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L’arbre noir – Nino Ferrer

Difficile de situer Nino Ferrer dans le paysage musical hexagonal pour qui n’a pas baigné dans la chanson française depuis son plus jeune âge.

Déjà, on le confond. Ferrer l’Ardéchois, qui donnait dans la variété provinciale ? Ou bien l’autre Ferré, avec les longs cheveux gris, celui qui faisait du slam quarante ans avant Grand Corps Malade ?

C’est lequel Nino ? L’autre, c’est Jean. Ou alors c’est Léo. Voilà, il y a Jean et Léo. Et Nino alors, c’est encore un autre Ferrer ? Nino, ça pourrait être le mec qui chantait Mirza. Et Les cornichons et Le téléfon, toutes ces chansons avec des rimes à la con. Et puis Le Sud, bien sûr. Voilà, on situe Nino Ferrer maintenant. On peut stocker l’information quelque part dans sa tête, ça peut toujours être utile dans un blind test. Sauf qu’au au prochain blind test, on entend Une belle histoire, Pour un flirt avec toi ou Les élucubrations, et à chaque fois, on hurle Nino Ferrer ! On se paie la honte, on perd des points et on se demande de nouveau avec qui on confond Nino. Ça pourrait durer comme ça plus d’un million d’années.

Jusqu’à ce qu’on entende L’arbre noir.

Et là, il ne faut que trois secondes. Une seule mesure suffit pour prendre la mesure du gouffre qui sépare ces quelques notes des véritables variétés verdâtres si longtemps portées par les ondes francophones. L’attaque est franche mais subtile, pas dans le genre Whole Lotta Love ou cinquième de Beethoven, mais avec une variation sur un accord mineur par une guitare acoustique. Puis une six-cordes électrique se manifeste en douceur, juste pour signaler qu’elle est là, tandis que la voix se glisse dans sa mélodie. Et c’est le choc, car Nino chante en français ! Du rock. Pas de la variété, ni de la chanson française ou de la French pop, non, du rock. L’hypothèse saugrenue, à laquelle seuls s’accrochaient encore quelques fans de Johnny de mauvaise foi, se voit ainsi validée: le rock peut se chanter en français. Même que ça fait bizarre de comprendre les paroles. «Rien n’a changé, tout est pareil, tout est pourtant si différent», des mots simples et percutants défilent en une valse sans espoir, jusqu’à ce que la voix se taise et laisse place à l’écho du magistral solo de Micky Finn. Le son évoque les meilleures heures de David Gilmour, Stephen Stills ou Rory Gallagher, autre guitariste irlandais de génie dont la carrière eut été toute autre si ses origines l’avaient incité à davantage de tempérance. Les débuts de Micky avaient en effet été prometteurs, avec l’enregistrement, en compagnie d’un jeune musicien du nom de Jimmy Page, de The sporting life, un morceau de rhythm’n’blues qui n’aurait en rien dépareillé la programmation du Marquee en 1965 à Londres. Les lendemains ont déchanté, jusqu’à sa providentielle rencontre avec Nino Ferrer avec qui il a participé tout au long des années 70 à la création d’une œuvre monumentale. Car après la première écoute de L’arbre noir, on ne demande qu’à en découvrir davantage, le plus vite possible, démarche pour une fois simplifiée par l’existence d’une intégrale Nino Ferrer disponible à vil prix.

Et là, ce qu’on entend, on ne le comprend pas. C’est irréparable, La rua Madureira, La Maison près de la fontaine, autant de merveilles de la chanson française inexplicablement absentes des émissions nostalgiques. Et les albums ! Métronomie, entre rock psychédélique et progressif, Nino and Radiah et son folk sudiste, le très rock Blanat où figure L’arbre noir, Véritables variétés verdâtres, avec son incroyable Ouessant, un tube disco-prog instrumental sans aucun équivalent dans la musique anglo-saxonne. Était-ce pour ne pas faire d’ombre à une production hexagonale de piètre qualité que ces chefs d’œuvre ont été ignorés? On en viendrait à croire aux théories du complot.

Enregistré en 76, mixé en 78, paru en 79, L’arbre noir avait été composé vingt ans plus tôt. A travers son écorce suinte une sève de tristesse qui au fil des années n’a jamais quitté Nino Ferrer, une tristesse qu’il a vainement essayé de tromper en faisant le clown dans les années 60 et qu’il n’a pu sublimer dans les années 70 qu’à travers le rock, inscrivant dans l’histoire musicale une empreinte qui trouve sa place juste à mi-chemin entre Jacques Brel et Pink Floyd.

C’est assez facile à situer, non ?

