pain. J’ai aimé manger dans les bols en plastique et dormir dans les dortoirs. Tout là-bas dit la simplicité,  la confiance dans ce qui vient, et toujours, le travail en commun.

Les chants de Taizé m’ont fait chialer. Ils ont réussi là où même Patti Smith avait échoué. Parce qu’ils m’ont pris aux tripes et que j’ai vu les visages des humains recueillis là, les fatigués, les cassés, les recueillis, les adorants, les extatiques. Quand je vois des gens pleurer, de tristesse et de joie, je pleure aussi, c’est humain, immédiat.

C’est quand la dernière fois que tu as chanté avec 3000 personnes devant une scène vide où le silence et le chant disent que tu es là où est la superstar, enfin, que la superstar est un humain battu, défait, assassiné, et qu’il vit en toi ?

Ce que l’on appelle le refrain chez les laïcs, est une prière ici. La répétition lancinante veni sancte spiritus, tui amoris ignem accende, veni sancte spiritus, veni sancte spiritus : une invitation à lâcher avec le mental. Cette phrase lourde tourne en boucle, lancinante, percutée par de l’allemand, de l’espagnol, de l’anglais, du français, un galimatias d’autre langues, mais qui toutes disent la même chose:  viens Esprit saint viens, chauffe-nous, brûle-nous de ton amour,  ici bas ça caille, on claque des dents, mais nos coeurs même durs sont encore de paille et nous sommes de matière inflammable.

Dans l’église de Taizé, tout le monde est assis à la même enseigne. Les pauvres, les riches, les boiteux, les handicapés. Pas de sièges d’exception, pas de marques, de différences. Tous au sol, et devant le même mur de lumière, entonnant dans toutes les langues des paroles simples, faciles à répéter, qui vont fouiller bas.

Le vendredi, la grande croix de bois est mise au sol. Ceux qui souhaitent s’y prosterner se lèvent, s’avancent, pour déposer leur front sur la croix. Non, ça ne se bouscule pas, ne se presse pas, non;  ça chante, attend son tour et chante encore, dans toutes les langues et dans tous les tons, juste et faux aussi, et quelle importance? Parce que les larmes coulent et qu’elles nettoient tout.

Pourquoi je ne laisserai personne dire que Ton amour est un feu n’est pas la plus belle chanson du monde? Parce qu’elle a été écrite dans l’amour, et qu’elle place cet amour au-dessus de la connerie des hommes et de leurs violences; que cette phrase: aimons-nous les uns les autres puisque l’amour est de Dieu, me permet de me replacer sans fin devant cet amour qui vient de plus loin et plus profond que nous, et qui donc… nous survivra.

Sylvain Thévoz

Same Love – Macklemore

Et si la musique existait, non pas pour nous divertir, mais pour nous engager, pour nous muer, pour nous faire réfléchir, pour faire vibrer en nous une émotion, pour en sortir grandi ? Pour ébranler nos convictions, pour mûrir notre réflexion, pour nous sortir des tripes une envie de changer les choses, de faire de notre planète un monde différent, l’envie de laisser une trace un peu plus intéressante à nos enfants. L’envie de se dépasser, d’aller plus loin.

La liste des courses est ambitieuse. Et certaines chansons pourraient bien la rallonger de quelques pages encore tant l’impact qu’elles ont sur nous est fort. On en ressort différent. Une larme jaillit parfois à la première écoute, comme une révélation d’un texte qui nous touche au plus profond de notre être, qui dévoile en nous ce petit quelque chose qui fait toute la différence et qui changera notre écoute du morceau en question pour la vie.

Ces chansons, heureusement, il y en a beaucoup. Elles appartiennent à un répertoire d’engagement sincère qui fait du bien. Qui nous rappelle l’importance de certaines thématiques et nous remet un peu en place, nous et nos problèmes de riches. Ce répertoire, le voilà avantageusement complété par un rap, ce qui vaut son pesant de cacahuètes tant on sait les rappeurs avares en plaidoyers sincères sur les grands faits de notre société (et ce n’est pas Eminem et ses 26 bitch toutes les deux phrases qui me contredira). Voilà donc un rappeur de style, de talent, et aux convictions touchantes. Plongeons-nous dans « Same Love », de l’artiste Macklemore.

