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Il pleut sur la mer – Allain Leprest

Dimanche fin d’après-midi. Le ciel est bas, il pleut sur le talus de vignes.

J’épluche des patates pour le gratin du dimanche soir. Avec le rôti haché. Et les tomates provençales. Les enfants seront contents. Gaffe ! Ne pas trop saler les patates.

Je fredonne un air appris chez les scouts, sur la route param-pa-pampam. J’imagine le petit tambour sur un chemin de pluie.

Le gars est entré sans prévenir. Une voix de ravine dans le torrent, de séracs effondrés, d’éboulement dans les gorges. Il pleut sur la mer, et ça sert à rien. Il chante un dimanche de pluie sur la Manche en Normandie. Je regarde un dimanche de pluie sur le talus de vignes. Je ne connais rien à la Manche. J’irai voir la Normandie, un jour, peut-être.

La chanson de Leprest emplit toute la cuisine. Mes épluchures deviennent moins fines. Il pleut sur la mer, c’est bien inutile. Un merle bougon se blottit dans le feuillage du poirier. Il tombe des cordes et l’eau s’est pendue aux plus hautes branches de la Manche.

Allain Leprest est un parolier champion de tir qui vise juste. C’est un peintre impressionniste qui joue avec les images et les couleurs. C’est un maître du Meccano qui réussit avec ses mots des constructions d’audace. A croire que la mer se pisse dessus. Mes épluchures sont biscornues.

Allain Leprest est chanteur comme d’autres sont cyclistes, charpentiers, patrons de bistrot. Il artisane son métier avec le cœur, avec les tripes. Il se fout de brûler ses ailes, de voiler ses roues, de ses poutres dans l’œil, de compter ses bouteilles. Il chante pour moi des seaux de ma vie. Mes patates sont à l’eau, je reste à quai. De l’eau dans de l’eau, c’est nous tout crachés.

Allain Leprest chante avec ce qu’il est. Des frissons de maladresse, des mains expressives même lorsqu’elles sont immobiles, des entames à l’à-peu-près, des yeux gourmands de malice, des rythmes changeants. Les pianistes de Leprest sont des funambules. Le spectateur a le cœur au bord des yeux.

Il pleut sur la mer, c’est con comme la pluie. J’ai versé quelques larmes dans l’eau des patates. Mon gratin sera trop salé.

Pierre-André Milhit

Bidonville – Claude Nougaro

Cet été, assis sur une plage de Sicile, j’écoute « Bidonville » de Claude Nougaro sur mon lecteur mp3. Les yeux perdus au large. « Me tailler d’ici à quoi bon ? » Chez nous, la vie est bien jolie. C’’est bonnard mais ça ramollit (Sarclo copyright)

On a des bouteilles d’eau fraîche que vendent les marchands ambulants africains, des lunettes de soleil et des chapeaux de paille. Made in China. Évidemment. C’est la dolce Vita. Et c’est pas du wolof. C’est du rital.

La chanson, elle, est brésilienne à la base. « Berimbau » de Baden Powell. C’est son nom. Et celui d’un instrument utilisé par les esclaves déportés vers le Brésil. Nougaro en a fait une chanson sur les bidonvilles qui poussaient à la périphérie des villes françaises dans les années 60. Il n’y a plus de bidonvilles aujourd’hui en France. Enfin si toujours. Mais ça reste entre nous.Et la chanson résonne dans mes oreilles face à la Méditerranée. Combien d’hommes et de femmes perdues sous l’eau limpide ?

« Je verrai toujours de la merde même dans le bleu de la mer »

Combien de barques remplis d’espoir arrivant vers nous ? Pour être accueilli comme des parias plutôt qu’en camarades.

Bientôt, bientôt,
On pourra se parler, camarade.
Bientôt, bientôt,
On pourra s’embrasser, camarade.
Bientôt, bientôt,
Les oiseaux, les jardins, les cascades.
Bientôt, bientôt,
Le soleil dansera, camarade.
Bientôt, bientôt,
Je t’attends, je t’attends, camarade.

Cette chanson est la plus belle de mon monde.

Regarde le, Nougaro dans cette version live… L’animalité, la classe, le groove… Le blues.

Universel.

Erwan Roux