Stéphane Genilloud

Ella, elle l’a – France Gall

Les souvenirs sont parfois liés à des tubes qui nous martèlent la tête durant une saison, et paf! ils disparaissent et c’est tant mieux mais du coup des bouts de mémoires restent ancrés dans quelques notes d’un été lointain… dans le Sud, l’Italie, la France, Nice, Cannes…

La route sinueuse qui longe la mer, dans le rétroviseur je vois leurs yeux qui rigolent, ils chantent pas, ils huuurlent. Ella elle l’aa OU-OU-Ou-OOOuuuuuuuu, les cordes vocales vont lâcher et leurs rires se balancent d’un côté à l’autre de la banquette arrière au rythme de la musique.

On a pas vingt ans, putain, on est tellement libres, on a tellement peur de rien. Antibes, la mer, la plage, les sorties, on mange, on boit, on danse, on crie…

Plus de vingt-cinq ans ont passé, un de ces rires manque à l’appel, la vie parfois nous enlève ceux qu’on était sûr de garder pour toujours.

Alors cette chanson, je sais pas trop si elle m’emmène dans la tristesse ou dans la joie.

Elle marque son absence tout en soufflant un peu de ce qu’il m’a laissé de lui et, au-delà des paroles, c’est son rire à lui que j’entends.

Katarina Boselli

 

Ma vie pour rien – Nino Ferrer

De la bonne musique, il y en a partout, et pour tous les goûts. C’est malheureux, mais il faut s’y faire. Mais quand tu veux écouter du blues chanté comme il se doit en français, il n’y a plus person au téléphon, Gaston.

Tu peux me dire que j’ai vu Mirza, ou que j’écris cette bafouille en étant noir, mais non. Tend l’oreille. Le blues, ça doit suer et chialer, mais ça doit être élégant. Ça doit sortir des tripes et te parler au cœur. Il ne faut pas faire semblant, oh eh hein bon.

Il faut faire un tour dans le sud, pour l’entendre, Alexandre. L’autre type qui nous faisait bien rire, il enterre sa maman, sort de sa maison, et je ne sais même pas s’il y a une fontaine tout près de Montcuq. Et il se tire une balle dans la tête.

Il voulait être noir, le voilà mort.

Il nous faisait marrer, mais il était à fleur de peau, Nino. Et le blues, il l’avait compris, lui.

Ma vie pour rien…

Tends l’oreille, bon sang.

Mark Levental

Syracuse – Henri Salvador

Ok, ok… c’est quoi déjà le sujet? Ah, yes : « Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde »… ha ! ha ! ha ! fastoche… en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’allonge, rubis sur l’ongle, les deux titres de « la plus belle chanson du monde » griffonnés sur mon smartphone se prélassant sur un coin de nappe de bistrot (c’est comme ça que font les Prévert, Leprest et compagnie quand ils accouchent de textes bien sentis comme celui-ci). Petit check online sur la toile du projet pour voir ce que font les autres… hop… ah ben crotte alors… je me suis fait chouraver Le Sud et Les Passantes

Bon ben… euh ok… je commande un Côtes-du-rhône (je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas le plus beau vin du monde) et c’est reparti pour un tour de tête… Je vais pas aller farfouiller dans ma Grande Discothèque pour cueillir la belle, je veux que ça vienne tout seul, que ça coule de source… arrivé à demi-bouteille, après m’être tâté longuement, j’hésite entre Le Zizi et Je t’aime… moi non plus – quoi? – le tout sans résultat véritable – je commence à déchanter sérieusement … ça fait quand même quelques mois que je traîne ce poids (une belle chanson de Kanche d’ailleurs tiens, un peu sombre peut-être)… totalement paumé, la caboche en surchauffe… c’est une putain de colle quand même… genre « tu préfères ton papa ou ta maman? »…

Tiens ça me donne une idée ça… et si je prenais La mémoire et la mère – choix intello certes – ça fait trente ans que je comprends pas le fin fond des vers… ce qui est franchement formidable (ça s’use moins vite qu’un tube de Stromae par exemple)… ou alors pour rester en famille Ma Grand-Mère, de Mickey 3D… – choix original et indé (ils sont trois à se partager Thiéfaine quand même) – bon mais on va dire que je veux faire jeune… basta ! Et si je faisais dans le terroir ? Un truc swiss made ? Comparaison n’est pas raison, du père Sarcloret, ou L’Assassin, de Zedrus (tu me dois une bouffe au Vieux-Martin, Damien)… ah y’aurait aussi Je le garderai pour moi, de Romanens – c’est pas Tharin qui a commis le texte en fait ? (vous me devez des bières les gars)… ou alors Matin doux, du Bel Hubert ?

