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Sorrow – The National

 

Au lieu de trois, nous ne sommes finalement plus que deux à nous rendre à ce festival de musique à Arras au cœur d’une magnifique citadelle de Vauban. L’avant-veille, j’ai merdé encore une fois et fait du grand n’importe quoi. Alors que nous roulons en direction du Nord, je ressens une profonde tristesse. Cette émotion m’habite depuis toujours, mais ce jour-là, elle est exacerbée par les circonstances. La mélancolie me transcende de part en part, alors que je devrais plutôt ressentir de la joie, car je suis enfin libre. J’ai retrouvé une liberté perdue depuis plus de dix ans. Il s’agit d’une situation d’autant plus paradoxale, que je me sens en sécurité entre les murs ocres de la fortification et grâce à la présence rassurante de mon amie à mes côtés. J’ai presque oublié le grand fiasco que j’ai moi-même organisé l’avant-veille et nous attendons le grand feu d’artifice du concert d’Arcade Fire, un verre de bière à la main. Impatience, tension. Nous voguons de scène en scène, un peu au hasard de la musique et de l’inspiration. Soudain, sur la grande scène, à la tombée du jour, un groupe que nous ne connaissions pas, entame les premiers accords d’une chanson qui m’hypnotise. Je fixe la scène, immobile. Mon corps est parcouru de frissons., mes poils se hérissent. La musique m’enveloppe, des larmes coulent. Je laisse cette tristesse que j’ai emmenée avec moi s’exprimer. Matt Berninger de The National chante :

You know I dreamed about you,
For twenty-nine years before I saw you
You know I dreamed about you
I missed you for, for twenty-nine years”

J’identifierai ce morceau plus tard. Slow Show. Il sera lié à tout jamais à l’avant-veille de ce concert, au début, à la fin et évidemment au commencement et au renouveau. De retour d’Arras, j’achète les albums de The National, puis j’oublie, écoutant leur discographie d’une oreille distraite. Je ne suis pas encore prête à affronter mes démons. Il est trop tôt pour me confronter à cette tristesse, et également à ces années passées en tant que prisonnière de ma propre vision erronée de moi-même, que j’ai également répercutée sur d’autres. De cette vérité qui crève les yeux mais que j’ai mis trop longtemps à accepter. L’omniprésence de cette tristesse à tout moment de mon existence et ma cohabitation obligatoire avec elle. Il faut que je passe à autre chose, l’espace de quelques années, le temps de tourner symboliquement une page, ou pas, de faire le vide, de fuir, comme je l’ai souvent fait.

 

Janvier 2013 en faisant mes valises pour le Laos et le Cambodge, j’embarque avec moi un Ipod rempli de musique. C’est sur les routes cabossées du Laos, en regardant les paysages défiler, que je me suis retrouvée plongée dans la profondeur de l’univers de The National, un univers qui m’a fait exploser le mien en plein visage, en plein cœur. Impasse khmère est née de ce voyage. Les émotions comme la tristesse, la peine, l’empathie, la mélancolie se sont alors imposées comme moteur à ma création et comme indissociables avec mon être.

 

Pourquoi donc avoir choisi Sorrow plutôt qu’un autre morceau de The National… Pourquoi Sorrow serait-elle la plus belle chanson du monde et pas une autre ? Je dirai simplement :  parce que. Parce que c’est cette chanson qui correspond le mieux en peu de mots à ce que je ressens depuis des années, à des émotions que j’ai fait taire, à ce qui m’a finalement terrassée, qui m’a ensuite permis de me relever et qui est le moteur de ma création. Un sentiment, une émotion qui m’accompagne depuis toujours. Cette chanson décrit en peu de vers, en peu de temps, seulement 2 ridicules minutes et 43 secondes, une émotion extrêmement complexe avec finesse et justesse.

 

Sorrow, tristesse, peine, mélancolie ou encore dépression. Cette hypersensibilité qui m’accompagne depuis l’enfance pour une raison qu’aujourd’hui encore j’ignore. Cette émotion qui me permet d’écrire et de créer et qui fait partie de mon quotidien.