Macklemore, c’est le jeune bogosse à la grosse b*** de « Thrift Shop », c’est « Ten Thousand Hours» ou « Can’t hold us », ces tubes qui ont fait le tour de la planète en 2013. Des rythmes prenants, qui sortent des codes habituellement associés au rap, avec des mélodies qui n’ont rien à envier aux genres de musique qui me sont plus proches (pop, jazz, rock, etc.). Bref, un rap plaisant qui n’a pas grand-chose à voir avec le rap bas-de-gamme de 50 cent et autres Nicki Minaj.

Son titre « Same Love », c’est son cri contre l’homophobie rampante dont souffre notre société et qui, aux Etats-Unis, prend une ampleur inquiétante.

Quand j’étais en troisième, j’ai pensé que j’étais gay. Parce que je pouvais dessiner, que mon oncle l’était, et que je rangeais ma chambre. Je pleurais, ai confié mes doutes à ma mère. Elle m’a dit « Ben, tu aimes les filles depuis la maternelle ! » Je dois admettre qu’elle marque un point…

J’écoute le premier couplet et je repense à tous ces enfants qui ne parlent pas à leur mère lorsqu’ils découvrent leur identité sexuelle. Je pense à ceux qui risquent la peine de mort à l’idée même de désirer une personne du même sexe et qui ne pourront jamais confier leurs doutes, qui ne pourront jamais avoir une discussion sincère avec leur mère, et qui ne sauront pas davantage que leur oncle préfère les hommes.

Les conservateurs de droite pensent que c’est un choix, et que tu peux en guérir avec un bon traitement ou une foi religieuse. L’homme réécrit à sa guise, joue à Dieu. Voilà l’Amérique la téméraire qui craint ce qu’elle ne connaît pas.

Le décor est posé. L’Amérique prône ses valeurs puritaines et laisse les autres sur le carreau. Elle n’a que faire qu’un jeune homosexuel sur quatre tente de mettre fin à ses jours. Elle joue à Dieu et interprète, à la lettre, un texte qui date de Mathusalem. Comme si on battait nos enfants lorsqu’ils désobéissent, comme si on lapidait ceux qui mangent des crustacés, comme si on respectait les écrits bibliques de manière aveugle…

Place à Mary Lambert, dont la voix douce nous emporte au refrain :

Je ne peux pas changer. Même si j’essayais. Même si je le voulais…
Mon amour, elle me tient chaud…

Je ne peux pas changer. C’est en moi, je suis né comme ça.
Même si j’essayais. Je suis homosexuel, pourquoi devrais-je essayer d’être comme vous, Avez-vous seulement essayé d’être comme moi ?
Même si je le voulais. Pourquoi le voudrais-je ? Je suis heureux…

Macklemore n’est pas tendre non plus avec ses confrères et leur public, qui déversent leur haine des homosexuels à tout bout de champ.

Si j’étais homo, je crois que je détesterais le hip-hop.

Puis il parle de combat. Celui de ces homosexuels qui ont lutté, en 1969, pour qu’on reconnaisse leur normalité. Qu’on cesse de considérer leur sexualité comme une maladie. Que la société reconnaisse que leur amour n’est pas moins propre que l’amour hétérosexuel. Macklemore dit son soutien à tous ceux à qui on a volé la dignité. À ses oncles et à tous et toutes les autres. Il répète sa répulsion d’une religion qui prône la haine et le dégoût.

Le même combat qui a amené nos ancêtres à revendiquer leur différence. C’est des droits de l’homme pour tous, je n’admets aucune différence. Vis et sois toi-même. Quand j’étais à l’église, ils m’ont enseigné autre chose. Si tu prêches la haine pendant ton service, ces mots ne seront pas ignorés. L’eau bénite que tu nous sers le dimanche est empoisonnée. Pas de liberté tant qu’on n’est pas égaux, c’est clair que je soutiens leur combat !

« L’eau bénite est empoisonnée ». Tout est dit. Le culte de la haine a certes un héritage très profond. Des milliers d’années. Mais on n’en veut plus. On doit changer. Tout doit changer. Détester son voisin parce qu’il est noir, tuer quelqu’un car il fait trop de bruit, battre quelqu’un parce qu’il est différent, finir ses jours en prison parce qu’on a voulu casser du pédé. Notre société a besoin de tourner la page, de se concentrer sur les belles choses, d’avancer vers le meilleur. Utopiste, moi ? Mais non, mais non…

Un certificat sur papier ne va pas tout résoudre. Mais c’est un bon début. Aucune loi ne va nous changer. Nous devons nous changer. Quel que soit votre croyance, on vient du même Dieu. Chassez votre peur. Puisque tous les amours sont pareils.

