Une noix – Charles Trenet

Une noix

Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix

Qu’est-ce qu’on y voit

Quand elle est fermée

 

Woodstock, les cheveux m’en tombent. J’avais 13-14 ans, c’était Woodstock et je ne l’ai su que deux ans plus tard. Moi, pendant que Jimi Hendrix bouffait sa guitare, j’écoutais bien au chaud du Trenet, du Brassens pour ados, celui de La chasse aux papillons et de Brave Margot, du jazz cool et du blues aux dents blanches, héritier en tout cela des inclinations de mon père et de mes oncles.

Charles Trenet. «Sans lui, nous serions tous des experts-comptables», en a dit Brel. Trenet l’allumé, le courant d’air, le type par-dessus les toits avec des ailes dans le dos comme sur le dessin de Cocteau. A la fin des années trente, mille neuf cent trente, à une époque où la chanson française est plutôt pâle – mélos et roucoulades – il balance une bombe qui s’appelle Y’a d’la joie. Bonjour, bonjour les hirondelles, la tour Eiffel part en balade, elle saute la Seine à pieds joints. Des envolées surréalistes, un swing décoiffé, des tip et tip et tip top et tap, le cocktail explose et une succession de comètes crépite dans le ciel des disquaires. Je chante, Fleur bleue, J’ai ta main

Et puis viennent des choses lunaires, des pirouettes, des extravagances, des calembours détraqués, des gendarmes qui s’endorment sous la pluie, des canards qui parlent anglais, des trains de nuit pleins de fantômes, de frémissantes chansons d’amour accordées au féminin qui surprendront, plus tard, quand on apprendra que Trenet aimait plutôt les garçons, alors on se dira: «Tiens, cette Mam’zelle Clio, ce n’était donc qu’un adorable mensonge?» Et Trenet répondra: «Seuls les poètes sont sincères, surtout lorsqu’ils mentent».

Surdoué, papa pique, dans l’art de faire sonner les vers et d’y coudre des mélodies, Charles Trenet est l’auteur, dit-on, d’un millier de chansons. Le vent en a emporté la plupart, mais plusieurs sont restées accrochées à mon chapeau. Parmi elles, cette chanson testament de 1945, cette poignante Folle complainte où «Les pantoufles de grand-mère / Sont mortes avant la nuit», où les petits garçons, «Deux jours avant Noël / Et sans aucune méfiance / Acceptent tout pêle-mêle / La vie la mort les squares / Et les trains électriques / Les larmes dans les gares / Guignol et les coups de trique».

Et puis, sur les accords tremblotants d’une guitare amplifiée, cette merveille: Une noix. Voilà Trenet tout en entier. En quelques vers,  cette chanson le situe dans son temps et dans son art, un art qui n’est pas celui du témoignage, de la dénonciation, de la protestation ou du constat social, mais un art révolu, ou en tout cas délicieusement démodé, qui confie les pleins pouvoirs à l’imagination:

 

Une noix

Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix

Qu’est-ce qu’on y voit

Quand elle est fermée

On y voit la nuit en rond

Et les plaines et les monts

(…)

Des soldats bardés de fer

Qui joyeux partent pour la guerre

En fuyant l’orage des bois

(…)

On y voit les écoliers

Qui dévorent leurs tabliers

Des abbés à bicyclette

Le quatorze juillet en fête

(…)

 

Une noix

Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix

Qu’est-ce qu’on y voit

Quand elle est ouverte

On n’a pas le temps d’y voir

On la croque et puis bonsoir

 

Pierre Savary, janvier 2018

 

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