À quatre heures du matin derrière un téléphone
Novembre. Un oiseau qui se découpe…non, pas dans le ciel…un décor…une scène. Un Zénith. Dijon.
Les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie
Et se font boire le sang de leurs visions perdues
Et dans leurs yeux-mescal masquant leur nostalgie
Ils voient se dérouler la fin d´une inconnue
Une salle plongée dans la pénombre. Des souffles qui se retiennent. Un silence et puis…un son. Plusieurs. Des lumières…éblouissantes. Des sons, toujours. Plus que ça, de la musique. Des musiciens. Et enfin, celui que tout le monde attend…lui…monsieur…Thiéfaine. Des cris de joie du public…et puis cette voix, puissante, incomparable…irremplaçable. Des frissons.
Suivis d’un vieil écho jouant du rock ‘n’ roll
Ce n’est pourtant pas la première fois. Mais à chaque fois c’est comme si c’était la première…et la dernière…parce que ça l’est, parce que chaque fois est unique, chaque concert, chaque minute, chaque seconde… Je plains ceux qui essaient de l’empêcher…à tenter d’immortaliser l’éphémère, de rechercher le passé, on en rate l’essentiel : le présent.
Mais lui ne le rate pas non, il s’en saisit et nous le renvoie, comme une boule d’énergie…c’est qu’il en a de l’énergie le monsieur ! Trois heures de concert, trois rappels, et sa voix qui ne faiblit pas le moins du monde…au contraire, c’est plutôt nous qui n’en pouvons plus, à lui donner notre énergie, à chanter des Lorelei à tue-tête, comme des dingues…et des paumés.
Crachant l’amour-folie de leurs nuits-métropoles.
Ah on ne l’attend plus celle-là…et quand elle arrive…cette mélodie qui prend aux tripes… Ça me rappelle la première fois que je l’ai entendue, le premier morceau de Thiéfaine que j’ai écouté c’était celui-ci…première piste d’un fameux vinyle…
C’était un jour, en rentrant chez moi, je tombe sur un carton rempli de vinyles…les vieux disques de mes parents qui croupissaient à la cave. Ils voulaient s’en débarrasser…quelle blague ! Alors au lieu de ça on a racheté un tourne-disques et j’ai enfin pu écouter mes premiers 33 tours…
Ce sont des loups frileux au bras d’une autre mort
Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal
Ils ont cru s’enivrer des chants de Maldoror
Et maintenant, ils s’écroulent dans leur ombre animale
Je fouille dans le carton…qu’est-ce qu’on a… Téléphone, The Beatles, Le Beau Lac de Bâle, un triple de Woodstock…ah il est bien celui-là…Renaud, Eagles…et puis ce double vinyle de Hubert-Félix Thiéfaine…« En concert »…dans cette pochette façon « clap ». Mes parents m’avaient déjà parlé de cet artiste, alors je me dis pourquoi pas, c’est l’occasion. Je pose l’aiguille et…
Quelques notes énigmatiques. Le bruit de la foule. Les craquements de l’aiguille sur le sillon. La batterie qui arrive doucement. Les applaudissements du public. La batterie qui se fait plus présente. Quelques notes de guitare. Timides. Puis cette mélodie qui fait sa place. Et enfin cette voix, grave, posée, envoûtante…je crois que j’ai un faible pour les voix graves.
Les dingues et les paumés jouent avec leurs manies
Dans leurs chambres blindées, leurs fleurs sont carnivores
Et quand leurs monstres crient trop près de la sortie
Ils accouchent des scorpions et pleurent des mandragores
Le sens des paroles…bonne question. Mais au fond peu importe. Elles m’entraînent, elles me parlent, au-delà du sens…elles m’envoûtent, soutenues par cette mélodie lancinante, cette atmosphère si sombre et si prenante…c’est ça qui compte…
La solitude n’est plus une maladie honteuse
Je ne sais pas pourquoi cette phrase résonne plus que les autres…peut-être parce que j’aime la solitude quand j’la choisi sinon j’aime pas…mais je m’égare, dans la lune…celle-ci aussi on pourrait en parler, comme tant d’autres, ces chansons que je rêverais d’avoir écrites, mes plus belles chansons du monde, il y en a tellement…
Et cet ange qui me gueule : viens chez moi, mon salaud
M’invite à faire danser l’aiguille de mon radar
Le morceau s’arrête, et puis viennent les suivants. L’Ascenseur de 22h43. La môme kaléidoscope. Lorelei Sebasto Cha. Alligator 427. La fille du coupeur de joints. J’en passe. Tous aussi prenants les uns que les autres. L’aiguille quitte le sillon. La musique s’arrête. Je la replace au début, et c’est parti pour une écoute en boucle, encore et encore. Commence alors mon attrait pour cet artiste déjanté, ses textes à dormir debout, sa musique…
Est-ce que je fais partie des dingues ou des paumés ? Sans doute un peu des deux.