Jenoe Shulepov

Phantom of the Opera – Iron Maiden

J’ai neuf, dix ans, même pas encore de l’acné sur le visage, jamais touché à une bière ni une cigarette; que de la fumée passive, et encore, en toussant. Puceau, bien sûr, jusqu’à l’os. Biberonné au bon lait des fermes et aux odeurs de camphre des vestiaires de foot.  Et puis déboule un été mon cousin, cheveux longs, cuir noir, de dix ans mon aîné, avec cette cassette en plastique sur laquelle la tronche d’un écorché vif mi-homme mi-monstre prend toute la place dans un face à face halluciné. Arrière-fond crépusculaire de lampadaires et de murs de briques glauques couleur pisse.  La bande magnétique défile dans un vieux magnétoscope Grundig, et c’est une lave rauque rêche sexuelle et violente qui me rentre dans la peau et m’éclate les rétines.

L’album s’appelle Killers. Groupe:  Iron Maiden. La chanson : Phantom of the Opera. Je ne comprends rien aux paroles mais flaire d’une manière animale l’appel des bêtes qui palpite, des sabots, du sang, du diable et des coups criminels ; combat avec arme blanche et ruelles en impasses avec des voix appelant à l’absolution ou au meurtre, je ne sais pas. Mais je le sens, le transpire, c’est dans le chaudron de cette grosse caisse-là que se jouera mon adolescence helvétique et alpestre, dans le métal et les cordes électriques d’un son venu d’une île qui évoque les caves. C’est là dedans que sonnera le glas de mon enfance, dans la bestialité, la cruauté, la rage, la contestation, le crachat et un glaire politique. Margaret Thatcher est au sol, en sang. Elle a voulu enlever une affiche du groupe, la salope. Yes ! Ils peuvent buter la première ministre ! Yes ! Ils peuvent tuer Dieu par des messages cryptés diaboliques et bloqués autour du 666 et du nombre de la bête, invoquer des puissances obscures.

Ce son dit le rapt, la fuite, les illusions balayées du monde réel, pas seulement dans les feuilles du roman fantastique de Gaston Leroux, mais dans le métal et par le métal. Qu’ils aillent se faire foutre les prêtres, ou plutôt qu’ils abdiquent et se couchent en adoration devant cette chanson hallucinée, fantomatique, triturée de longues plages électriques, tripantes, oscillant entre claques «oh yeah » marquant le start, accélérant le pouls comme une injection, rythmes brisées et tachycardes arrêtés brutalement, variations cassantes, entrecoupées d’un presque lyrisme kitsch de riffs forcés pourtant mélodieux … à moins que ce ne soit de giclées de sang lourd et noirs baignant une rage qui fait éclater ce son qui prend la forme d’une liberté échevelée et dangereuse, car désirable.

Keep your distance, walk away, don’t take his bait
Don’t you stray, don’t fade away
Watch your step, he’s out to get you, come what may
Don’t you stray, from the narrow way

Garde ta distance, éloigne-toi, ne mords pas son appât
Ne vagabonde pas, ne t’efface pas
Surveille ton pas, il est dehors pour te chercher, advienne que pourra
Ne vagabonde pas loin de l’étroit sentier

Cette chanson creuse le péril, le caché et le refoulé, l’attirance pour l’immonde et le mortel. Elle le dit brut de décoffrage, dans la vie, brutalement.

Et le gamin, le gosse mal dégrossi, l’obèse que je suis alors, le niais, l’obéissant qui se faisait chier alors à écouter Brassens et du classique dans la voiture paternelle (Opel Kadett bleue imbibée de l’odeur de Marlboro rouge) découvre un pouvoir immense : celui d’invoquer des fantômes aux cheveux longs et à boucles d’oreilles et exiger que la bande magnétique maléfique et magique de l’album Killers soit mise encore et encore et encore  dans le radiocassette lors des interminables trajets filant la nausée entre Lausanne et Payerne, Chêne-Pâquier et Missy (VD), perdant à chaque seconde de la bande un peu de virginité comme pèle la peau après un été brûlant; y gagnant une aspiration folle à l’émancipation et au renouvellement, trouvant là un chemin où avancer, pousser, et sursautant, alors que le silence était revenu pourtant, au son final  criant le péril et la gloire du repaire.