 

Sorrow found me when I was Young

Sorrow waited, Sorrow won

Cette tristesse qui parfois devient tellement forte qu’elle me submerge, qu’elle m’envahit, qu’elle imprègne chaque parcelle de mon corps et de mon âme, jusqu’à me terrasser. C’est là que la dépression intervient, paralysante. Cette tristesse n’est plus un catalyseur, c’est un handicap, un poids. Tout semble trop lourd, trop dur, impossible à surmonter. Ne subsistent que le néant et cette infinie tristesse, cet immense sentiment d’impuissance que je ne suis pas capable d’expliquer. Il n’y a plus rien d’autre que la tristesse. Comme cette dernière année que j’ai passée en apnée. Une hypersensibilité qui s’est transformée en dépression suite à l’accumulation d’événements négatifs et déstabilisants, de situations trop difficiles à gérer, de déceptions, de pertes et la prise de conscience de l’existence de cette relation paradoxale en moi. Aujourd’hui, j’essaie d’apprivoiser à nouveau cette tristesse, la remettre à sa place et de m’en servir pour poursuivre mon travail de création. Quand elle est maitrisée, c’est une très bonne alliée. C’est elle qui m’inspire quand j’écris.

 

Sorrow, they put me on the pills

It’s It’s in my honey, it’s in my milk

 

Une fois submergée par les vagues de la dépression, il m’a été impossible de m’en sortir seule. Des béquilles chimiques ont été indispensables pour prendre le dessus sur la maladie et du recul, pour pouvoir, à nouveau, cohabiter en paix avec mes émotions. Ce n’était pas mon choix de les prendre. J’ai dû cependant accepter que grâce aux médicaments, j’étais à nouveau capable d’accepter la tristesse comme un compagnon de route. Un genre de colocataire, d’amant, d’ami un peu spécial. Et finalement, d’entrer avec elle dans un rapport similaire à celui d’une relation de couple, où l’amour ou la passion cèdent parfois place à la colère et vice-versa, grâce à laquelle je me construis et j’apprends. Dans le fond, la tristesse a toujours été là. Comme si je flottais constamment sur une mer agitée, il y a des hauts et des bas. Souvent, cette hypersensibilité, cette perméabilité aux émotions, me rend vulnérable et m’isole. Je suis ingérable, je me mets dans des situations dangereuses et je détruis tout. Comme l’avant-veille du concert où j’ai découvert The National, alors que je souhaite plus que tout être comprise et acceptée avec elle, car je ne peux pas me séparer d’elle.

 

Don’t leave my hyper heart alone on the water
Cover me in rag and bone sympathy
Cause I don’t wanna get over you
I don’t wanna get over you

Cette émotion est là, elle fait partie de moi et ne me quittera jamais. J’ai mis plusieurs années à l’accepter et aujourd’hui j’apprends à vivre avec. Elle appartient à mon passé, à mon présent et à mon avenir. J’ai basé mon expérience sur tout ce que j’ai vécu en sa présence et grâce à elle. La tristesse, la mélancolie m’ont aussi permis de créer. Aujourd’hui, je la vois comme une force et essaie de m’appuyer sur elle pour avancer. Plus les années passent, plus elle grandit et s’intensifie. Les événements tristes, difficiles ont cela de positifs pour moi qu’ils font parfois naître des émotions qui me poussent à créer afin de les exprimer. J’apprends à les apprivoiser pour en faire mes alliées, plutôt que de tenter de les combattre.

 

Merci à The National et à Matt Berninger pour ce morceau incroyable qui résume ces émotions complexes dans des vers et une musique magnifique, qui prend les tripes, qui m’a percée à jour ! Merci à eux de m’avoir permis à travers ce morceau de mieux appréhender et à comprendre, à affronter et à accepter ces émotions ! Merci d’avoir brisé ma solitude face à cette tristesse ! Sorrow est le miroir de mon âme.

 

Olivia Gerig

Lullaby – The Cure

En 1989, j’ai onze ans, une chaîne hifi avec double lecteur de cassettes, tourne disque sur le dessus et radio FM. Elle est moche mais très pratique pour enregistrer, copier et surtout faire des compils. Bref, une chaîne stéréo bon marché de chez Interdiscount, pas très design, tout en plastique avec un son pourri. À cette époque je n’y accorde vraiment pas d’importance, ni au son, ni à l’apparence. C’est l’un des objets les plus précieux que je possède. J’ai des cassettes et des vinyles aussi : entre des mixs personnels d’enregistrements à la radio, il y a Phil Collins, Madonna, A-Ha, Michael Jackson, Status Quo, Kylie Minogue, The Police, Sidney Youngblood et même le kitchissime Rick Astley. Tout ça, ce n’est pas très rock, plutôt éclectique et très pop, mais totalement dans l’air du temps. J’ai onze ans et je baigne dans la musique.

