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Lullaby – The Cure

En 1989, j’ai onze ans, une chaîne hifi avec double lecteur de cassettes, tourne disque sur le dessus et radio FM. Elle est moche mais très pratique pour enregistrer, copier et surtout faire des compils. Bref, une chaîne stéréo bon marché de chez Interdiscount, pas très design, tout en plastique avec un son pourri. À cette époque je n’y accorde vraiment pas d’importance, ni au son, ni à l’apparence. C’est l’un des objets les plus précieux que je possède. J’ai des cassettes et des vinyles aussi : entre des mixs personnels d’enregistrements à la radio, il y a Phil Collins, Madonna, A-Ha, Michael Jackson, Status Quo, Kylie Minogue, The Police, Sidney Youngblood et même le kitchissime Rick Astley. Tout ça, ce n’est pas très rock, plutôt éclectique et très pop, mais totalement dans l’air du temps. J’ai onze ans et je baigne dans la musique.

J’ai aussi onze ans, quand en 1989, à Berlin, dans ma seconde patrie, un mur s’effondre. Une brèche est ouverte. Wind of Change. Gorbatchev et Ronald Reagan se volent la vedette, mais plus pour longtemps. La guerre froide est finie et Pink Floyd joue The Wall dans l’ancien No mans land, juste un an après. We don’t need no education, We don’t need no thought control… C’est le temps de l’ouverture et du changement. À Lausanne, en 1994, je reprendrai en cœur ce refrain avec les 50’000 spectateurs du Stade la Pontaise.

Retour à l’été 89, j’ai toujours onze ans, je suis chez une amie et nous regardons Canal +. A la maison, je n’ai le droit qu’à une utilisation limitée du petit écran. Mes parents se sont décidés finalement à se procurer une télé. Jusqu’à l’âge de huit ans, je n’en avais pas. À la télévision, Marc Toesca présente le top 50 et La Lambada est en première place du classement. Soudain, sur le minuscule écran mon pire cauchemar apparaît… Un homme hirsute et maquillé est couché dans un lit, envahi par les toiles d’araignées, et semble paralysé. Arachnophobie. Une mélodie entêtante accompagne ce qui paraît être une longue agonie dans un rêve éveillé. Dans un coin, une araignée poilue avance sur le rythme donné par un groupe de musiciens ennuyés recouverts de poussière. L’individu sombre dans la gueule béante de la bête et des milliers de bras l’emprisonnent contre le matelas. L’homme araignée va venir me manger. D’un côté, je ne veux pas regarder, je suis terrorisée et mon cerveau d’enfant ne comprend pas ce que cet homme murmure. Cependant, je n’arrive pas à détacher mon regard de la vidéo et la musique me transporte, mi-sensuelle, mi-effrayante. Entre fascination et dégoût, peur et attraction, c’est la première fois que je ressens autant d’émotions à la fois. Cette berceuse sombre diffusée en mauvaise qualité sonore sera le début de ma rencontre avec The Cure et d’une histoire musicale qui n’est toujours pas terminée. En 1989, à onze ans, sur un minuscule écran de télévision dans une ferme chancynoise, j’ai rencontré le groupe qui, par sa musique, saura le mieux me transmettre des émotions et me faire vivre les miennes. Une passion dévorante est née.
On candy stripe legs the Spiderman comes
Softly through the shadow of the evening sun
Stealing past the windows of the blissfully dead
Looking for the victim shivering in bed
Searching out fear in the gathering gloom and
Suddenly
A movement in the corner of the room
And there is nothing I can do
When I realize with fright
That the Spiderman is having me for dinner tonight
Quietly he laughs and shaking his head
Creeps closer now
Closer to the foot of the bed
And softer than shadow and quicker than flies
His arms are all around me and his tongue in my eyes
Be still be calm be quiet now my precious boy
Don’t struggle like that or I will only love you more
For it’s much too late to get away or turn on the light
The Spiderman is having you for dinner tonight
And I feel like I’m being eaten
By a thousand million shivering furry holes
And I know that in the morning I will wake up
In the shivering cold
And the Spiderman is always hungry

Olivia Gerig

Tu pars – Lise Martin

“Je ne laisserai jamais dire que ce n’est pas la plus belle chanson du monde.” Ha! La belle connerie!

J’avoue avoir été séduit par l’idée et le projet… Écrire sur la plus belle chanson du monde… Oui, ça semblait “frais”, comme dirait mon neveu. Jusqu’au moment de me retrouver un soir après une répète face à face avec ma discothèque… D’emblée, j’ai choisi d’écarter Dylan, trop attendu, trop facile et surtout trop compliqué… dans l’hypothèse de faire un choix. Dylan écarté, LA chanson m’est venue à l’esprit naturellement. Ce sera ELLE et nulle autre. Évidemment. Mais pour pouvoir jeter sur le papier quelques lignes à son sujet, il semblait juste, dans la démarche, de l’écouter à nouveau, pour se la réapproprier l’espace d’un instant, le temps d’écrire ces quelques mots. Ha! La belle connerie ce projet de recueil! Car, oui, j’ai déménagé. Certes, il y a onze mois, mais il me reste encore deux trois détails à régler dans ma nouvelle demeure, comme d’enfin classer ma discothèque…

