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Le Clown – Angélique Ionatos

Et comment ils font pour lui donner à manger à la girafe ? une échelle, un palan ?

Et qui va promener le tigre dans le parc pour qu’il fasse ses besoins ? un sac Bravo attaché à la laisse ?

Et qui va dire au nain qu’il aurait dû manger de la soupe ? surtout la crème d’asperge ?

Sitôt dans l’enceinte du cirque, plus de tabou, l’irréel, plus de norme, la magie, plus de morale, l’ivresse.

J’ai maudit le dresseur de chevaux en habit de toréador, le fouet qui claque, l’œil apeuré et soumis du cheval blanc, la ruade rebelle et calculée au millimètre.

Je n’ai pas réussi à compter les pieds et les mains dans la pyramide des gymnastes asiatiques.

J’ai prié pour la trapéziste. J’ai tremblé pour l’homme-canon.

Entre deux numéros, le ramasseur de crottin. Tiens, c’est toujours un nègre qui ramasse les crottins.

La fille qui défile en présentant la pancarte du numéro suivant. Est-elle blonde, est-elle brune ? Je ne sais pas, je ne regarde que les seins et les fesses.

L’orchestre magnifique sur le balcon se tait dans un frêle roulement de tambour.

Une grosse fleur bouffie entre dans l’arène, une marguerite obèse et grotesque.

La fleur grimpe à la corde rejoindre la trapéziste, en s’effeuillant de miséricorde.

C’est le clown. Il monte au ciel déclarer sa flamme. Sur un petit violon il joue l’Aïda de Verdi.

La trapéziste se moque de lui et le repousse.

Le clown dévisse le long de la corde. Un éléphant le ramasse et le dépose dans la brouette du ramasseur de crottin.

La fille qui annonce le final est rousse, avec de grands yeux verts. J’ai aussi regardé ses yeux.

Je ne vais plus voir le cirque. Le nain qui vend les programmes est trop laid.

Le clown est mort. C’est trop triste pour cœur de papier crépon.

 

J’achète un Babybel et je me fais un nez rouge avec la coque en cire rouge.

je suis seul dans mon pré. Le merle  effronté n’a pas rigolé.

Pierre-André Milhit

Le Lac Majeur – Mort Shuman

Un 31 décembre, il y a bien longtemps. Nous ne nous connaissions que depuis quelques mois. Pas question de réveillon festif, nous n’en avions pas les moyens. Terminer l’année ensemble, en commencer une nouvelle ensemble, nous n’en demandions pas plus. Une petite salle de quartier nous ouvrit sa porte pour une soirée dansante. L’orchestre commençait régulièrement les séries de slows par cette chanson de Mort Shuman dont les paroles me sont restées gravées au fond du cœur. Je les murmurais, blottie entre les bras de mon amoureux. Aujourd’hui, nous sommes toujours ensemble, nos cheveux ont blanchi, nous ne dansons plus. Mais lorsque par hasard, à la radio, à la télévision, la neige tombe sur le lac Majeur, nous partageons le même sourire, dans nos yeux s’allume la même petite étincelle.