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Si tu me paies un verre – Serge Reggiani

S’il faut choisir, j’ai choisi. Si tu me paies un verre, de Serge Reggiani.
C’est un peu une chanson de merde, mais quitte à trahir toutes mes autres chansons préférées, autant le faire pour elle.
Parce que cette chanson, elle te prend à la gorge en te tendant la main, tellement elle est simple et empreinte d’humilité.
Parce que Reggiani, avec sa voix grailleuse et toute son émotion, il te la chante droit dans le cœur.
Cette chanson, elle te donne envie de vieux bistrot et de rouge qui tache, elle te donne envie de vérités dérangeantes, de partage en silence, de larmes retenues et de promesses d’ivrogne.
Parce que Si tu me paies un verre, c’est l’élégance dans la détresse.
Elle prend la vie à rebrousse-poil, elle ne pose pas les mêmes questions que les autres, si t’es marié, si t’as un boulot, si t’as une maison… Elle ne te jauge pas sur la check-list habituelle. Tout ce qui compte c’est qui tu es là maintenant, et comment tu vas. Alors t’as envie de trinquer.
Pourtant, c’est une chanson qui n’a rien pour elle. L’intro ringarde, l’arrangement au piano qui casse pas des briques, le demi-ton entre chaque couplet… Le demi-ton! Le demi-ton, il ne nous le met pas une, pas deux, ni trois, mais quatre fois… fallait oser!
C’est un vieux truc qui date du XVIIe, le demi-ton qui redonne un coup de punch à la musique. Tu reprends le même thème, tout pareil, mais un demi-ton plus haut. C’est Beethoven qui avait eu l’idée le premier. Ça fonctionne plutôt bien. D’ailleurs, t’en a plein qui l’ont copié depuis. Mais il faut l’assumer. Quatre fois le demi-ton… quatre! Putain, c’est digne d’un chant de supporter de foot ou d’hymne révolutionnaire à la Bella Ciao!
Mais quand avec ça, il te balance la douceur du timbre de sa voix, l’urgence avec laquelle il te la chante, et toute sa vulnérabilité, et bien t’as pas le choix, tu l’écoutes et t’as juste envie de lever ton verre, parce que putain, elle est belle cette chanson de merde!
B.

Loaded Man – Michael Head & The Strands

Cher Michel Tête,

Tout d’abord, permets-moi de te tutoyer, parce que j’ai comme l’impression que nous avons certains points en commun, mais il faut quand même que je te dise deux, trois trucs:

1. il est inconcevable de balancer un morceau de plus de sept minutes basé sur deux accords que le premier néophyte arriverait à plaquer sur son instrument. Non mais, as-tu pensé un seul instant à tous ces gratteux qui s’évertuent à aligner des montagnes russes d’accords (tierce, quinte, majeurs, mineurs, septièmes et j’en passe et des meilleurs), des envolées de solo stratosphériques dans le but de nous faire toucher les étoiles ?

2. il est fortement déconseiller de chanter comme un enfant qu’on aurait abandonné dans une rue déserte et sous la pluie avec pour seul compagnon d’infortune un ours en peluche à qui l’on aurait crevé un œil. Cela pourrait rendre les vrais chanteurs tout contents de se savoir supérieurs.

3. Je te rappelle qu’un groupe t’accompagne, donc pourquoi ne pas l’avoir mis à contribution ? Merde, quoi, as-tu imaginé un seul instant toute la détresse de ton batteur, de ton bassiste, de ton pianiste, du vrai guitariste d’avoir été mis à l’écart ? C’est un travail d’équipe et là t’as pas joué franc jeu (je n’ose même pas parler de l’état de leur ego respectif !). Ok, un espèce de son voilé t’accompagne sur les trente dernières secondes du morceau, mais quand même.

4. J’veux bien admettre qu’à l’époque de la sortie de cette chanson Monsieur Zuckerberg avait encore du lait derrière les oreilles, mais à ce jour, et n’importe quel manager digne de ce nom te le dira, ne pas être en ligne relève de la démence. Seulement voilà, tu as décidé de ne pas faire comme tout le monde (bon, y’a bien une séance filmée par un type atteint de parkinson avec un smartphone de deux pixels maximum, mais elle ne ne rend absolument pas justice à ta coiffe).

En résumé, faire une chanson aussi belle et humaine devrait être interdit.

Elle vous prend la main et ne vous lâche plus. Elle devient la compagne des pires moments, parce qu’elle peut vous faire tout oublier… et des meilleurs, parce qu’elle permet d’en savourer chaque seconde.

Mais soit rassuré, cher Michel Tête, les gratteux talentueux, les chanteurs à coffre, les groupe à ego surdimensionné et les managers au nez creux n’ont certainement jamais dû entendre parler de toi, sinon, ça se saurait.

Avec mes sincères salutations.

Antony Weber

Eternal (Dreams Pt. II) – Solitude Aeturnus

Une intro lente au son lointain, comme si les musiciens s’étaient enfermés dans une cannette de Bud, on se demande bien pourquoi. C’est pour rappeler aux fans, peu nombreux, la fin d’un morceau figurant sur l’album précédent. Il s’agit là d’une trilogie doom sur les malheurs que peuvent provoquer l’immortalité, sans référence à un quelconque comédien strabique. Certaines personnes ont le temps de réfléchir à des thèmes vraiment importants. Mais nous n’allons pas nous pencher sur les textes. C’est pas grave. On parle de Heavy Metal, tout de même.

Tout à coup, ça démarre. Riff pesant, production pas géniale, mais ce n’est pas l’essentiel. Les harmonies arabisantes se lovent autour de l’auditeur et le compriment, comme un genre de boa. La voix de Robert Lowe, rauque, a quelque chose d’enfantin. Un changement de clé, un jeu à deux voix, c’est trop lourd pour être vraiment beau. Mais pourquoi donc ai-je choisi ce morceau ? Hein ?

Un break, on s’attend à inspirer, mais non. Retour sur ce couplet lourd, lourd, lourd… Pourtant mélodique. On se le coltine à nouveau. Et soudain, la guitare se fait plus claire, sur un enchaînement d’accords simples, et Robert Lowe chante Eternal de sa voix cristalline, dans une mélodie simple qui me fait me sentir m’envoler avec ses notes.

C’est ça qui me fait vibrer. Quelques secondes en suspension avec cette voix si triste et claire.

Puis, le solo en apparence le plus laid de l’histoire de ce genre musical. Mais après pas mal d’écoutes, je le trouve incroyablement bien trouvé, ce solo. Plein de détresse, tordu, oppressant.

Retour au couplet, et Robert s’envole à nouveau dans ce refrain extraordinaire.

Et là survient la perle de ce long monolithe musical : un thème simple autour duquel la deuxième guitare plante des atmosphères lourdes, et Robert Lowe, génial, qui de sa voix naïve et désenchantée s’interroge sur la vacuité de l’existence, dans une envolée que Folon n’aurait pas reniée au moment de mourir.

Mark Levental