J’ai aussi onze ans, quand en 1989, à Berlin, dans ma seconde patrie, un mur s’effondre. Une brèche est ouverte. Wind of Change. Gorbatchev et Ronald Reagan se volent la vedette, mais plus pour longtemps. La guerre froide est finie et Pink Floyd joue The Wall dans l’ancien No mans land, juste un an après. We don’t need no education, We don’t need no thought control… C’est le temps de l’ouverture et du changement. À Lausanne, en 1994, je reprendrai en cœur ce refrain avec les 50’000 spectateurs du Stade la Pontaise.

Retour à l’été 89, j’ai toujours onze ans, je suis chez une amie et nous regardons Canal +. A la maison, je n’ai le droit qu’à une utilisation limitée du petit écran. Mes parents se sont décidés finalement à se procurer une télé. Jusqu’à l’âge de huit ans, je n’en avais pas. À la télévision, Marc Toesca présente le top 50 et La Lambada est en première place du classement. Soudain, sur le minuscule écran mon pire cauchemar apparaît… Un homme hirsute et maquillé est couché dans un lit, envahi par les toiles d’araignées, et semble paralysé. Arachnophobie. Une mélodie entêtante accompagne ce qui paraît être une longue agonie dans un rêve éveillé. Dans un coin, une araignée poilue avance sur le rythme donné par un groupe de musiciens ennuyés recouverts de poussière. L’individu sombre dans la gueule béante de la bête et des milliers de bras l’emprisonnent contre le matelas. L’homme araignée va venir me manger. D’un côté, je ne veux pas regarder, je suis terrorisée et mon cerveau d’enfant ne comprend pas ce que cet homme murmure. Cependant, je n’arrive pas à détacher mon regard de la vidéo et la musique me transporte, mi-sensuelle, mi-effrayante. Entre fascination et dégoût, peur et attraction, c’est la première fois que je ressens autant d’émotions à la fois. Cette berceuse sombre diffusée en mauvaise qualité sonore sera le début de ma rencontre avec The Cure et d’une histoire musicale qui n’est toujours pas terminée. En 1989, à onze ans, sur un minuscule écran de télévision dans une ferme chancynoise, j’ai rencontré le groupe qui, par sa musique, saura le mieux me transmettre des émotions et me faire vivre les miennes. Une passion dévorante est née.
On candy stripe legs the Spiderman comes
Softly through the shadow of the evening sun
Stealing past the windows of the blissfully dead
Looking for the victim shivering in bed
Searching out fear in the gathering gloom and
Suddenly
A movement in the corner of the room
And there is nothing I can do
When I realize with fright
That the Spiderman is having me for dinner tonight
Quietly he laughs and shaking his head
Creeps closer now
Closer to the foot of the bed
And softer than shadow and quicker than flies
His arms are all around me and his tongue in my eyes
Be still be calm be quiet now my precious boy
Don’t struggle like that or I will only love you more
For it’s much too late to get away or turn on the light
The Spiderman is having you for dinner tonight
And I feel like I’m being eaten
By a thousand million shivering furry holes
And I know that in the morning I will wake up
In the shivering cold
And the Spiderman is always hungry

Olivia Gerig

Lithium – Nirvana

D’où viennent donc ces voix dans ma tête qui me disent que ce n’est pas juste ? D’où viennent donc ces incantations qui me poussent à me révolter ? D’où viennent donc ces idées qui me poussent aux larmes ?

I’m so happy ’cause today
I’ve found my friends …
They’re in my head

Ce monde n’est pas réel. Il n’est que désillusions et injustices. Je rêve d’une ville où il n’y aurait ni argent, ni politique. Je rêve d’un amour véritable. D’un monde plus juste. Moi, je ne sers à rien. Dans le miroir, une adolescente aux yeux bouffis et cernés, des cheveux devant le visage. En révolte, contre elle-même, contre tout et tous. Elle ne sait plus vraiment pourquoi.

I’m so ugly, but that’s okay, ’cause so are you …
We’ve broken our mirrors

Il y a ces cris, ces assiettes qui explosent juste un étage en dessous. Ces disputes incessantes me brisent, me lacèrent les bras et le cœur.