Sylvain Thévoz

É doce morrer no mar – Paulo Flores

C’est une chanson qui a été écrite par le Brésilien Dorival Caymmi. C’est une chanson qui me bouleverse, et c’est en écoutant la version de l’Angolais Paulo Flores que je chavire totalement.

Il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer.

C’était une nuit de tristesse, cette nuit où il n’est pas revenu. Saveiro est rentré seul… Il est parti de nuit, à l’aube il n’est pas revenu… Saveiro est rentré seul. Le beau marin a été emporté par la sirène… Mon amour s’est noyé, il a fait son lit de fiancé au col de Iemanjà…

Il est doux de mourir en mer…

Iemanjà, cette déesse de la mer et des océans, mère créatrice, issue du mariage brésilien de religions africaines des anciens esclaves et du christianisme. C’est une façon d’atténuer la peine : il est parti, il ne reviendra plus, mais au moins il est avec la déesse et avec cette foutue sirène qui chante sûrement comme une casserole mal nettoyée. Dieu que c’est bon de se raconter des histoires! On en crèverait de tristesse si les déesses et les femmes-poisson n’étaient pas là pour nous bercer un peu.

Alors non, le sujet ce n’est pas l’amour. Le sujet c’est le peuple, le marin qui part pêcher pour vivre, pour survivre et qui y perd la vie. C’est celui qui a été emporté par les bateaux de la traite des esclaves, mais aussi ce pauvre marin issu du peuple qui s’est embarqué dans des expéditions maritimes avec la peur au ventre et qui, pour sa part, n’aura rien découvert d’autre que la souffrance et la mort. N’en déplaise aux empires de l’époque. Et c’est aujourd’hui la même histoire qui continue : des bateaux à la dérive, qui chavirent et tuent. Des bateaux qui portent l’espoir de la survie, ailleurs peut-être, et qui ne mènent qu’à l’horreur. Nous en sommes au même point. Il y a toujours quelqu’un sur une rive qui attend qu’un proche revienne.

Alors oui, cette chanson me prend aux tripes et je le dis bien haut bien fort : c’est LA plus belle chanson du MONDE!!! Mais ce qui fait le plus vibrer dans cette chanson, c’est le refrain qui surgit comme pour calmer la rage et la tristesse : il est doux de mourir en mer, dans les vagues vertes de la mer, il est doux de mourir en mer… et la mélodie s’attarde bien sur le mot « doux ».

C’est parce qu’elle est simple, intime, qu’elle raconte une histoire singulière que je la trouve universellement renversante. Elle me ramène à un sentiment essentiel d’humanité et c’est tout ce que je demande à une chanson, pas plus et pas moins.

Et la voix de Paulo Flores, son instrumentation qui laisse place à des cordes à la fois envoûtantes et dérangeantes. C’est le Brésil et l’Angola, si intimement liés, qui se répondent. C’est l’histoire qui dialogue avec elle-même. J’en fais trop? J’exagère? J’ai beau être presque marseillaise, je jure que dans le cas présent j’use de beaucoup de retenue.

Écoutez sans modération cette chanson, plongez dans l’univers de Paulo Flores, pensez aux paroles du refrain quand vous l’entendrez. Et vous tanguerez tout comme moi. Il apporte sa sensibilité de sa rive atlantique, avec sa guitare et une langue bantou au beau milieu qui vient enraciner un peu plus cette chanson (peut-être du kimbundu mais il y a beaucoup de langues en Angola).

J’aurais tellement voulu écrire cette chanson. Tellement.

Si vous ne connaissez pas Paulo Flores, sachez qu’il est doux de se noyer dans sa voix, dans sa guitare aussi.

Lizzie Levee

La Ballade des gens qui sont nés quelque part – Georges Brassens

C’est la chanson dans laquelle je m’identifie le plus, celle dont j’aurais pu, ou plutôt voulu, écrire chaque mot, chaque vers, chaque pique. Contre les « gens du cru », les nationalistes, les chauvins. Rien à ajouter.

