They say jump and ya say how high
Ya brain-dead
Ya gotta fuckin’ bullet in ya head
Une semaine que nous faisons monter la pression.
Une semaine que nous affichons, diffusons l’info.
Une semaine que nous leur demandons d’être présents aujourd’hui à 11 heures.
Ils sont 25 000 dans la fac.
Une semaine que nous les motivons.
Nous c’est une poignée des 25 000, une centaine tout ou plus.
Nous dans cette centaine, c’est une dizaine de personnes.
Nous avons monté cette action dans le plus grand secret.
Nous allons faire un truc énorme.
Nous avons demandé à tous de nous faire confiance.
This time the bullet cold rocked ya
A yellow ribbon instead of a swastika
Nothin’ proper about ya propaganda
Fools follow rules when the set commands ya
La foule est énorme.
Bien plus que ce que nous attendions.
Le grand hall est plein.
Le parvis aussi.
Just victims of the in-house drive-by
They say jump, you say how high
J’attends un appel pour confirmer le lancement.
Il n’arrive pas.
La foule s’impatiente.
Deux longues minutes s’écoulent.
Toujours rien.
je prends sur moi et lance la chose, parce que c’est le moment. Je le sais.
And mutha fuckas lost their minds
…
Run it!
800 étudiants se ruent sur le rectorat, il est pris dans les 10 minutes qui suivent l’appel.
J’ai neuf, dix ans, même pas encore de l’acné sur le visage, jamais touché à une bière ni une cigarette; que de la fumée passive, et encore, en toussant. Puceau, bien sûr, jusqu’à l’os. Biberonné au bon lait des fermes et aux odeurs de camphre des vestiaires de foot. Et puis déboule un été mon cousin, cheveux longs, cuir noir, de dix ans mon aîné, avec cette cassette en plastique sur laquelle la tronche d’un écorché vif mi-homme mi-monstre prend toute la place dans un face à face halluciné. Arrière-fond crépusculaire de lampadaires et de murs de briques glauques couleur pisse. La bande magnétique défile dans un vieux magnétoscope Grundig, et c’est une lave rauque rêche sexuelle et violente qui me rentre dans la peau et m’éclate les rétines.
L’album s’appelle Killers. Groupe: Iron Maiden. La chanson : Phantom of the Opera. Je ne comprends rien aux paroles mais flaire d’une manière animale l’appel des bêtes qui palpite, des sabots, du sang, du diable et des coups criminels ; combat avec arme blanche et ruelles en impasses avec des voix appelant à l’absolution ou au meurtre, je ne sais pas. Mais je le sens, le transpire, c’est dans le chaudron de cette grosse caisse-là que se jouera mon adolescence helvétique et alpestre, dans le métal et les cordes électriques d’un son venu d’une île qui évoque les caves. C’est là dedans que sonnera le glas de mon enfance, dans la bestialité, la cruauté, la rage, la contestation, le crachat et un glaire politique. Margaret Thatcher est au sol, en sang. Elle a voulu enlever une affiche du groupe, la salope. Yes ! Ils peuvent buter la première ministre ! Yes ! Ils peuvent tuer Dieu par des messages cryptés diaboliques et bloqués autour du 666 et du nombre de la bête, invoquer des puissances obscures.
Ce son dit le rapt, la fuite, les illusions balayées du monde réel, pas seulement dans les feuilles du roman fantastique de Gaston Leroux, mais dans le métal et par le métal. Qu’ils aillent se faire foutre les prêtres, ou plutôt qu’ils abdiquent et se couchent en adoration devant cette chanson hallucinée, fantomatique, triturée de longues plages électriques, tripantes, oscillant entre claques «oh yeah » marquant le start, accélérant le pouls comme une injection, rythmes brisées et tachycardes arrêtés brutalement, variations cassantes, entrecoupées d’un presque lyrisme kitsch de riffs forcés pourtant mélodieux … à moins que ce ne soit de giclées de sang lourd et noirs baignant une rage qui fait éclater ce son qui prend la forme d’une liberté échevelée et dangereuse, car désirable.
Keep your distance, walk away, don’t take his bait Don’t you stray, don’t fade away Watch your step, he’s out to get you, come what may Don’t you stray, from the narrow way
Garde ta distance, éloigne-toi, ne mords pas son appât Ne vagabonde pas, ne t’efface pas Surveille ton pas, il est dehors pour te chercher, advienne que pourra Ne vagabonde pas loin de l’étroit sentier
Cette chanson creuse le péril, le caché et le refoulé, l’attirance pour l’immonde et le mortel. Elle le dit brut de décoffrage, dans la vie, brutalement.
Et le gamin, le gosse mal dégrossi, l’obèse que je suis alors, le niais, l’obéissant qui se faisait chier alors à écouter Brassens et du classique dans la voiture paternelle (Opel Kadett bleue imbibée de l’odeur de Marlboro rouge) découvre un pouvoir immense : celui d’invoquer des fantômes aux cheveux longs et à boucles d’oreilles et exiger que la bande magnétique maléfique et magique de l’album Killers soit mise encore et encore et encore dans le radiocassette lors des interminables trajets filant la nausée entre Lausanne et Payerne, Chêne-Pâquier et Missy (VD), perdant à chaque seconde de la bande un peu de virginité comme pèle la peau après un été brûlant; y gagnant une aspiration folle à l’émancipation et au renouvellement, trouvant là un chemin où avancer, pousser, et sursautant, alors que le silence était revenu pourtant, au son final criant le péril et la gloire du repaire.