Yeah, yeah, yeah

La fumée de cigarette s’échappe par ma fenêtre entrouverte. Les mégots s’amoncèlent dans le cendrier.

And I’m not scared
Light my candles in a daze …

Mon plafond est peint en noir et j’y ai tracé un A entouré d’un cercle blanc. Ni Dieu, ni maître. Une lampe simple blanche diffuse une faible lumière. Le cordon de la lampe pend. Je le regarde. Il m’attire.

Je tire encore une fois sur ma cigarette. La chaleur incandescente se rapproche de mon majeur et de mon index. Je vais me brûler. Non, je ne craquerai pas. Ce serait trop facile.

I like it – I’m not gonna crack
I miss you – I’m not gonna crack
I love you – I’m not gonna crack
I killed you – I’m not gonna crack

Vingt-quatre ans après, j’ai fini par craquer. Mais je vous aime tout de même.

Olivia Gerig

Angel, Angel, Down We Go Together – Morrissey

Tout s’était terminé le jour-même où tout avait commencé. Un début présage une fin, irrémédiablement. Impermanence. Mais pas aussi vite, pas aussi brutalement. Utopie d’une possibilité et d’un absolu, d’un sentiment si grand qu’il balayait tout sur son passage. C’était tout simplement impossible.
Tu avais gravé ce constat dans ma chair à vif. En ce matin glacial et enneigé. En ce lendemain d’un moment inespéré de grâce partagé.

La neige avait recouvert le sol et les arbres en une nuit. Comme si la chaleur de la soirée n’avait jamais existé. Un froid glacial avait tout envahi et s’était propagé dans les moindres recoins de mon corps et de mon âme. A partir de ce triste matin, nous avons sombré ensemble. Mon cœur est devenu gris et froid. Le tien s’est renfermé encore plus. Je ne l’entendais plus, je ne l’entendrais plus jamais. D’ailleurs, l’avais-je un jour vraiment senti battre ?
Et pourtant, il y avait l’attente impatiente de se revoir enfin, libres.
Ce concert, dans cette ville, chère à ton cœur. De la musique, des gens, je m’étais sentie si vivante, croyant l’espace d’un instant que notre rêve se réalisait. Pourtant, le message d’Arcade Fire avait été clair ce soir-là. Sourde, je l’avais ignoré :

“My body is a cage that keeps me
From dancing with the one I love
But my mind holds the key…”

Tu avais déjà verrouillé ton cœur. Raison vs Sentiments. L’éternelle question. Choisir.
Moi, j’avais foncé, mais toi, tu n’y arriverais pas.
Dès ce jour, je me suis mise à haïr l’espoir, cette porte laissée entrouverte. En traître, la réalité n’avait pris que peu de temps pour nous rattraper. Aussi brutale qu’un coup de poignard, en plein milieu du cœur. Impossible. Absolu. Impossible. On m’arrache le cœur. Je m’effondre.
Mon cœur s’est éteint, cette nuit-là, vers 5h00 du matin.
Entre une porte cochère et le store baissé d’une terrasse.
Nous nous sommes embrassés, enlacés, dans cette rue déserte, protégés par l’obscurité.
Le monde autour de nous n’existait plus. Ni peur, ni froid, ni peine, ni espoir.
Juste le temps d’une ou deux chansons.
La terre continuait sa ronde pendant ce temps.
Seuls, chacun de notre côté, la réalité à affronter.
La chute est entamée, dès que le mot « impossible » a été prononcé.
La porte du taxi se referme.
Mes larmes se solidifient sur mes joues.
Tu n’es plus là et tu ne le seras jamais.
Le rêve s’est disloqué sur le sol gelé.
Je ne te croirai plus quand tu me chanteras :

“Angel, Angel
don’t take your life tonight
I know they take
and that they take in turn
and they give you nothing real
for yourself in return
and when they’ve used you
and they’ve broken you
and wasted all your money
and cast your shell aside
and when they’ve bought you
and they’ve sold you
and they’ve billed you for the pleasure
and they’ve made your parents cry
I will be here
BELIEVE ME
I will be here
…believe me
Angel, don’t take your life
some people have got no pride
they do not understand
the Urgency of life
but I love you more than life
I love you more than life”
I love you more than life
I love you more than life “

Olvia Gerig