Nadja Crisafulli
Décembre 1985. Je redouble ma seconde. À force d’entendre mon voisin de classe un peu baba cool me parler d’Hubert-Félix Thiéfaine, à force de lire des trucs sur lui dans Rock & Folk , c’est un peu comme s’il m’était familier.
Alors, poussé par la curiosité (un trait de caractère qui m’a été transmis par un couple d’instits que j’ai eu en primaire), un samedi après-midi je vais aux Nouvelles Galleries, place Clémenceau, m’acheter le fameux live à la pochette façon « clap » (À l’époque le CD était une attraction un peu insolite, l' »expérience laser », comme on disait, n’étant réservée qu’à quelques privilégiés dont je ferais partie moi aussi, deux ans et demi plus tard, une fois que j’aurais décroché mon bac ).
Moi aussi je pose le 33 tours sur la platine, un peu intimidé, un peu impatient. Et le choc ressenti en découvrant « Les dingues et les paumés », tu l’as magnifiquement décrit…
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’un de mes enfants s’appelle Félix…
C’est fou comme je me reconnais dans ce billet. J’ai l’impression que c’est moi qui parle !!! Ce concert de toute façon c’est une tuerie. Et les premières notes qui durent plusieurs minutes sont pour moi un symbole absolu d’un début de concert magique. J’adore quand les instruments arrivent les uns après les autres. Bravo c’est très bien écrit !
J’adore la fille du coupeur de joint pour la musique et le côté gouailleur un peu collégiens. Mais là c’est la mélodie la plus prenante que j’ai jamais entendu. Pas la chance comme vous d’avoir assisté à un concert…
Merci pour ton article super bien écrit, tu as tout dit.
Bonjour. Chaque version des dingues et des paumés est un délice. Intro hallucinante lors de la tournée de soleil cherche futur (le fameux clap que vous citez) avec cette batterie et ces 2 notes de basse, version reggae au zénith dans les années 90, guitares saturées au début des années 2000, lumières qui dansent dans le brouillard au début des années 2010. Phrases envoûtantes, percussions d’images (accrocher un regard à leur khôl, les joueurs courant décapités, loups frileux, les yeux mescal, don Quichotte sacrifié… tous ces mots évoquent des images précises dans mon imaginaire). Même ma fille de 8 ans est capable de m’en chanter des parties. C’est ce Thiéfaine fabricant d’images que je préfère. On le retrouve notamment dans les confessions d’un never been, les fastes de la solitude, annihilation, pour parler des plus récentes. Mais les images étaient déjà là dans le chant du fou.
C’est vraiment une chanson super. Les paroles sont tristes mais elles vont bien avec le contexte et j’adore. Quand je suis triste, j’écoute ça et j’ai l’impression de ne pas être seul. C’est vraiment quelque chose qui me donne des frissons dès que je l’entends…. Merci Thiefaine pour cette chanson qui m’aide à me sentir mieux et bravo!
Comment ne pas s’incliner devant tant d’intelligence, de volonté (il s’est fait tout seul et n’a jamais rien lâché),de culture,de propos sibyllins qui cible si bien notre éternité et notre quotidien, nous emmenant dans un flot de réflexions, d’émotions, de culture(s), de vibrations, de souvenirs, d’envie d’avancer. De « exil sur planète fantôme » à « Combien de jours encore ? », ils sonde si profondément nos âmes ,la nature et l’histoire. Car ici-bas, » si ça continue, il faudra que ça cesse »…
Bah un chanteur qui a son public qui s’identifie à ses chansons et tout le monde trouve ce qu’il recherche dans ses paroles abscones