Ou plutôt si : la partie que j’aime le plus, c’est l’estocade finale:

Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n’aviez tiré du néant ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistence
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

Le mec, il s’adresse à Dieu (rien de moins) en lui disant qu’il n’existe pas!
Quel vertige! Chapeau, l’artiste!

Samir Kasme

Résidents de la République – Alain Bashung

Je ne vous laisserai pas dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde… tout d’abord parce qu’elle déchire les fans de Bashung sur le Net au sujet de son interprétation. Et une bonne chanson est une chanson qui fait réagir, qui interpelle. D’un côté, vous avez ceux qui défendent l’idée d’une chanson politique, de l’autre ceux qui y voient une chanson testament. Des deux côtés, on avance des arguments intéressants, on décortique les phrases à l’infini, on déniche des allusions subtiles pour appuyer sa théorie. Des forums entiers existent juste sur ce sujet, ce qui amuserait certainement Bashung, s’il pouvait les lire aujourd’hui. Voyons les arguments, et choisissez votre camp, camarades!

Une chanson politique? Évidemment, avec le mot République dans le titre, difficile de ne pas être tenté. Qualifiés de simples résidents, en opposition avec un président qui abuse de son pouvoir, nous sommes renvoyés à l’état de pions impuissants. Bashung ne se reconnaît plus dans le monde politique actuel, avec lequel la communication est coupée. Il exprime son désenchantement face à une société dans laquelle la parole du citoyen n’est pas prise en compte. La trahison du Parti socialiste, de la gauche caviar, est dénoncée comme “rose à reflets de bleu” (couleur de l’UMP). Les citoyens de la France d’en bas ont le regard suspendu, tentant d’apercevoir le monde politique perché dans sa tour d’ivoire. Certains vont encore plus loin et voient dans “Chérie, des atomes, fais ce que tu veux” une pique contre Ségolène Royal qui aurait promis de développer le nucléaire si elle était élue.

Ou une chanson testament? Bashung s’adresse à sa bien-aimée, sa fille, ou plus probablement à la vie elle-même, se sachant malade et condamné. Notre condition de mortels fait de nous de simples résidents, des locataires dérisoires, engagés dans une course contre la mort, jusqu’à ce que la terre s’entrouvre sous nos pieds. “Chérie, des atomes, fais ce que tu veux” s’adresserait dans ce cas à sa fille Poppée, qui pourra faire ce qu’elle veut de ce monde qu’il laisse derrière lui. Mais que veut dire ce “Che ba ba ba ba” lancinant? Les pragmatiques entendent “Je sais pas pas pas pas”, qui exprime le doute et le désarroi du citoyen qui ne comprend plus le monde politique, alors que nos poètes entendent “Chez papa papa papa”, Dieu ou ses ancêtres, qu’il rejoindra à sa mort. Alors, vous vous êtes fait une opinion?

La réponse se trouve sans doute du côté des images. Le clip de cette chanson contient un certain nombre d’allusions à la mort, certaines subtiles (il y lit “Le bleu du ciel”, de Georges Bataille), d’autres moins (il part en voyage en avion, on y voit un panneau “dead end”, du sucre est versé comme du sable qui s’écoule dans un sablier). Dernier petit détail étrange dans cette chanson : la faute de conjugaison du verbe courir dans la phrase “je ne courirai plus”. Là-dessus aussi, on s’empoigne sur le net. Simple faute d’écriture ou licence poétique?

Qu’importe… Car quoi qu’il en soit, il m’a fait pleurer, Bashung, comme des centaines d’autres personnes, lors du concert donné à Paléo en 2008 à l’occasion de sa dernière tournée. Cet homme affaibli mais digne nous a fait son chant du cygne. Ceux qui ont le cœur endurci l’ont qualifié de pathétique, je l’ai trouvé émouvant et magnifique, dans sa fragilité et sa volonté de chanter jusqu’au bout. Il aurait peut-être dû mourir sur scène, devant les projecteurs. Et “Résidents de la République” résonnait d’une étrange façon ce soir-là… donc je ne vous laisserai pas dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde, car elle l’a été, à cet instant, en cet endroit, pour moi.

Catherine Armand