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Si tu me paies un verre – Serge Reggiani

S’il faut choisir, j’ai choisi. Si tu me paies un verre, de Serge Reggiani.
C’est un peu une chanson de merde, mais quitte à trahir toutes mes autres chansons préférées, autant le faire pour elle.
Parce que cette chanson, elle te prend à la gorge en te tendant la main, tellement elle est simple et empreinte d’humilité.
Parce que Reggiani, avec sa voix grailleuse et toute son émotion, il te la chante droit dans le cœur.
Cette chanson, elle te donne envie de vieux bistrot et de rouge qui tache, elle te donne envie de vérités dérangeantes, de partage en silence, de larmes retenues et de promesses d’ivrogne.
Parce que Si tu me paies un verre, c’est l’élégance dans la détresse.
Elle prend la vie à rebrousse-poil, elle ne pose pas les mêmes questions que les autres, si t’es marié, si t’as un boulot, si t’as une maison… Elle ne te jauge pas sur la check-list habituelle. Tout ce qui compte c’est qui tu es là maintenant, et comment tu vas. Alors t’as envie de trinquer.
Pourtant, c’est une chanson qui n’a rien pour elle. L’intro ringarde, l’arrangement au piano qui casse pas des briques, le demi-ton entre chaque couplet… Le demi-ton! Le demi-ton, il ne nous le met pas une, pas deux, ni trois, mais quatre fois… fallait oser!
C’est un vieux truc qui date du XVIIe, le demi-ton qui redonne un coup de punch à la musique. Tu reprends le même thème, tout pareil, mais un demi-ton plus haut. C’est Beethoven qui avait eu l’idée le premier. Ça fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, t’en a plein qui l’ont copié depuis. Mais il faut l’assumer. Quatre fois le demi-ton… quatre! Putain, c’est digne d’un chant de supporter de foot ou d’hymne révolutionnaire à la Bella Ciao!
Mais quand avec ça, il te balance la douceur du timbre de sa voix, l’urgence avec laquelle il te la chante, et toute sa vulnérabilité, et bien t’as pas le choix, tu l’écoutes et t’as juste envie de lever ton verre, parce que putain, elle est belle cette chanson de merde!
B.

Wish you were here – Pink Floyd

Il est des morceaux qui vous accompagnent tout au long de votre vie, qui transbahutent tout un chargement d’émotions. Et qui vous prennent à chaque fois par surprise, vous incitent à monter le son de la radio ou à suspendre la discussion que vous aviez en cours.

Des morceaux qu’on écoute un peu comme on prie.

Aude Nessi

Ma vie pour rien – Nino Ferrer

De la bonne musique, il y en a partout, et pour tous les goûts. C’est malheureux, mais il faut s’y faire. Mais quand tu veux écouter du blues chanté comme il se doit en français, il n’y a plus person au téléphon, Gaston.

Tu peux me dire que j’ai vu Mirza, ou que j’écris cette bafouille en étant noir, mais non. Tend l’oreille. Le blues, ça doit suer et chialer, mais ça doit être élégant. Ça doit sortir des tripes et te parler au cœur. Il ne faut pas faire semblant, oh eh hein bon.

Il faut faire un tour dans le sud, pour l’entendre, Alexandre. L’autre type qui nous faisait bien rire, il enterre sa maman, sort de sa maison, et je ne sais même pas s’il y a une fontaine tout près de Montcuq. Et il se tire une balle dans la tête.

Il voulait être noir, le voilà mort.

Il nous faisait marrer, mais il était à fleur de peau, Nino. Et le blues, il l’avait compris, lui.

Ma vie pour rien…

Tends l’oreille, bon sang.

Mark Levental

Altitude – La Rue Kétanou

D’abord une entrée de guitare, comme pour accompagner une balade. Puis, de longues notes d’accordéon qui font l’esprit léger, qui vagabonde, comme un oiseau qui s’envole. Ça monte, lentement, puissamment, une longue intro musicale, avec de grands coups d’ailes.

Et, cette voix, qui me soulève le thorax… à chaque fois que je l’entends, je dois poser la main sur ma gorge. Elle parle d’évasion, des prisons qu’on s’est forgées soi-même, de s’en extraire en s’élevant, sans réfléchir, s’envoler, se laisser porter par la vie, le soleil et, peut-être, l’amour… que les autres le comprennent ou non!

Cette chanson me parle, me transporte, m’émeut (surtout aujourd’hui en voyage à l’autre bout du monde) par sa musicalité entraînante, ses paroles, sa voix… Quand je l’écoute, je m’envole… en altitude. Et, tout devient possible!

Virginie Casutt

Valse pour Manon – Pierrot le Fou

Parce qu’elle raconte une rencontre entre un homme enfant et une petite fille,

Parce qu’elle raconte des petits moments cadeau de la vie que l’on oublie,

Parce qu’elle parle du bonheur,

Parce qu’elle est immortelle,

Parce qu’elle est si douce qu’on veut s’y abandonner,

Parce qu’elle est unique,

Parce qu’elle est simple,

Parce qu’elle donne envie de danser, de tourner, de s’envoler…

Parce qu’elle est une histoire vraie,

Parce qu’elle me fait toujours le même effet,

Parce qu’elle parle d’amour,

Et enfin,

Parce qu’elle raconte la plus belle chose de ma vie, ma fille !