Quoiqu’ils sont peut-être un peu jeunes pour mériter ? Ce serait pas mieux que l’auteur soit mort… ou presque ? J’ai comme un doute… Un truc de Gilles, alors… ou d’Aznavour (ok lui il n’a que le compte en banque de suisse)… mmmh… bon mais là je vois aussi que y’a des petits malins qui font dans l’anglo-saxon… J’avais pas pensé à ça, moi. Nirvana, Cure, Louis Armstrong… mais si j’étends le domaine de la lutte à cette catégorie je risque de péter un câble… si je dois commencer à choisir entre Neil Young, Townes van Zandt et Hank Williams je ne vais plus m’en sortir du tout du tout… stop… Et puis surtout, en tant que programmateur d’un festival francophone, je vais me prendre une méchante soupe de reproches si je fanfaronne haut et fort que la plus belle chanson du monde finalement c’est quand même Black Bird, des Beatles, ou Wayfaring Stranger, par Johnny Cash, ou encore In The Pine ou même House of the Rising Sun… je dis ça au hasard… bon donc on va dire que « chanson » c’est francophone… (D’ailleurs musicalement c’est quoi la chanson au fond?).

Ah mais tiens je pourrais faire un coup product placement en choisissant une toune de mes artistes canadiens dont j’inonde le marché suisse… pas con ça… Non? Ah bon… J’essaye une autre piste alors. Et si « la plus belle chanson du monde » était forcément toujours liée à truc fortfortfort dans ta vie ? Ta naissance, ta mère, la première fille que t’as serrée dans tes bras (pis la deuxième, pis la troisième, etc.), tes gamins et puis ce que tu voudras écouter comme musique à ton enterrement. Il y aurait possiblement donc les disques que la sage-femme passait sur son Topaze pendant que ta maternelle était dans les douleurs : Joe Dassin (Le chemin de papa?), Dalida (18 ans?) ou un tube de Richard Antony (J’entends siffler le train?).

Pour le coup de la première fille et du baiser qui va avec, je me souviens que du baiser pas très précoce et puis le moment de la première vraie petite mort venue enfin y’avait pas l’électricité pour brancher le radiocassette, pour la naissance des gamins on s’est passé de musique, ce qui fait que nous voilà déjà à mon enterrement et là ce sera les œuvres complètes pour piano d’Erik Satie et c’est tout… et ça c’est pas du pipeau, c’est sûr et certain. Me voilà donc dans de beaux draps.

Bon, mais entre la première fille et la dernière bière, il y a quand même matière à fouiner au rayon des vaines quoi que laborieuses agitations de nos vies d’adultes mises en chanson par des contemporains reconnus: Miossec (L’amour et l’air), Bashung (Mes Bras) ou alors du côté des contemporains pas du tout très reconnus comme Hélin, Lafore, Kanche, Belin (et j’en passe)… il y aurait par exemple bien en lice la magnifique Chaos de Moran (pour les détails biographiques c’est «Si tu me payes un verre»). Ou alors l’enfance quand même? Vaste pays dont je ne vois plus les rives (ok c’est pas de moi ça) : Le générique de «L’Île aux enfants» et la chanson de Nounours dans «Bonne nuit les petits merdeux». Ou alors je fais mon gros malin à texte en piochant en vrac dans les classiques des grands allongés : Brassens (rien à jeter ou si peu), Brel (une sélection laborieuses et casse-gueule), Ferré… pardon Léo pour les connaisseurs (sur le tard et symphonique)… et puis Reggiani (bien sûr)… et tant que j’y suis je rajoute Renaud (attention on descend à la Belle de Mai)… aïe aïe aïe… Sœur Sourire priez pour moi, c’était quoi la question déjà ? Avec le temps tout ça s’en va vachement. Re-petit tour sur le blog où je m’aperçois avec horreur qu’entre temps on ma piqué La mémoire et la mère (ah bon c’est la mer,ok… désolé Maman) et donc.. ah ben merde… v’là Perruchoud et Bollinger qui commencent à ramasser les copies !!! Bon j’me lance… le truc de génie crac : je prends un ticket last minute pour Syracuse et ses grands oiseaux qui m’amusent à glisser l’aile sous le vent… ou alors l’Île de Pâques ? Ou pourquoi pas Kairouan ou les jardins de Babylone ? Quoi que le palais du Grand Lama c’est pas fait pour les chiens non plus… et si je me faisais une grimpette au Fuji-Yama ?… Ou alors le plan peinard au pays du matin calme à se la péter au vin de palme tout en tenant les chandelles aux amants de Vérone en faisait bien semblant de regarder les cormorans taquiner le poisson en écoutant chanter le vent ?
Avant que ma jeunesse s’use  (rire)
Et que mes printemps soient partis (ça c’est fait)
J’aimerais tant voir Syracuse
Pour m’en souvenir à Züri.

Ulrich Schuwey