Convaincu de mon choix, indiscutable (ne s’agit-il après tout pas – et ce n’est pas rien – de la plus belle chanson du monde?), je pars à la recherche du fameux CD sur laquelle elle se trouve. Pas mince l’affaire… Je tombe forcément sur Ani DiFranco, j’hésite… Elle a quand même conclu My IQ par ce vers de dingue : “Every tool is a weapon, if you hold it right”…

Ne pas se laisser distraire, poursuivre sa quête! Frénétiquement, je continue à scruter mes étagères en plissant les yeux. Merde, Keith Kouna et son album Du plaisir et des bombes sur lequel il y a Batiscan, ah ouais, cette chanson pourrait aussi être la plus belle du monde, tellement elle m’a touché, comme témoignage d’un fils aimant s’adressant à son père. Et juste à côté, la tentation titille encore : Titi Zaro, L’Ogresse. Souvenirs de belles soirées chez Alex, dont je ne voyais pas la fin avec délice. Ah bordel, quelle connerie ce projet de recueil!

Une heure a passé et j’aurais pu choisir The Fog Horn, Calvin Russel (Soldier, évidemment), Alee, Dan Mangan ou Capitaine Etc. Évidemment. J’aurais aussi pu choisir un morceau des Garçons Trottoirs pour faire plaisir à ma future épouse. Mais j’ai fini par me retrouver avec le premier CD de First Aid Kit dans les mains. Je flanche. Je tremble. Je me souviens de leur reprise de Universal Soldier de Buffy Saint Marie. Ouais, ça pourrait bien être la fucking plus belle chanson du monde. Une vraie connerie ce recueil, je vous le dis. Pourquoi une seule chanson, d’abord? Et je n’ai en plus toujours pas trouvé le CD convoité…

C’est alors que je me souviens qu’il reste, sous les escaliers, un sombre carton dont le contenu m’est brumeux. Super, pour tout simplifier, entre quelques bandes dessinées et des vinyles, je tombe sur les Ongles Noirs, La Grand-Mère Indigne, Le Nouvel Album de Max der Zinger et une obscure compilation dont j’ignorais l’existence, bien que Les Voisins du d’sus y aient contribué… Quelle connerie ce recueil…

Finalement, je l’ai trouvé ce CD, dans ce maudit carton. Ah oui, je le tiens dans mes mains. Gare des silences de Lise Martin. Les frissons naissent dans le creux de ma nuque, parcourent mon échine et se dissipent insaisissablement dans mon corps. Je ferme les yeux et je m’envole vers ce 13 janvier 2011 où, à la Parenthèse de Nyon, j’ai voyagé dans mon âme, mes rêves, mes espoirs et mes souvenirs. Avec la musique de Lise Martin, ce n’est pas la soirée qui fut belle, mais la vie passée, présente et à venir, vraiment. En réécoutant Tu pars, je redécouvre la véritable plus belle chanson du monde. “J’ai si souvent frôlé des doigts du bout de l’aube” l’envie de vivre, que ce soir je me sens enfin libre. Libre de moi, de nous, de vous, libre de vivre, libre d’aimer, sans chaînes, mais avec attaches. Libre de vivre, tout simplement.

Et si le concept de liberté peut rester sujet à débat, il ne fait aucun doute, par contre, que Tu pars, de Lise Martin, est sans conteste la plus belle chanson du monde. Cela va de soi.

Erik Grobet

Nutshell – Alice in Chains

La version studio est excellente, mais lors du concert acoustique donné pour MTV en 1996, Layne Staley s’est vraiment accroché pour donner le meilleur de lui-même, dévoré par la drogue et la dépression.

Les musiciens entrent en scène les uns après les autres, sur cette suite de deux accords soutenus par une basse profonde. Mais quand Layne arrive, le public est ému et donne de la voix. Il apparaît pour la dernière fois au public, décharné, tout de noir vêtu, dans une attitude humble, comme pour se faire pardonner les nombreuses annulations de concert que sa toxicomanie a engendré. Impassible, la bouche à peine ouverte, il chante, de cette voix nasillarde, sur le fil, cette bataille qu’il doit livrer seul.

Il chante, donc. Et il termine par « if I can’t be my own, I’d feel better dead ». On le retrouvera en 2002, mort depuis un petit moment, dans son appartement, pour avoir abusé d’un peu tout. Le monde regrette un des plus grands chanteurs des années 90, alliant une voix rocailleuse et vive, avec des mélodies blues que sa voix métallique maîtrisait à la perfection. J’aurais pu citer Would ?, Love, Hate, Love et bien d’autres titres. Mais Nutshell, c’est cette fragilité qui semblait le caractériser, c’est presque un testament.

Quand je l’écoute, j’ai l’impression de l’avoir connu. Et il me manque.

Mark Levental