(Un immense merci au groupe Pierrot le Fou pour ce si bel hommage à Manon qui dans quelques mois fêtera ses dix-huit ans !)

Corinne Reynard

La vie ne vaut rien – Alain Souchon

Je ne sais pas quand, la première fois, j’ai entendu ce bijou, cette petite perle de chanson tombée du ciel dans les cordes d’un Souchon magicien.

Je n’ai pas d’histoire d’amour qui a fait son nid sur cette chanson, ni perdu de plumes de l’enfance, ni découvert un secret de la vie, rien vécu de particulier au rythme de ses mots.

Cette chanson n’a pas besoin d’anecdote pour être simplement la plus belle chanson du monde, elle se suffit à elle-même.

Moi, quand j’écoute cette chanson, j’aimerais rire et pleurer en même temps, boire un chocolat chaud emmêlée dans des bras tendres, et chuchoter avec Souchon que rien, rien, rien… rien ne vaut la vie.

Je ne sais pas quand, la première fois, j’ai entendu cette merveille, je sais que la prochaine fois n’est jamais bien loin…

Moi je dis, rien, rien, rien… rien ne vaut cette chanson.

Loraine Félix

Je suis venu vous voir – Mano Solo

Alors là, pardon, mais il n’y a pas grand-chose à dire. « Je suis venu vous voir, avant de partir, y’avait personne, ça vaut mieux comme ça… » Si vous ne comprenez pas, dès ces premiers mots, dès que vous entendez cette voix déchirée, ces guitares qui vous tordent les tripes, si vous ne comprenez pas que cette chanson est la plus bouleversante, la plus forte, la plus sincère jamais sortie en langue française, nous ne sommes pas faits pour nous entendre. Je ne peux rien pour vous et nous pouvons en rester là.

La plus insupportable, aussi. Parce que Mano Solo est venu nous dire adieu. Parce qu’il va mourir, il le sait et nous avec lui, au moins depuis ce jour où, sur scène, il lâchait : « J’ai deux nouvelles, une bonne et une mauvaise. La bonne, c’est que je ne suis plus séropositif. La mauvaise, c’est que j’ai le sida. » En ce milieu des années 1990, l’acronyme valait une condamnation. Sans appel. À peine du sursis, quelques années. Insupportable.

En 1997, Je suis venu vous voir sortait sur l’album Je sais pas trop. Sans lui faire offense, précisons qu’il vaut mieux encore l’écouter sur Internationale Sha la la, le live au Tourtour de 1999. Dont il faudra bien un jour dire que c’est le plus fabuleux album live jamais sorti en France. Au moins. Et même plus que ça, bien plus.

La chanson en constitue le sommet, le dernier, vers la fin du concert. Il faudrait être une enclume pour ne pas avoir les larmes aux yeux au moment de cet « adieu mes amis… priez pour moi ». Des larmes de chagrin, mais aussi de rage. Avec ce sel qui vous gifle et vous brûle, qui vous pousse à hurler au visage de cette chienne de vie.

Telle est la grandeur de Mano Solo. Il chante la mort, la sienne, et donne envie de bouffer la vie. Comme ici, quand il se voit déjà « recalé à l’examen du Grand Sage ». Pas grave, il en profitera pour lui dire ce qu’il pense de l’existence :

Et s’il ne voit pas que je suis un ange
Alors, qu’il change de boulot !
Et s’il veut, moi, je prends sa place.

Mano Solo régnant sur le paradis, ça aurait de la gueule, non ?

Il y aura des filles et de la ganja
Nous battrons des ailes et nous volerons bourrés
Nous mangerons des pommes envenimées
Et nous cracherons le mal comme un pépin
Nous serons sincères comme jamais, et nous serons beaux pour ça ! 

Mais le paradis n’a qu’un temps. La chute est violente, le retour à la réalité sans appel : « Je suis venu vous voir, avant de partir… »

Depuis ce foutu 10 janvier 2010, écouter cette chanson est à la fois sublime et douloureux. Depuis que la salope a fini par rattraper l’ange noir. « Je serai premier, avant la mort ! Et bras d’honneur à l’arrivée », chantait-il dans un autre chef-d’œuvre (À pas de géant). On voulait y croire. Elle a gagné. Saloperie.

Il ne reste qu’à remettre le disque, écouter cette voix vibrante crier que Mano le grand, l’unique, n’est pas parti bien loin :

Mes amis, ne pleurez pas
Le combat continue sans moi
Tant que quelqu’un écoutera ma voix
Je serai vivant dans votre monde à la con.

Jusqu’au bout, je veux être ce « quelqu’un ».

Éric Bulliard